La fin de la tolérance

Politique étrangère et Militarisation du Canada

Le Canada encourage les groupes ethniques à valoriser leurs traditions et leur culture. Mais dans les moments de crise, cela conduit facilement au profilage racial...

Le 3 juin 2006, la nouvelle de l'arrestation, à Toronto, de 17 personnes «ayant choisi une idéologie violente inspirée par al-Qaida» a eu l'effet d'un coup de tonnerre. Faire sauter la tour de la Paix du parlement d'Ottawa? Enlever le premier ministre Stephen Harper? Le décapiter? C'était un peu gros!

Mais l'opinion publique était réceptive et peut-être un peu flattée de cette soudaine attention internationale. Une cellule terroriste à Toronto? Le Canada se retrouvait tout à coup dans la cour des grands. Après les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Espagne, voilà que Ben Laden s'intéressait à lui.

Les membres de la cellule de Toronto sont arabes et musulmans. Et le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a osé établir un lien entre les accusés et al-Qaida. Soudain, le beau rêve du multiculturalisme fut remis en cause. Les Canadiens, comme les Américains et les Européens, vivent dans la peur de l'attentat terroriste, et si tous les suspects appartiennent à une même communauté ethnique, la thèse du complot ethno-racial s'accrédite rapidement.

Les esprits se sont tellement échauffés que le premier ministre s'est senti obligé, devant le Forum urbain mondial, de calmer l'opinion publique. «Certains ont conclu [des arrestations de Toronto] que la société ouverte et multiculturelle du Canada nous a rendus plus vulnérables au terrorisme. À mon avis, c'est exactement l'inverse qui est vrai. Convenablement nourrie, la diversité du Canada est notre grand atout», a-t-il dit. Stephen Harper évoquait ainsi le dogme du ministère du Multiculturalisme, selon lequel «le Canada est la preuve qu'il est possible pour des hommes et des femmes de nombreuses races, religions et cultures du monde entier de vivre ensemble».

Mais ce pays n'a pas été exempt de dérapages. Il en a même une assez longue tradition. Les ressortissants japonais ou italiens furent accusés de sympathie avec les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des Québécois militant pour la cause indépendantiste ont été emprisonnés en 1970 pour complicité avec le Front de libération du Québec, une organisation dite «terroriste». Les Latino-Américains ont eu leur part de problèmes avec la GRC lorsque le Chili a été secoué par la révolution. Et depuis le 11 septembre 2001, les Arabes, musulmans ou non, se sont habitués aux doubles vérifications aux frontières, aux interrogatoires insistants, aux regards soupçonneux - surtout lorsqu'ils portent un sac à dos dans le métro!

Selon la Loi antiterroriste (C-36) adoptée juste après les attentats de 2001, un acte terroriste peut être commis «au nom d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique». Or, la politique du multiculturalisme encourage - voire subventionne généreusement - la participation des membres des communautés ethniques à des activités de nature politique, religieuse ou idéologique!

Révoquant carrément les droits accordés aux immigrants et aux réfugiés par Pierre Trudeau dans sa charte de 1982, le gouvernement canadien a donné à ses corps policiers des outils puissants, mieux adaptés à la menace exceptionnelle que représente le terrorisme international: arrestations préventives, témoignage forcé des néo-Canadiens sur leurs relations avec des groupes issus de leur communauté ethnique, délivrance de «certificats de sécurité».

Peu de temps après les arrestations de Toronto, le hasard a voulu que la Cour suprême entame une série d'audiences sur la validité de ces «certificats de sécurité», qui permettent la détention, au secret, de personnes soupçonnées de constituer une menace à la sécurité. Il se trouve que les cinq personnes dont les cas furent évoqués en Cour suprême étaient, encore une fois, d'origine arabe.

Bien qu'il n'y ait pas de rapport entre les deux événements, leur juxtaposition a déclenché un furieux débat, en particulier dans le reste du Canada, sur les menaces que représentent les groupes ethniques poursuivant ici les luttes politiques qui leur ont fait fuir leurs pays d'origine. Les Canadiens se sentent menacés par une politique d'accueil et de tolérance à la diversité qui risque de faire de leur pays un champ de bataille.

Les résidents canadiens qui font l'objet d'un certificat de sécurité ont toutefois la possibilité de renoncer à faire appel de leur expulsion et de quitter le pays immédiatement, de leur plein gré. Dans bien des cas, cela signifie retourner à la prison, à la torture, voire à la mort. C'est pourtant ce que leur a dit, en termes brutaux, le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day. Loin d'avoir déclenché une tempête de protestations, il s'est attiré un concert d'éloges.

La Loi antiterroriste est actuellement réexaminée au Parlement et les défenseurs des droits civils craignent que le gouvernement conservateur de Stephen Harper ne profite de ce climat pour resserrer les contrôles policiers sur certaines catégories d'immigrants et de réfugiés.


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