Bataille pour le "modèle nordique"

"Le modèle nordique est un modèle social-démocrate."

Gauche-Droite : le débat


Le modèle nordique est-il de droite ou de gauche ? La question peut paraître absurde tant la notion de modèle nordique semble intrinsèquement liée aux impôts élevés, à un vaste secteur public et à des syndicats puissants, bref, à des notions de gauche, et, en l'occurrence, sociales-démocrates, la version cogestionnaire et favorable au marché du socialisme. Mais la droite nordique, au premier plan de laquelle la droite suédoise, au pouvoir depuis 2006, sème le doute et tente désormais de gommer la patine sociale-démocrate sur ce concept très vendeur dans le monde.
La menace est telle que le Parti social-démocrate suédois a déposé il y a un an auprès de l'Agence nationale des brevets à Stockholm une demande pour enregistrer le nom "Modèle nordique". Et il vient d'avoir gain de cause, ce qui signifie que, pour la décennie à venir, personne d'autre n'a le droit d'utiliser ce concept pour son marketing.
Ces précautions sont visiblement nécessaires. Fin janvier, les responsables de tous les partis sociaux-démocrates et des centrales syndicales de même obédience des pays nordiques s'étaient réunis pour lancer pour la première fois un vaste programme commun de recherche pour réinventer un nouveau modèle nordique à l'horizon 2030.
Durant les deux ans à venir, un groupe de chercheurs indépendants va analyser et tester différentes solutions d'Etat-providence. Et Jens Stoltenberg, le premier ministre travailliste norvégien, avait cru bon de marteler à la tribune : "Le modèle nordique est un modèle social-démocrate." Cela avait manifestement besoin d'être rappelé.
Mais cette vision est contestée par Fredrik Reinfeldt, le premier ministre conservateur suédois. "En Suède, ce qui a été de première importance est l'équilibre créé avec les paysans indépendants qui ont jeté les bases d'activités de nombreux petits entrepreneurs, le respect pour la propriété privée et les expériences de libre-échange dès les années 1850, avant que nos partis politiques n'existent, a déclaré Fredrik Reinfeldt au Monde en réponse à l'affirmation de son collègue norvégien. Ensuite, il y a une discussion sur la façon dont doit être façonné le secteur du bien-être financé par l'impôt, mais, pour moi, ce doit être pour libérer les gens, créer les bases de façon que chacun puisse vivre sa propre vie en fonction de ses propres conditions."
La bataille pour le modèle fait rage, au point que Fredrik Reinfeldt hésite à utiliser le mot pour se démarquer tout de même. "J'ai parfois l'impression que cette histoire de modèle est très sensible. Et parfois ça reflète plutôt des choses qui vont mieux dans un musée, une façon qui décrit une chose du passé ou une situation vers laquelle on tente de retourner", disait-il au Monde.
Mais les tentatives de détournement du concept sont nombreuses. Dernier exemple en date, les 8 et 9 février, Fredrik Reinfeldt recevait à Stockholm ses collègues nordiques, baltes ainsi que le premier ministre britannique, David Cameron - initiateur de ces rencontres en 2011 - pour un mini-sommet informel, "Northern Future Forum", consacré à la place des femmes et des seniors sur le marché du travail. Une brochure sur le "Nordic Way", rédigée en 2011 avant le sommet de Davos, était à nouveau distribuée, racontant une version du modèle nordique un peu revue à la sauce libérale. Et des historiens interprétaient plutôt ce fameux modèle comme l'expression d'un "individualisme extrême". Le modèle serait là surtout pour libérer l'individu et le rendre moins dépendant de sa famille, par exemple. Bref, les aspects collectifs sont gommés.
Il n'était pas anodin que, pour faire poids, les trois pays baltes soient aussi invités. Sur le plan social, ces pays, engagés dans le libéralisme à marche forcée depuis vingt ans, n'ont pas grand-chose à offrir en termes de modèle. Mais cela permettait un rééquilibrage politique de l'Europe du Nord plus fréquentable pour David Cameron, puisque trois pays nordiques sur cinq sont à gauche.
Le Parti conservateur suédois en fait parfois un peu trop pour se parer des vertus du modèle. A l'automne 2011, Sofia Arkelsten, secrétaire générale du Parti conservateur, a ainsi été épinglée pour révisionnisme lorsqu'elle a affirmé que les conservateurs s'étaient battus en faveur du droit de vote des femmes au début du siècle dernier (ils s'y sont en fait opposés) et avaient milité contre l'apartheid en Afrique du Sud, ce qui est également une contre-vérité historique.
Il reste que la droite nordique a joué cette carte avec succès ces dernières années. On voit une accélération du phénomène, et la moindre chronique signée par des responsables sociaux-démocrates engendre, dans les jours qui suivent, une contre-initiative conservatrice vantant les vertus du modèle.
En Suède, la droite a conquis le pouvoir en 2006 en empruntant largement la rhétorique sociale-démocrate et en se présentant comme le nouveau parti des travailleurs. Fredrik Reinfeldt a compris qu'il avait tout à gagner à vanter les bienfaits du modèle nordique et à dire qu'il le défendait, quitte à l'égratigner dans les faits.
Pour les sociaux-démocrates, il faudra un peu plus qu'un concept protégé auprès de l'Agence des brevets pour remonter la pente.
truc@lemonde.fr
Stockholm, correspondance


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