Alors que les effluves électoraux imprègnent l'air du temps, il peut s'avérer utile de revenir sur l'empreinte durable sur le Canada laissée par la dizaine de budgets qu'ont présentés les ministres des Finances conservateurs Jim Flaherty et Joe Oliver.
Entre autres réformes, il y a eu des baisses de l'impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés ainsi que de la taxe sur les produits et les services.
Il y a eu aussi instauration puis augmentation des montants admissibles au compte d'épargne libre d'impôt (CELI).
Il y a eu fractionnement du revenu des ménages avec enfants à charge.
Il y a eu plafonnement de l'augmentation des paiements de péréquation et des transferts canadiens en santé à la croissance de l'économie (le PIB nominal).
Il y a eu augmentation et élargissement de la prestation universelle pour garde d'enfants.
Il y a eu enfin compressions dans les dépenses directes d'Ottawa, comme en font foi les coupes à Radio-Canada, à Postes Canada ou dans les services d'inspection sanitaire ou de salubrité environnementale.
Au-delà de toutes ces mesures, et la liste n'est pas exhaustive, le gouvernement a poursuivi sans relâche une stratégie en trois points, énoncée dès 2006, rappelle Jean-Pierre Aubry : maintien de faibles surplus budgétaires pour éviter qu'un futur gouvernement non conservateur ne puisse se lancer dans de nouveaux programmes de dépenses ; gestion serrée des dépenses (re)centrée sur les compétences fédérales et réduction de la charge fiscale avec pour objectif de réduire la taille de l'État.
C'est ce dernier point qui reste l'objectif ultime, bien qu'il soit fort enrobé dans le discours politique.
« Le gouvernement fédéral a beaucoup plus de facilité à avoir le support de l'électorat canadien pour une politique budgétaire qui vise le maintien de l'équilibre budgétaire que pour une politique qui vise une réduction de la part du gouvernement fédéral dans l'économie canadienne », souligne l'économiste et fellow associé au CIRANO.
M. Aubry a épluché les 10 plans budgétaires du gouvernement Harper pour appuyer son dire, et son constat est quelque peu inquiétant. La politique budgétaire crée un cercle vicieux : au nom de la lutte contre le déficit, on réduit des dépenses de façon permanente et par des baisses du fardeau fiscal, on peut créer des déficits structurels qui entraîneront d'autres coupes de dépenses au nom de la lutte contre le déficit.
De 2000 à 2006, alors que le Canada était dirigé par les libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin, les revenus fiscaux équivalaient à 16 % de la taille de l'économie.
Sous les conservateurs, ils oscillent aux environs de 14 %, ce qui signifie cette année une diminution de quelque 34 milliards de dollars.
Évidemment, le gouvernement n'est pas parvenu à éviter les déficits budgétaires à cause de la récession de 2008-2009.
Il n'a pas cherché non plus, à la différence du gouvernement américain, à mettre fin à des baisses d'impôt consenties pour stimuler l'économie : il les avait plutôt annoncées de façon permanente alors qu'il ne soupçonnait même pas l'imminence de la récession.
La longue route vers le retour à l'équilibre, grâce à des compressions et à la baisse vertigineuse des taux d'intérêt qui allège le service de la dette, puis à de légers surplus ouvrant la voie à de nouvelles baisses d'impôt, a été ralentie cette année par deux éléments.
Le premier, c'est l'échéance électorale et les largesses fiscales pour séduire les électeurs qu'elle implique.
Plus grave est la seconde : la baisse du prix du pétrole réduit l'assiette fiscale d'une trentaine de milliards par année d'ici 2018. Ottawa se retrouve dans une situation où il n'a plus la latitude pour relancer la croissance sans renoncer à l'équilibre budgétaire. Pourtant, l'économie en aurait bien plus besoin qu'une baisse du taux directeur de la Banque du Canada.
« Ce gouvernement est peu enclin à chercher à réduire les effets de chocs externes négatifs sur l'économie du Canada par des politiques budgétaires plus accommodantes, conclut M. Aubry. S'il le fait [comme en 2009], il revient le plus rapidement possible à sa stratégie de base, car il croit qu'une plus petite taille du gouvernement fédéral aidera à long terme l'économie canadienne à mieux performer. »
Rien n'est moins sûr...
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