La FGTB wallonne contre la particratie

Chronique de José Fontaine

C'est en raison de l'histoire de la Wallonie que les syndicats ont fini par occuper une position éminente dans le jeu politique de la Belgique entière. On considère que l'affiliation des ouvriers aux syndicats tend vers 100% et vers 60% pour les employés. Il y a à cela plusieurs raisons explicitées brièvement [ici->ttp://www.references.be/carriere/pourquoi-le-syndicalisme-progresse-t-il-en-belgique]. Mais on n'y insiste pas assez sur l'origine wallonne cette spécificité.
L'histoire de la Wallonie
L'histoire de la Wallonie est rythmée par les interventions puissantes des syndicats. La première action capitale de la classe ouvrière sur la scène politique et sociale se produit en 1886 avec ce que l'on peut appeler une sorte de jacquerie qui ébranle tout le sillon industriel wallon de Liège à Mons et même Tournai au point que certains historiens émettent l'idée d'une Wallonie née de la grève.

Carl Strikwerda aux Etats-Unis a pu dresser un tableau des grandes grèves générales de la Wallonie. On doit en mettre trois en évidence outre la jacquerie de 1886 : la grève de 1893 qui arrache au parlement bourgeois une avancée importante vers le suffrage universel, la grève générale de 1950 contre Léopold III qui le force à abandonner le trône, la grève de 1960-1961 qui est au départ de l'autonomie wallonne. Le tableau de Carl Strikwerda est éloquent.
Le Mouvement populaire wallon

C'est durant l'hiver 1960-1961 que la revendication ouvrière se confond avec la revendication wallonne d'autonomie. Bien que déterminés à porter cette revendication avant même que la grève n'éclate, les leaders de la grève sont de plus en plus contraints à mettre cet objectif en avant dans la mesure où, après une dizaine de jours, seule la Wallonie continuait à lutter. Elle le poursuit encore plusieurs semaines. Le syndicat majoritaire en Wallonie est la FGTB, le syndicat socialiste où dès la grève contre Léopold III, l'aspiration wallonne est forte. Dans les années 50, la plupart des régionales de la FGTB en Wallonie réclament l'autonomie de la Wallonie et le fédéralisme. Dans un pays unitaire comme la Belgique, cette revendication avait quelque chose de scandaleux. On a montré d'ailleurs que les revendications exprimées par André Renard en plein coeur de la grève de 60-61 allaient bien plus loin que le fédéralisme dans la mesure où par ce fédéralisme ambitieux le leader wallon souhaitait parvenir en Wallonie à un contrôle public du crédit et de l'énergie.
Le 13 janvier 1961, les mandataires socialistes élus en Wallonie se réunissent (dans une ancienne commune de Namur à Saint-Servais), en assemblée représentative du peuple wallon par laquelle celui-ci exercerait le droit de disposer de lui-même. Renard aurait voulu que tous les élus au Parlement belge démissionnent, créant ainsi une situation politique inédite [On se demande parfois ce qu'aurait pu provoquer cette démission des mandataires socialistes wallons. Francine Kinet dans une thèse inédite analyse les choses comme suit : « La demande d'ouverture du "second front" et la démission des parlementaires socialistes wallons concrétiserait de façon symbolique, par le choc politique qu'elle produirait, le rassemblement de la classe ouvrière wallonne en lutte et de ses représentants socialistes contre la politique préconisée par le gouvernement et contre la structure unitaire de l'Etat belge. Mais cette réforme de l'Etat ne constitue pas un objectif à court terme. Elle suppose une révision de la Constitution. Pour une telle révision, il faut que les Chambres actuelles se prononcent sur une déclaration de révision de la Constitution, qu'elles soient ensuite dissoutes et que de nouvelles élections soient organisées pour désigner des Chambres constituantes. Pour obtenir la révision des articles de la Constitution, il faut une majorité de deux tiers. En clair, cela signifie que parlementaires et partis wallons et flamands doivent se mettre d'accord. Obtenir une réforme de l'Etat telle que le fédéralisme, par la voie légale, exige donc une stratégie d'alliances qui sort du cadre de la grève en tant que telle. Mais une dissolution des Chambres, du fait de la démission des parlementaires socialistes wallons [éventualité qui n'est pas assurée comme le remarque F.Kinet en note de bas de page] serait surtout une façon de terminer la grève [à "chaud" tout en empêchant le vote de la loi unique. » De toute façon, les mandataires socialiste wallons se divisèrent sur ette question.]]
La poursuite du combat autonomiste après la grève de 60-61
La revendication de l'autonomie wallonne devient, après la grande grève de 60-61, un objectif syndical. On assiste à des tentatives de diverses sortes comme l'organisation d'un pétitionnement en faveur de l'instauration du référendum populaire pour modifier la constitution. Les organisateurs du pétitionnement obtiennent un succès dépassant leurs attentes puisque plus du tiers des électeurs wallons signent la pétition qui se transforme ainsi en une pétition pour l'autonomie wallonne. L'establishment belge ignore complètement l'initiative dont les résultats avaient été connus en 1963. Pour cette raison et d'autres, les parlementaires socialistes liégeois entrent en dissidence ouverte. Le député namurois Massart quitte le Parti qui connaît une grave défaite électorale en Wallonie en 1965.
Les autonomistes wallons à la FGTB, au PS, chez les démocrates-chrétiens, dans les syndicats chrétiens, dans d'autres partis n'obtiennent finalement satisfaction qu'en 1980 avec la constitution d'une Wallonie autonome (la Région wallonne), disposant de peu de pouvoirs. Cependant au fur et à mesure et en entente avec les Flamands les Wallons gagnent l'élargissement des compétences jusqu'à ce que, en 1999, on en arrive à ce que les entités fédérées exercent 51% des anciennes compétences étatiques belges. Il aura fallu 38 ans pour arriver à une autonomie encore insuffisante mais tout de même consistante. L'époque est alors à un néolibéralisme qui n'était pas aussi durement critiqué qu'aujourd'hui. On disait que le vieux projet d'André Renard n'avait plus autant de sens avec la mondialisation et l'affaiblissement de la puissance étatique. Avec à sa tête Elio Di Rupo, les socialistes wallons adoptent alors une ligne politique de refus par rapport aux revendications autonomistes. Après les élections de 1999, Di Rupo ose lancer l'idée qu'il faut sauver la Wallonie pour sauver la Belgique. C'est évidemment cette orientation néolibérale et unitariste qui permet de croire qu'il n'existerait plus de force politique ou sociale importante en faveur de l'autonomie wallonne. Et qu'il n'existerait aucune force opposée aux tentatives néolibérales de l'Union européenne pour affaiblir encore les Etats et à long terme neutraliser la démocratie. Les autonomistes flamands sont, eux, pleinement néolibéraux, ne contestent pas l'Europe antidémocratique et ont déjà ratifié le traité européen d'austérité.
Un gouvernement wallon sans vision politique
Il existe heureusement toujours une FGTB wallonne [[La traduction du sigle FGTB est Fédération générale du travail de Belgique mais la FGTB est la première grande organisation sociale belge qui a adopté une structure calquée sur les trois Régions cela dès les années 60 et donc bien avant que l'Etat n'adopte la même structure. On dit simplement la FGTB wallonne entendant par là un syndicat qui est en somme un syndicat wallon qui a sa propre organisation tout en collaborant avec la Flandre et Bruxelles.]], car la FGTB belge a anticipé depuis longtemps sur la structure fédérale de l'Etat, on pourrait presque dire depuis 1950. L'accroissement constant des compétences de la Wallonie depuis une trentaine d'années renforce évidemment la position de ce syndicat en Wallonie.

