La guerre indésirable de Barack Obama

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Le soldat malgré lui

Le coup de théâtre de samedi dernier laisse croire que le président des États-Unis ne souhaite pas vraiment mener sa guerre annoncée et qu’il semble tant redouter - au point de demander au Congrès américain de trancher. Si ce n’était de cette fameuse « ligne rouge » qu’il évoquait il y a plus d’un an, la procrastination serait restée de mise et Obama sans nul doute n’aurait pas mis en oeuvre le scénario de guerre qu’il brandit depuis plus d’une semaine. Mais voilà désormais qu’il doute, et beaucoup ! Les uns sont soulagés et les autres sont inquiets : comment expliquer les atermoiements de ce président ? À l’évidence, la prise de décision sur la Syrie est l’une des plus déroutantes de l’Histoire récente. D’aucuns pensent qu’il s’agit là en fait de l’un des pires fiascos décisionnels de la présidence en temps de crise depuis longtemps. Pourquoi ?

Le pari décisionnel : courage, calcul ou couardise ?

Les divisions internes au sein du Conseil de sécurité nationale (NSC) sont marquantes sur la Syrie, et ce, depuis deux ans. Certains, notamment les secrétaires d’État Hillary Clinton puis John Kerry, de même que les conseillers pour la sécurité nationale Tom Donilon et Suzan Rice, sont partisans d’une intervention dite « minimale ». D’autres, tels les secrétaires à la Défense Robert Gates puis Chuck Hagel, de même que les chefs militaires et le personnel politique de la Maison-Blanche (le secrétaire général Denis McDonough principalement) redoutent toute intervention. Le vice-président Joe Biden a, sur ce dossier, une position étonnamment discrète.

Devant ces divisions, Obama a privilégié la non-intervention, jusqu’à ce jour fatidique, il y a un an, où il annonçait de façon inopinée cette « ligne rouge » (qu’il a sans doute regrettée par la suite). S’étant peinturé dans un coin, il ne pouvait plus se dérober devant la responsabilité de faire quelque chose, après le massacre du 21 août, sans perdre toute crédibilité. Cette fois, le commandant en chef décide d’une réplique punitive. Mais voilà que les astres ne s’alignent pas comme il l’aurait souhaité : pas d’appui au Conseil de sécurité de l’ONU, pas d’allié anglais à ses côtés, maintes questions entendues depuis dix jours sur la pertinence même de l’attaque, une opinion publique majoritairement contre et une législature qui s’enflamme graduellement sur le sujet. Vendredi soir dernier, en promenade dans les jardins de la Maison-Blanche en compagnie de son secrétaire général, le président concocte cette stratégie inédite de dernière minute de demander au Congrès son appui. La décision laissera pantois plus d’un de ses conseillers (notamment Kerry et Hagel, qui ne furent pas consultés sur cette décision). La discussion qui a suivi à la Maison-Blanche a apparemment été longue et ardue entre Obama et ses proches conseillers jusque tard dans la soirée. On peut certes saluer le courage du président voulant faire respecter la Constitution américaine, mais on peut aussi se demander si c’est par calcul ou par couardise qu’il a suspendu sa décision de procéder à l’attaque imminente de la Syrie.

Test de leadership pour Obama

Après le fiasco de l’Irak il y a dix ans, et chaque fois qu’on évoque les armes de destruction massive, la preuve doit désormais être « béton ». Personne ne doute que les armes chimiques ont été utilisées, mais un petit doute subsiste sur la responsabilité de Bachar al-Assad. Assez pour que certains législateurs américains demandent un peu plus de temps et, surtout, un peu plus de preuves. Sans doute l’une des raisons pour lesquelles certains Parlements alliés, comme en Angleterre, font défection. Ensuite, on se demande si une attaque punitive peut véritablement affaiblir le régime de Bachar et aider le peuple syrien, sans entraîner des conséquences pires encore pour celui-ci et pour la région. Cette question est celle que vont se poser les législateurs américains : par leur action militaire, les États-Unis serviront-ils bien leur intérêt ou s’enliseront-ils dans une situation perdante et dangereuse pour l’avenir ? Pariez que plusieurs démocrates et une majorité de républicains, surtout à la Chambre des représentants (faucons et isolationnistes), ont choisi leur camp. Les isolationnistes du Tea Party - comme le sénateur Rand Paul - pensent que la Syrie est un piège ; les faucons tels le sénateur John McCain croient qu’Obama n’a pas de vraie stratégie et qu’une frappe punitive ne suffit pas ou, maintenant, ne suffit plus. Beau débat en perspective, mais que le président aurait pu entreprendre bien auparavant, dès le départ, et avant de se commettre militairement comme il l’a fait depuis une semaine.

Barack Obama joue son leadership et sa réputation dans cette affaire syrienne. Si le Congrès, ou du moins l’une des Chambres, déboute sa résolution de guerre, il lui fera porter le blâme - ce qui l’arrange peut-être, mais sera une première dans l’histoire constitutionnelle contemporaine de la politique étrangère américaine si la législature empêche ainsi le président d’entreprendre une intervention militaire et que celui-ci obtempère. S’il emporte l’appui du Congrès, il n’aura guère le choix que d’accentuer la signification ou l’importance de l’attaque américaine, puisqu’une poignée de missiles Tomahawk ne suffira plus, étant donné les préparatifs auxquels s’adonne Bachar pour absorber les coups qui lui seront portés. Obama devra alors mener, plus qu’il ne l’aurait désiré ou anticipé, une intervention plus soutenue (mais laquelle ? Et dans quel but ?). Dans les deux scénarios, le leadership présidentiel sera durement testé. Dans le premier, on accusera les États-Unis et sans doute ailleurs le président d’avoir affaibli son rôle de commandant en chef (qu’adviendra-t-il alors de ce rôle advenant la crise nucléaire si redoutée avec l’Iran ?). Dans le second, on exigera du président qu’il définisse clairement ce qu’il veut faire et quel est l’objectif, pour rassurer des Américains assez confus et craintifs.

Ligne rouge

Rien de tout cela ne serait arrivé si Obama avait exigé, en même temps que sa « ligne rouge » il y a un an, que toute réplique militaire soit conditionnelle à l’appui des Russes au Conseil de sécurité et du Congrès aux États-Unis. S’il ne voulait pas intervenir, c’était là la bonne occasion et la bonne stratégie… Après tout, le commandant en chef semble déterminé, et ne pas trop s’embêter avec le conditionnel, lorsqu’il décide de l’assassinat de Ben Laden, de l’opération sur la Libye, et du recours massif aux drones armés. Sur la Syrie, le président choisit plutôt l’improvisation et il en paye cher le prix.
Charles-Philippe David - Titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, et coprésident de l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM. Auteur de La guerre et la paix (Presses de Sciences Po, 2013).


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