En marge de la Conférence nationale de Solidarité rurale, Bromont 20-22 mars

Enjeux et défis de la nouvelle ruralité

Le puissant désir de campagne : une chance à saisir avec vigilance

Tribune libre

Bernard Vachon, Ph.D.
Professeur retraité du département de géographie de l’UQAM
Spécialiste en développement local et régional

Déprise agricole et exode rural ont marqué l’évolution des territoires ruraux au cours des 50 dernières années. En 1931 il y avait 136 000 fermes au Québec pour une superficie agricole totale de 17.3 millions d’acres.
En 2006 celles-ci avaient été réduites à 30 675 fermes et à 8.6 millions d’acres. Cinq ans plus tard, en 2011, le nombre de fermes n’est plus que de 29 437, soit 39 % de moins qu’en 1981 et la superficie agricole a chuté à 8.3 millions d’acres.
Parallèlement, la population agricole n’a cessé de diminuer : en 2006, elle ne représente plus que 5.7 % de la population rurale du Québec et 1.2 % de la population totale. Ce secteur d’activité est par ailleurs très inégalement réparti sur le territoire : 54% des fermes, 55% des emplois agricoles, 60% du PIB agricole et 64% des revenus agricoles sont concentrés dans les régions de la Montérégie, du Centre-du-Québec et de Chaudière-Appalaches.
Les méthodes culturales modernes, hautement mécanisées, contribuent à accroître les rendements à l’hectare mais diminuent d’autant les besoins en main-d’œuvre. Grand consommateur d’espace, le secteur agricole génère de moins en moins d’emplois.
Ainsi, l’agriculture ne fait plus la ruralité. L’affaiblissement du secteur agricole est progressivement compensé –à des rythmes variables selon les régions– par l’essor d’autres fonctions.
Lieu de résidence, cadre de vie, activités de transformation, économie du savoir, travail à distance, loisirs, préservation du milieu naturel, mise en valeur des potentiels énergétiques et autres ressources naturelles sont autant de fonctions qui partagent désormais l’espace rural avec l’agriculture.
L’occupation et la vitalité des territoires ruraux sont aujourd’hui largement tributaires de la présence et du développement de cette multifonctionnalité, mais aussi de la qualité de vie qu’on saura y préserver.
Les évolutions économiques, sociales et technologiques en cours créent les conditions de mutations profondes des territoires ruraux dans un nouveau rapport ville-campagne. L’attractivité reconquise des milieux ruraux conjuguée aux dysfonctionnements de la grande ville, procure des opportunités de relance pour nombre de communautés rurales.
Le désir de campagne peut toutefois constituer une menace à l’identité de la ruralité. Les nouveaux modes d’emploi des espaces ruraux font naître des espoirs et des enjeux qui soulèvent de nombreux défis.
Le Québec du XXIe siècle recompose son occupation du territoire par la reconquête des campagnes
L’espace rural se transforme, ses activités se diversifient, sa population composée d’une proportion de plus en plus importante d’ex-citadins se stabilise ou s’accroît et se fait hétérogène; à plusieurs endroits il subit les empiètements de la ville et de son modèle d’édification.
Faute de vigilance, de vision et de mise en œuvre de mesures appropriées, le monde urbain imposera son style, ses formes et sa dynamique, se substituant progressivement (ou brutalement) aux particularités fondamentales de la ruralité, source de son attractivité reconquise : taille et densité limitées des peuplements, part importante des milieux naturels dans l’utilisation du sol incluant les pratiques agricoles, aménagement de l’habitat et architecture adaptés au milieu, relations interpersonnelles conviviales et esprit communautaire, accès aisé à des activités de plein air, de jardinage et de petits élevage, etc.
L'espace rural est une réalité que tout nouveau résident issu de la ville sait parfaitement caractériser : il se définit davantage dans sa dimension « spatiale », c'est-à-dire par le cadre de vie qu'il offre et sa façon d’habiter le territoire, plutôt que par ce qu'on y fait. Nier cette spécificité ou la banaliser reviendrait à nier les composantes patrimoniales, culturelles, naturelles, environnementales, voire « rééquilibrantes » ou compensatoires qu'offre l'espace rural à une part très significative, et croissante, de la population du Québec.
Le maintien de la ruralité dans les campagnes est un leitmotiv à promouvoir et à défendre, refusant les scénarios de la « ville à la campagne ». La modernité n’est pas exclusive à l’urbanité et sa présence en milieu rural n’est pas forcément signe d’un processus d’urbanisation. Il faut désormais apprendre à gérer la modernité rurale tout en lui assurant un visage et une dynamique qui lui soient propres. La campagne n’est pas un espace en attente d’urbanisation.
Promouvoir un aménagement spécifique des territoires ruraux
L’avènement d’un « urbanisme rural » appuyé par des lois et politiques nationales à caractère culturel, patrimonial et paysager, contribuerait à protéger, à mettre en valeur et à pérenniser ce qui peut être considéré comme les caractéristiques fondamentales de « l’habitat rural ».
La capacité d'imaginer, d’inventer et de proposer des campagnes est précieuse pour le Québec. Le monde rural dessine aujourd’hui un modèle de vie alternatif et moderne. Pour faire le Québec du XXI e siècle, la ruralité est désormais un lieu et un acteur incontournables.
Après plusieurs décennies d’abandon et de « maltraitance », la campagne est non seulement rêvée et convoitée, mais reconquise, réanimée et redéfinie. Alors que se manifeste ce puissant désir de campagne, le temps est venu de donner un socle solide à ce renouveau de la ruralité.
Si le Québec des années 1950 à 2000 a été celui du monopole industriel et urbain accompagné du déclin rural, celui des décennies qui suivent fera une large part à la « nouvelle ruralité » dans une démarche de complémentarité et de solidarité avec la ville.
L’ère postindustrielle (qu’on appelle aussi ère informationnelle) dans lequel nous sommes engagés, modifie profondément la structure économique et les logiques de localisation, entraînant la reconfiguration de l’organisation et de l’occupation de la mosaïque territoriale partagée entre villes et campagnes.
La révolution numérique, les nouvelles technologies de l’information et des communications, la dématérialisation de larges secteurs de l’activité économique, le coût et les dysfonctionnements de la grande ville, la montée des valeurs écologiques, sont autant de paramètres à la base de l’attractivité des campagnes et de la reconquête des territoires ruraux.
Oser des politiques territoriales vigoureuses pour un Québec fort de ses campagnes
Il s’agit non seulement de protéger les territoires ruraux, mais également de les développer. La ruralité a besoin de nouveaux projets en termes d’activités et d’emplois, d’habitations et de services, de culture, de sports et de loisirs, pour que l’occupation du territoire rural signifie habiter pleinement un lieu, non en résistant ou en marginal, mais en citoyen de plein droit. Une ruralité actuelle, dynamique et inédite.
Il faut notamment permettre à ceux qui font le choix de s’installer à la campagne – familles et entreprises –, d’avoir accès à des services publics, à des soins de santé, à des réseaux de téléphonie mobile et d’internet qui ne soient pas en décalage préjudiciable par rapport à ceux offerts dans les villes. Poursuivre l’édification d’un « cadre législatif identitaire » à plusieurs volets pour sauvegarder et promouvoir la spécificité de la ruralité à travers ses forces de renouveau. Le Québec de demain se construit aussi

