La Fédération des chambres de commerce du Québec frappe encore

Gauche-Droite : le débat


Dans un mémoire présenté le 14 février dernier à la Commission parlementaire sur le projet de loi 34, Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, la Fédération des chambres de commerce du Québec dénonçait la volonté gouvernementale de reconnaître comme une priorité nationale l’occupation dynamique des territoires et d’aider les communautés dévitalisées ou en difficulté par des mesures spécifiques. Le 17 juin 2011, dans une lettre ouverte intitulée [Trop de pouvoir aux régions->45661], parue dans La Presse, la Présidente de la FCCQ, madame Françoise Bertrand, contestait le rôle « disproportionné » des instances locales et régionales (municipalités et MRC) dans les prises de décision à caractère économique, concluant « qu’il est extrêmement difficile de continuer d'avoir foi au développement économique du Québec ».
Mettant en question la volonté gouvernementale d’attribuer plus de pouvoirs aux instances territoriales dans le développement économique, la FCCQ prêche pour une gouvernance centralisée des affaires publiques, une position tout à fait dépassée et contraire à la marche lente mais inéluctable de la société québécoise vers une véritable décentralisation, comme cela se fait dans un nombre croissant de pays depuis la fin des années 70 : un mode de gouvernance qui responsabilise les élus municipaux et régionaux, les reconnaissant comme des partenaires à part entière dans la gestion des affaires publiques, notamment celles qui concernent la vie régionale et locale.
La lettre du 17 juin poursuivait sur une autre critique : « la notion d'acceptabilité sociale ne doit pas être interprétée comme une façon de permettre à une minorité ou à des groupuscules organisés de bloquer les projets industriels ». En plus d’être démagogiques, ces propos trahissent une méconnaissance et la négation du rôle de la participation citoyenne dans le processus décisionnel des grands projets industriels qui concernent la collectivité globale.
Grâce à cette participation citoyenne, de plus en plus sensibilisée, informée, documentée et mobilisée, les « balises » gouvernementales et du secteur privé sont questionnées et des paramètres d'analyse additionnels sont pris en compte et introduits dans l'équation. Ce qui a permis de repenser plusieurs projets au cours des dernières années, pour le plus grand bénéfice d'une société durable. Les industriels et autres gens d’affaires apprennent à conjuguer avec cette nouvelle donne de l’intervention citoyenne dans les domaines économique, sociale et culturel, et nombre d’entre eux adoptent un comportement d’entrepreneurs responsables.
Le terme « groupuscule » utilisé par les tenants du « tout-économique », cache mal le mépris entretenu à l'égard de l'action citoyenne. Le développement durable est un projet de société, voire un devoir planétaire. Les propos que la FCCQ proclame en amont des messagers du gaz de schiste, des ports méthaniers (tel Rabaska), des parcs éoliens tous azimuts, du harnachement de nos rivières, etc., font la preuve que le développement durable ne peut avoir pour seule assurance les bonnes intentions affirmées du secteur privé et des gouvernements. Plus que jamais, la vigilance et la sensibilité environnementale de la population doivent être appréciées et mises à contribution dans les décisions qui concernent l’intérêt collectif. C’est un acquis précieux pour le Québec que nous léguerons à nos enfants et petits-enfants.
Le Mémoire de 25 pages présenté le 14 février sur le projet de loi 34, est une charge ahurissante à l’endroit des communautés dévitalisées ou en difficulté de développement que l’on considère comme un lourd handicap dans l’équation de la « performance économique » du Québec, handicap auquel les attentions d’aide gouvernementale ne sauraient être plus longuement prodiguées. Sans gêne on écrit : « Il existe dans ces municipalités un bassin de main-d’oeuvre inoccupée. Le coût de ce chômage se mesure non seulement en prestations d’assurance-emploi et d’assistance emploi, mais aussi en opportunité économique non exploitée. (…) La base de l’intervention de l’État, c’est le développement économique. (…) il ne faudrait pas que, par sa Stratégie d’occupation du territoire, «partout au Québec», le gouvernement veuille créer une illusion de développement ».
