La frustration est grande au sein de l'UPAC

Commission Charbonneau


Fabrice de Pierrebourg et André Noël La Presse - L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a été créée, il y a neuf mois, pour coordonner le travail d'au moins six équipes d'enquêteurs et de vérificateurs provenant d'horizons différents, mais la plupart rechignent à partager leurs informations, a appris La Presse auprès de plusieurs sources. La frustration est grande.
Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a expliqué que l'UPAC regroupait des «ressources provenant de différentes unités d'enquête et de vérification ayant des mandats complémentaires» afin «d'assurer une coordination accrue et efficace».
Mais il n'y a pas de coordination sans communication. Or, selon nos sources, celle-ci fait cruellement défaut au sein de l'UPAC et la coordination ne serait que «médiatique». L'euphorie du départ a cédé la place à la désillusion. Des enquêteurs ou vérificateurs ne comprennent pas trop ce qu'ils font dans cet organisme dirigé par le commissaire Robert Lafrenière. C'est à reculons que certains ont emménagé dans les bureaux de l'UPAC, rue Fullum.
Selon le site du premier ministre, l'UPAC compte 189 employés. Selon notre décompte, fait à partir des données fournies par l'UPAC et ses unités, ils sont à peine 140. L'immense majorité (environ 130) travaillait déjà pour ses différentes composantes: Marteau, Revenu Québec, l'Unité anticollusion et les équipes de vérification de la Commission de la construction du Québec (CCQ), de la Régie du bâtiment et du ministère des Affaires municipales.
Ils sont détachés par leurs organismes et ministères pour travailler à l'UPAC et conservent leurs liens hiérarchiques originels. Ainsi, les vérificateurs de la CCQ dépendent de leur PDG Diane Lemieux, et les policiers de Marteau de Denis Morin, inspecteur à la Sûreté du Québec.
Seuls les enquêteurs-analystes de l'Unité anticollusion ont été intégrés par l'UPAC, peu avant que leur patron, Jacques Duchesneau, ne soit congédié par Robert Lafrenière. À cela s'ajoute une unité de quatre personnes chargée d'enquêter sur les représailles contre les dénonciateurs.
Régulièrement, les analystes provenant des différentes unités se rencontrent dans les bureaux de l'UPAC, au 1000, rue Fullum, à Montréal. Au départ, ces réunions avaient lieu chaque semaine. Ces rencontres tournent souvent au fiasco. «Le malaise est palpable, nous a dit une source. Des participants ne disent rien parce qu'ils n'ont rien à dire. D'autres ne disent rien parce qu'ils ne veulent rien dire. C'est le cas des représentants de Revenu Québec.»
Désormais, les réunions seront plus espacées, une fois par trimestre, dit-on. La même omerta règne aux réunions des comités des gestionnaires des unités. Là encore, Marteau et Revenu Québec seraient souvent muets comme des tombes pour ne pas compromettre leurs enquêtes en raison notamment d'une probable faille constitutionnelle.
Revenu Québec: situation délicate
Certaines enquêtes menées actuellement par l'UPAC et Revenu Québec pourraient en effet être compromises, une fois les accusations déposées. Les accusés pourraient invoquer l'arrêt Jarvis. Cette décision, rendue par la Cour suprême en 2002, souligne que les informations obtenues au cours d'une vérification fiscale ne peuvent pas être utilisées dans une enquête criminelle, sauf dans des cas bien précis. L'arrêt Jarvis permettra aux accusés d'invoquer la Charte des droits, même si la Loi sur l'administration fiscale a été modifiée pour ajouter l'UPAC à la liste des bénéficiaires de l'information recueillie par Revenu Québec. Concrètement, ces unités ne sont séparées que par des paravents dans les locaux de l'UPAC.
Revenu Québec croit en son bon droit: «La validité constitutionnelle de la communication de renseignements de nature fiscale par Revenu Québec à un corps de police a été confirmée par la Cour du Québec, le 14 novembre dernier, dans l'affaire The Queen v. Allan Rubin&Federal Commercial Metals», indique sa porte-parole, Valérie Savard.
Un éminent juriste consulté par La Presse est moins catégorique: «Le procureur-chef de l'UPAC [Me Sylvain Lépine] devra s'assurer que la preuve est admissible dans les dossiers où il y a eu partage d'informations dans un contexte de vérification fiscale, insiste-t-il. Il devra veiller à ce que le fonctionnement de l'UPAC ne contamine pas les preuves.»