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Bernard Vachon, Ph.D.

Spécialiste* en développement local et régional

*Professeur à la retraite du département de géographie de l'UQAM, l'auteur réside à Québec ainsi que dans le Bas Saint-Laurent





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2 commentaires

  • Jean-Pierre Bélisle Répondre

    25 mars 2013

    Citadin, je ne suis pas spécialiste de la ruralité. Je perçois néanmoins le régime de propriété des terres agricoles comme l'enjeu stratégique de notre souveraineté alimentaire pour les décennies à venir.
    Malgré la loi et ses règlements visant à protéger notre patrimoine agricole, le capital foncier agricole ne m'apparait pas suffisament protégé contre l'accaparement des terres par des personnes morales et des personnes physiques non-résidantes.
    La lecture d'un certain nombre de décisions rendues par la Commission de protection du territoire agricole du Québec me convainc qu'en cette matière, les critères de "résidence" sont à ce point souples qu'ils encouragent un laxisme évident, tragique à moyen terme.
    Il me semble également pertinent de souligner avec déférence, que la question que vous abordez, en seulement mille mots il est vrai, ne mentionne aucunement les pouvoirs constitutionnels fédéraux incidents en la matière. Notamment, par exemple, la possibilité d'exproprier des terres agricoles québécoises pour autoriser la construction d'aéroports publics ou privés, sans que le gouvernement du Québec ait à redire.
    À mes yeux, "Les défis de la nouvelle ruralité" ne peuvent être vraiment relevés que dans le cadre d'un Québec indépendant. J'ai mal à comprendre que cette variable soit absente de votre texte.
    JPB
    --
    P.s. Je ne mentionne pas ici toutes les embûches posées par l'État québécois pour empêcher "le Terroir" de faire compétition aux "grands" comme Saputo, ou encore au monopole de la SAQ. Mais c'est un autre aspect de notre aliénation économique.
    --

  • André Taillon Répondre

    24 mars 2013

    Retrouverons nous dans le retour à la terre, gens du Plateau vendez vos maison.
    J’ai une fibre qui m’interpelle constamment, celle de vivre hors du paramètre pré établie, hors des sentiers battus.
    Bref me retrouver et vivre ce qu’il y a de plus simple au monde, l’amour de la nature, la bonne bouffe en famille , et les gens qui sont vrai, vrai comme le vrai monde, monde s’il en reste, celui qui voudrais bien comprendre pourquoi!!
    Nous avons tous des BBQ l’été et des partis et rencontre entre nous pour connaitre nos aspirations. Avons-nous vraiment le temps pour discuter des vrais ENJEU? Votre article est plus que pertinent, ferait tel éco aux oreilles bouchées?
    Je ne sais plus et je suis désemparé face à la vision de notre peuple. S’il en reste.
    André.