La révolution incertaine - I

La faillite des conservateurs

Le pouvoir conservateur vacille. Il en est d’autant plus dangereux.

Économistes atterrés

Le mois d’août 2011 restera sans doute dans les mémoires. Il connaît une crise boursière d’une ampleur inégalée, un crime sans précédent en Norvège et des émeutes d’une gravité extrême en Grande Bretagne.


Ces événements sont liés et ils traduisent un malaise profond et les débuts d’un bouleversement radical. Rappelons-nous la Tunisie. C’est la misère qui a soulevé le peuple. Tout a commencé par un sacrifice : le jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi s’immole par le feu pour dénoncer l’injustice. Un peuple entier se révolte et renverse son dictateur.

Mark Duggan n'est pas Mohamed Bouazizi, mais ils ont des points communs...


En Grande Bretagne, c’est un jeune homme de 29 ans, Mark Duggan, qui a été tué jeudi 4 août lors d’un échange de tirs, dans des circonstances pas très claires avec la police dans le quartier nord de Tottenham. C’est le déclencheur ! Une manifestation le samedi 9 août réclame « justice » et tourne à l’émeute. Par après, plusieurs quartiers de Londres s’embrasent. La situation devient insurrectionnelle et incontrôlable. Le Premier ministre, le conservateur David Cameron, écourte ses vacances et tient un discours ultra sécuritaire en augmentant considérablement les forces de police sur le terrain. Le feu se répand dans les principales villes anglaises : magasins, voitures, et même immeubles d’habitations brûlent. Du jamais vu, puis les choses se calment quelque peu. L’épuisement et le quadrillage policier finissent par produire leurs effets.





Cependant, rien n’est résolu, tout peut reprendre demain et chacun le sait. L’Angleterre vit sur un volcan qui peut se réveiller à tout moment. Or, dans cette actualité agitée, la mémoire s’étiole. Il y eut des signes avant-coureurs et pas seulement en Grande Bretagne. Comme le rappelle le site « Mediapart », « Il y a eu, depuis janvier et un peu partout dans le monde, un petit millier d'événements de gravité diverse, qui ont des caractères communs d'affrontements entre les gens, les forces de police et les États. De ce point de vue là, les émeutes de Londres s'inscrivent dans l'air du temps. »


On peut épiloguer pour savoir si ces émeutes sont de la voyoucratie ou l’expression d’un malaise social, ou encore le dépit de communautés étrangères rejetées. La réalité est que depuis quelques années, dans un grand nombre de pays, ce phénomène est récurrent et que l’on refuse d’en analyser sérieusement les causes.




La réalité est que la périphérie londonienne devient un cloaque invivable. Lors d’un colloque consacré à la pauvreté organisé par l’association européenne de la pensée libre au siège de la Commission européenne à Bruxelles, en janvier 2011, un professeur de la London School of Economics, David Piachaud, a donné cette image : Si vous prenez le métro du centre de Londres dans la direction du site olympique, chaque fois que vous passez une station, vous perdez un an d’espérance de vie !


Comme dans la banlieue parisienne, comme dans les « quartiers » à Bruxelles, comme dans toutes les villes d’Europe, rien n’est fait pour améliorer les choses.


Il y a d’abord les politiques d’austérité imposées par la dictature des marchés financiers et des banques qui grèvent les budgets sociaux, pire, qui détruisent l’Etat social, fruit de longues luttes sociales qui est la marque même d’une civilisation où la justice prend pour la première fois dans l’histoire une dimension sans pareil. Va-t-on laisser détruire cela, au nom des sordides intérêts d’une minorité ? Ensuite, les banques contrôlant pratiquement toute l’économie depuis l’énorme pouvoir qu’elles ont prises grâce à la crise financière, rendent très difficile la mise en œuvre de politiques de lutte contre la pauvreté.


