C’était écrit dans le ciel depuis le printemps. Les jours du conseiller pour la sécurité nationale, John Bolton, étaient comptés, celui-ci contredisant le président sur la plupart des dossiers chauds de politique étrangère (Iran, Corée du Nord, Venezuela et Afghanistan). Bolton a été l’artisan de ses propres malheurs. Par rapport à la nouvelle du départ de Bolton, on pourrait croire que ce dernier n’est que la plus récente victime des sautes d’humeur d’un président improvisateur qui dirige une administration battant tous les records en matière de taux de roulement du personnel exécutif.
Cependant, John Bolton, le faucon rompu à la rhétorique néoconservatrice des « États voyous » et de la « troïka de la tyrannie », est aussi en grande partie responsable de son renvoi. En tant que conseiller pour la sécurité nationale, il a vécu et a péri par l’épée. En voici les raisons.
Connu pour ses idées belliqueuses, son entêtement et ses manoeuvres bureaucratiques sans compromis, Bolton ne s’est pas fait d’amis à la Maison-Blanche de Trump.
Que ce soit une altercation à deux pas du Bureau ovale avec l’ancien chef de Bureau John Kelly ou la propagation de rumeurs au sujet du départ imminent de l’ancien secrétaire à la Défense James Mattis, les anecdotes sur son style abrasif sont nombreuses. Ses méthodes singulières ont froissé aussi les piliers actuels de l’administration, comme Mick Mulvaney, le chef de Bureau par intérim de la Maison-Blanche, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo. Ce dernier dissimulait d’ailleurs très mal son sourire lors de la conférence de presse suivant l’annonce du départ de son rival.
Corée du Nord et Iran
Contrairement à Pompeo, qui a su gagner la confiance de Trump en défendant tant bien que mal sa politique étrangère incohérente, Bolton a refusé de compromettre ses objectifs rigides quant à l’usage de la puissance militaire américaine pour appuyer docilement les positions girouettes de son président. L’exemple le plus frappant est survenu au début juillet dernier, quand Donald Trump a visité la zone démilitarisée entre les deux Corées pour une rencontre impromptue avec Kim Jong-un afin de poursuivre sa politique d’ouverture vis-à-vis de Pyongyang. Plutôt que d’accompagner son patron pour ce moment historique, Bolton a choisi d’exprimer son désaccord et de garder ses distances par rapport à ce qu’il estimait être une politique vouée à l’échec. Il s’est rendu en Mongolie pour y effectuer une visite diplomatique déjà prévue.
Les rapports avec l’Iran ont aussi attisé les tensions entre les deux hommes : Bolton militait en faveur des frappes que Trump a annulées à la dernière minute en juin et il s’est opposé à l’idée d’un sommet entre Trump et le président iranien, Hassan Rohani. Ces deux dossiers illustrent à quel point les désaccords ont été profonds entre l’ex-conseiller et le président. Mais ne s’agit-il que d’un débat d’idées entre eux ? Ce départ révèle un problème plus profond qui a trait au rôle même du conseiller pour la sécurité nationale au sein du gouvernement Trump.
En soi, être en désaccord avec Trump et surtout l’exprimer publiquement, comme le faisait fréquemment Bolton en entrevue ou sur Twitter, représente un affront de taille pour un président qui exige un niveau de loyauté de la part de ses subordonnés qui atteint des sommets de flagornerie. Car, au-delà des différences d’idées, Bolton n’a jamais bénéficié d’une relation personnelle forte avec Trump, contrairement à d’autres proches conseillers politiques, tels Stephen Miller et Jared Kushner. Bien que Trump l’ait choisi pour remplacer H.R. McMaster en avril 2018 parce qu’il appréciait ses interventions sur la chaîne Fox News et souhaitait s’entourer de gens rompus à l’idée de déchirer l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, il n’a jamais vraiment apprécié John Bolton, dont il critiquait ouvertement l’apparence — une moustache trop garnie — et les idées — Trump disait qu’il freinait même le conseiller faucon dans sa volonté de déclencher une nouvelle guerre.
Une lame à double tranchant
Comment un habile manipulateur bureaucratique de la trempe de Bolton a-t-il pu ainsi être mis hors d’état de nuire aussi aisément durant les derniers mois ?
Désireux d’exercer un contrôle quasi absolu sur la formulation de la politique étrangère et profitant du fait qu’il était encore relativement dans les bonnes grâces de Trump, l’ex-conseiller a rapidement démantelé le processus décisionnel formel que s’était évertué à mettre sur pied son prédécesseur McMaster. En concentrant la formulation des politiques entre les mains d’un petit groupe de loyalistes qu’il avait positionné à différents postes clés au sein du Conseil pour la sécurité nationale (NSC), Bolton a pu exercer énormément de pouvoir pendant un temps sur le processus décisionnel. Il a par exemple réussi à contourner l’annonce par Trump en décembre 2018 du retrait des troupes américaines de Syrie.
Bolton a aussi mis en oeuvre une politique de pression maximale sur le régime de Nicolás Maduro au Venezuela et a même convaincu Trump d’appuyer une tentative de coup d’État manqué survenu à la fin avril 2019. Certes, lorsque ses préférences concordaient avec celles du président, il a pu atteindre des objectifs de longue date, comme le retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) de 1987. Mais au final, Trump a commencé à trouver Bolton encombrant.
Si le démantèlement du processus décisionnel a largement profité à l’ex-conseiller, ce changement a aussi aliéné Bolton auprès de tous ses collègues et provoqué une quasi-coalition de ceux-ci contre lui, avec en plus ses idées discordantes de celles du président utilisées comme prétexte pour convaincre Trump de se débarrasser de lui. Bolton a été victime de sa propre ambition, mais surtout a créé toutes les conditions décisionnelles favorables à son éjection.
Avis à son successeur : il lui faut aimer inconditionnellement Donald Trump et laisser de côté ses convictions.