Il est important de souligner les interventions de la FGTB wallonne dans la politique wallonne dans la mesure où, comme je l'ai montré la semaine passée, il n'y a pas de politique wallonne en raison des blocages de la particratie. Le Gouvernement wallon et le Parlement wallon gèrent effectivement la Wallonie. Mais par définition le pouvoir politique doit être ... politique. C'est-à-dire qu'il a à tenir un discours politique destiné à justifier son rôle sur la longue durée dans le temps et à justifier son rôle aussi dans l'espace à l'intérieur de la fédération belge et même au-delà puisque les ministres wallons siègent dans le Conseil des ministres européens. Mais comme cela est du ressort de l'Oligarchie des présidents de partis qui n'en débattent d'ailleurs pas sur la place publique, le public wallon ne sait rien de ce que pensent les dirigeants wallons en première ligne qu'il ne peut donc pas contrôler. L'opinion publique est seulement convoquée tous les cinq ans un dimanche de juin de 8h à 14h pour ratifier par élection les listes dressées par les présidents de partis. Certains estiment que le rôle des citoyens se limite à ces six heures tous les cinq ans.
La FGTB wallonne se substitue à l'impéritie du gouvernement wallon

On comprend que le secrétaire général de la FGTB wallonne doive intervenir. Par exemple pour dire que les dirigeants wallons n'ont pas de vision politique. Pour dire que le traité d'austérité que l'Europe veut imposer aux parlements nationaux et donc aussi au Parlement wallon va empêcher toute politique publique puisque les budgets ne pourront plus tolérer que des déficits mineurs. En tant que syndicaliste, Thierry Bodson pourrait être au moins auditionné par le Parlement wallon mais il refuse d'avance d'y être invité trois jours avant la ratification du traité le petit doigt sur la culture du pantalon. Pour lui il faut un vaste débat wallon sur cette question. Comme d'ailleurs aussi sur la façon dont la Wallonie va organiser ses futures compétences qui ont augmenté de 30 à 40%. Il n'y a pas de débat wallon au Parlement wallon sur ces questions. L'Oligarchie en décide!
Comme elle décide aussi de maintenir pour la Wallonie deux pouvoirs distincts du fédéral l'un s'occupant d'enseignement ou de culture et l'autre du reste des compétences, chose unique au monde. L'impéritie des autorités wallonnes se mesure au fait qu'elles considèrent que pour garder un lien avec les Bruxellois francophones, (ce n'est pas absurde de le vouloir), il faut que, en Wallonie, il y ait, en plus de la Wallonie, une Communauté française qui s'occupe des matières (comme l'enseignement) communes en partie à la Wallonie et Bruxelles (et ça, c'est absurde, complique tout et, plus que tout, constitue le principal atout permettant à l'Oligarchie de se maintenir dans un paysage politique emberlificoté dont elle tire les ficelles). Car sous prétexte d'union, on rend infiniment complexe le fonctionnement de la Wallonie qui, en plus du gouvernement fédéral, devrait avoir deux autres gouvernements soit celui de la Wallonie et celui commun à la Wallonie et à Bruxelles. Le syndicaliste wallon rejette cette dualité catégoriquement. Mais nous le faisons aussi depuis 1983 avec un groupe .
Certaines oeuvres humaines demandent du temps, celles qui en valent la peine.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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