La débâcle financière a déclenché une offensive idéologique dont l’objet est la suppression de l’Etat providence et l’affaiblissement jusqu’à leur disparition des organismes publics. On s’aperçoit d’ailleurs que la capacité des Etats à influencer le cours des choses s’amoindrit. On vient de le voir pour l’Euro où les sommets européens successifs n’ont servi à rien et les fameuses agences de notation mènent la danse. Les responsables politiques n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Un autre symbole de la déliquescence de l’Etat est la constitution de groupes d’autodéfenses privés qui se substituent aux forces de police avec l’approbation tacite du pouvoir conservateur. Il s’en réjouit même : les gens se prennent en charge, ce n’est plus l’Etat qui doit les protéger. C’est là toute l’idéologie !





Des groupes d'autodéfense se substituant à la police : c'est ce que veulent les conservateurs.


Ensuite, il y a la généralisation des politiques sécuritaires et autoritaires. Le drame du 11 septembre 2001 a servi de prétexte à l’adoption du « Patriot Act » aux Etats-Unis qui, sous prétexte de « guerre contre le terrorisme », a considérablement retreint le champ des libertés publiques et la sécurité des individus. La plupart des autres Etats ont suivi dans le même sens. D’ailleurs, chaque fois que les forces de l’ordre ne parviennent pas à rétablir la paix civile, elles se proposent à restreindre les droits. Ainsi, quid du secret des communications téléphoniques quand la police anglaise veut pouvoir décrypter tous les SMS transmis via des Blackberry ?



Le 30 juin, il y eut à Londres une manifestation monstre contre l’austérité imposée par le pouvoir conservateur. Elle s’est terminée par des affrontements, ce qui est rare en Angleterre. Auparavant, il y eut des mouvements d’étudiants protestant contre l’énorme augmentation des minervaux et qui s’achevèrent par la mise à sac du siège du parti conservateur. Du jamais vu, là aussi.




Du jamais vu, c’est aussi le plan d’austérité de Cameron à côté duquel la période Thatcher fut un paradis… Et « Mediapart » d’ajouter : « On a là, sur différents fronts sociaux, une incapacité à tenir un dialogue politique de la part du pouvoir – ou une volonté, peut-être, de ne pas le faire – qui conduit les gens à se faire entendre autrement. Ce qui est pour l'instant un phénomène assez européen et qu'on ne retrouve pas ailleurs, c'est la séparation des choses. Il y a, d'un côté, des étudiants qui se sont affrontés avec la police pour s'opposer aux réformes universitaires britanniques et, d'un autre, les émeutes de ces trois derniers jours. Ces deux événements apparaissent encore, subjectivement et politiquement, au Royaume-Uni, comme des phénomènes séparés. Ce qui n'était pas le cas en Tunisie, en Égypte ou au Sénégal. Dans ces pays-là, une jonction s'est faite entre la jeunesse populaire la plus pauvre et la jeunesse plus aisée. »


En effet – et c’est la faiblesse du mouvement des « indignés » – il n’y a rien de commun entre les jeunes étudiants et même les jeunes chômeurs qualifiés et les jeunes des « banlieues » et « quartiers » totalement marginalisés, quasi illettrés, à la merci des dealers, sans aucun espoir, si ce n’est une société parallèle en conflit constant avec la société « légale », elle-même en déliquescence.



Les émeutes de Londres et les indignés (ici à Paris) : jusqu'à présent, pas les mêmes méthodes.

L’arrogance des conservateurs au pouvoir un peu partout cache mal ce cuisant échec. Ils ont voulu détruire l’Etat, ou plus exactement marginaliser le peuple, au profit d’une classe à la richesse et aux pouvoirs exorbitants. Mais tout cela est assis sur du sable. Les pouvoirs sont limités lorsqu’ils ne parviennent pas à contrôler une partie importante de la société. La richesse repose sur les artifices de la spéculation et est donc fragile.



Le pouvoir conservateur vacille. Il en est d’autant plus dangereux.


Pierre Verhas


Prochain article : La révolution incertaine : II. La débâcle financière annonce une révolution, mais laquelle ?


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