Si certains éléments du Mémoire de la FCCQ (besoins d’infrastructures, d’équipements et de services publics pour mettre les territoires en état de produire) sont de nature à bonifier la Stratégie gouvernementale pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, ils sont fondus dans un réquisitoire aux bases à la fois discriminantes, surannées, obsolètes et étonnamment déconnectées de réalités économiques et sociales qui contribuent aujourd’hui à recomposer plusieurs territoires du Québec. Le desserrement des villes, la dématérialisation de plusieurs secteurs de l’activité économique, l’attrait d’une meilleure qualité de vie, le travail à distance, la mobilité croissante des biens, des services et des personnes, etc., sont autant d’évolutions nouvelles qui obligent à revoir nos modèles de développement et les rapports de l’activité économique avec l’espace (pour ne s’en tenir ici qu’à la seule dimension économique de la vitalité des territoires).
Lorsque « la Fédération s’interroge s’il n’y aurait pas de meilleures façons de garder un territoire vivant sans recourir uniquement au soutien gouvernemental », elle dissimule mal le sarcasme et le mépris.
Lorsqu’elle écrit : « la FCCQ dit oui à l’occupation raisonnée des territoires quand celle-ci est motivée par des raisons d’ordre économique », les constats de territoires dévitalisés que révèlent les tableaux de ses pages doivent-ils conduire à la désoccupation de ceux-ci? Ce qui n’est pas sans rappeler un triste épisode de 1995 alors qu’André Bérard, président de la Banque Nationale, avait soulevé tout un tollé en déclarant dans un discours à saveur néolibérale devant le Canadian Club à Ottawa, que les régions qui n'avaient que du travail saisonnier à offrir à leur population devaient se résigner à fermer. L’existence de territoires occupée tient-elle essentiellement à la capacité de production et de consommation de ses habitants ? Les difficultés vécues sur un territoire sont-elles immuables, irrémédiablement insurmontables et condamnables, vestiges d’une époque révolue ? La valeur et la contribution d’une communauté territoriale au développement de la société québécoise s’évaluent-elles essentiellement en termes économiques ?
Il est regrettable qu’un organisme comme la FCCQ fasse preuve de si peu de vision, de si peu de solidarité territoriale et, plus fondamentalement, de si peu de compréhension des évolutions récentes et en cours à la base des forces de construction et de recomposition des territoires du Québec.
Le Québec de demain se construit avec nos villes, nos villages et nos régions. Il est désolant de constater que la FCCQ adopte un discours d’arrière-garde pour défendre les intérêts de ses membres. Mais la principale critique viendra peut-être de la base. La Chambre de commerce de Rivière-du-Loup a déjà signifié qu’elle se dissociait du mémoire de la Fédération.
***
Bernard Vachon, Ph.D.
Professeur à la retraite du département de géographie de l’UQAM
Spécialiste en développement local et régional
Québec, 27 février 2012
vachonb@gmail.com

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Bernard Vachon, Ph.D.

Spécialiste* en développement local et régional

*Professeur à la retraite du département de géographie de l'UQAM, l'auteur réside à Québec ainsi que dans le Bas Saint-Laurent





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    28 février 2012

    Les yuppies colonisés des chambres de commerce sont souvent victimes de leur haine des classes populaires dans leurs déclarations.
    Ainsi, ils ne peuvent formuler une prise de position raisonnable sous l'influence de ce sentiment de haine.
    Pour eux, toute la société doit être conditionnée de façon à faciliter l'enrichissement de leur classe socio-économique.
    Le regretté Michel Chartrand, lui qui était sensible aux besoins de ses semblables, et en particulier aux besoins des plus démunis, proposait un revenu de citoyenneté universel afin que tous puissent mener une existence décente et être heureux au Québec.