La gestion de la santé pour les nuls

Santé - le pacte libéral



Il y avait un dossier tout à fait fascinant dans La Presse de lundi. Ma collègue Ariane Lacoursière a obtenu en exclusivité les résultats d'une enquête réalisée par la Fédération des médecins spécialistes et le ministère de la Santé, qui sont allés voir, sur le terrain, pourquoi les listes d'attente pour les chirurgies étaient si longues.
Les conclusions de cette enquête-terrain, une excellente initiative, pour mieux comprendre le fonctionnement des blocs opératoires de nos hôpitaux, sont à la fois rassurantes et décourageantes.
Commençons par le positif. En faisant de petits gestes très simples et relativement peu coûteux, on pourrait réaliser 50 000 opérations de plus par année. Quand on sait qu'il se fait annuellement 440 000 opérations, cela représenterait une augmentation de plus de 11%. Il est donc possible, assez facilement, de s'attaquer à la sous-utilisation chronique des blocs opératoires et de réduire de façon significative les listes d'attente.
Ce qui est cependant décourageant, c'est que ces petits gestes, si évidents que c'en est gênant, ne soient pas déjà mis en pratique dans des institutions sophistiquées comme des hôpitaux. Ce sont des pratiques élémentaires, l'a b c de la productivité, habituelles pour des cliniques de physiothérapie ou des cabinets de dentistes, ou en fait n'importe quelle entreprise qui ne veut pas se retrouver en faillite.
Voici quelques exemples de choses simples qui permettraient d'utiliser davantage les salles d'opération.
- L'absence de mécanismes pour s'assurer que les patients aient subi, dans les jours qui précèdent l'intervention, tous les tests préalables nécessaires avant une opération, pour éviter qu'on soit obligé d'annuler l'opération quand il est trop tard pour proposer l'espace libéré à quelqu'un d'autre sur les listes d'attente.
- L'annulation d'opérations parce que le matériel n'est pas là, par exemple une prothèse de la hanche en réserve si celle qu'on veut poser est défectueuse.
- On ne peut pas faire autant d'opérations qu'on le pourrait parce qu'il n'y a pas assez d'instruments, et qu'on n'a pas le temps de stériliser ceux qui viennent d'être utilisés.
- Parfois, les chirurgiens fournissent la liste des opérations la veille. Il est trop tard pour faire le rappel des patients, et surtout, de remplacer ceux qui ne peuvent pas se présenter.
- Ou encore, on pourrait faire appel à des infirmières auxiliaires pour combler l'absence d'une infirmière. C'est plus délicat, mais cela éviterait des annulations.
Pourquoi ne le fait-on pas toujours? Au premier abord, bien des gens seront tentés de crier à l'incompétence, celle des administrateurs, celle des gestionnaires. Je ne crois pas que ce soit toujours le cas. On soupçonne des problèmes de coordination entre les différentes composantes de l'appareil hospitalier. Mais surtout, on peut voir dans ces incroyables manquements les effets de problèmes systémiques beaucoup plus profonds.
Le premier est de nature administrative, et c'est une philosophie de gestion du système de santé qui a reposé, depuis des décennies, sur le rationnement. Pour réduire les coûts de santé, on a réduit l'offre, moins de médecins, un plafonnement de leurs honoraires pour qu'ils posent moins d'actes. On a volontairement provoqué des situations où les listes d'attente s'allongeaient. C'est tellement enraciné dans les réflexes que le passage à une autre approche n'est pas naturel.
Le second est culturel. Notre système de santé est un monopole d'État, où il n'y a pas de concurrence et où l'idée de faire des efforts pour satisfaire et attirer des clients est tout à fait étrangère, puisqu'il y a toujours trop de monde de toute façon. Les listes d'attente ne sont pas une obsession. Cette indifférence, dans bien des cas, mène carrément au mépris. Le fouillis de la gestion des blocs opératoires ne fait pas qu'allonger l'attente, il multiplie les cas où des opérations sont annulées. À Montréal, nous dit le dossier d'Ariane Lacoursière, une chirurgie cardiaque élective sur deux est annulée à la dernière minute. C'est horrible pour les gens, qui attendent dans l'inquiétude, qui doivent se préparer, qui apprennent, souvent le jour même, que l'opération est reportée.
Le troisième est économique. Rien ne pousse un hôpital à augmenter ses opérations, bien au contraire. La réduction des listes engendre des coûts, de matériel, de personnel. Et dans notre système, les hôpitaux ne sont pas subventionnés par l'État à l'intensité de leurs activités. Une bonne gestion du bloc opératoire pénalise donc financièrement un hôpital.
Cette histoire, désolante, permet cependant une conclusion qui l'est moins. Il est encore possible d'améliorer le système de santé, de le rendre plus efficace, d'augmenter la productivité sans rien sacrifier, et de vraiment faire plus avec les ressources dont on dispose.


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