Marteau sous pression
L'ambiance n'est pas non plus au beau fixe chez Marteau, maintenant baptisée Service des enquêtes sur la corruption, rouage essentiel de l'UPAC puisque chargée des enquêtes criminelles. Cette escouade compte 55 membres, en majorité des policiers de la Sûreté du Québec (SQ), ainsi que de Montréal, de Québec et de Longueuil (mais aucun de Laval, ville pourtant plus populeuse que Longueuil). Ils ne travaillent pas dans le même bâtiment que l'UPAC.
Des enquêteurs déplorent que leur travail soit orienté essentiellement vers le monde municipal. Et là encore, avant d'interroger le moindre conseiller municipal, ils doivent aviser leurs supérieurs, qui en informent le commissaire de l'UPAC. Ils se plaignent qu'on les oblige à réinterroger des suspects, sans aucune justification, et se demandent si ce n'est pas là une façon de ralentir leurs enquêtes et d'éventuelles accusations.
Enfin, l'incertitude continue de régner sur le sort du capitaine Éric Martin, numéro 2 et «âme dirigeante» de l'escouade, très apprécié de ses hommes pour son hermétisme aux influences et aux luttes de chapelle entre «verts» (SQ) et «bleus» (police de Montréal). Son successeur serait déjà connu, ce que nie la SQ.
Hydro cause des étincelles
Enfin, la présence de représentants d'Hydro-Québec dans les locaux de l'UPAC suscite des questions et un certain malaise. L'équipe d'enquête d'Hydro est dirigée par Mario Laprise, officiellement chef de la sécurité industrielle. C'est un ancien de la SQ, assez proche de M. Lafrenière pour l'appeler Laf. M. Laprise et un de ses collègues, Gaétan Guimont, chef des enquêtes et également ancien de la SQ, assistent à tour de rôle aux réunions.
M. Guimont a été présenté par M. Lafrenière aux analystes de l'UPAC lors d'une rencontre il y a moins d'un mois. «MM. Laprise et Guimond ne donnent aucune information sur Hydro-Québec, mais ils écoutent les autres, alors que font-ils là?», demande une source, rappelant qu'Hydro-Québec est une cible potentielle des enquêtes de l'UPAC. L'Unité s'est d'ailleurs rendue aux bureaux de la société d'État à la mi-octobre.
Hydro-Québec a indiqué à La Presse que la présence de son personnel se justifie puisque l'UPAC a élargi son mandat à cette société d'État et c'est à ce titre qu'il y a collaboration. «Hydro-Québec facilite leur travail en mettant à leur disposition les gens et les informations qui sont pertinentes à leurs recherches», indique Marie-Hélène Devault, d'Hydro-Québec.
Omniprésence de la SQ
Il y a quelques semaines, La Presse a reçu - et diffusé - une lettre à l'entête de la SQ qui faisait état d'allégations d'ingérence politique dans les enquêtes. Au cours d'entretiens séparés, quatre sources sont revenues sur le sujet. Toutes se demandent si le gouvernement n'utilise pas l'UPAC pour s'informer sur les enquêtes en cours et, si besoin, «mettre le couvercle» sur les dossiers chauds.
Le patron de l'UPAC, le commissaire Robert Lafrenière, relève de Martin Prud'homme, nommé sous-ministre associé à la Direction générale des affaires policières par le gouvernement Charest en 2009. Les deux hommes sont d'anciens cadres de la SQ et se connaissent bien; la fille de M. Lafrenière, elle-même policière, est la conjointe de M. Prud'homme. Elle a travaillé comme lieutenante chez Marteau.
Le commissaire associé aux vérifications de l'UPAC, Pierre Avon, et le directeur des opérations, Gilles Martin, sont eux aussi d'anciens cadres de la SQ. M. Avon relève directement du sous-ministre Prud'homme, qui se rapporte au ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil. Gilles Martin, lui, n'a pas le statut de commissaire associé.
Une division de l'UPAC, le Bureau des procureurs consacré à la lutte contre la corruption, relevait jusqu'à hier de Me Louis Dionne, directeur des poursuites criminelles et pénales et lui-même ancien cadre de la SQ. Il a été nommé, hier, juge à la Cour du Québec. Nos sources ont toutes signalé la prépondérance de la filière «verte» de la SQ, dont l'indépendance par rapport au pouvoir est souvent remise en question.


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