La culture de l'arnaque

Manifestement le gardien de valeurs n'a pas fait son travail et l'AMF ne semble pas avoir été très vigilante. Ce qui ne diminue en rien, à mon avis, la responsabilité de M. Lacroix.

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Bourse - Québec inc. vs Toronto inc.


(Photo Patrick Sanfaçon, La Presse)


Vincent Lacroix était accusé de 27 chefs d'accusation de manipulation de parts de fonds d'investissement et de 24 chefs d'accusation de production de documents trompeurs.

Hier, le juge Claude Leblond l'a reconnu coupable à chacun de ces 51 chefs d'accusation. Avec ce verdict, le Québec vient de s'inscrire dans la nouvelle culture financière nord-américaine, soit celle de la fraude et de l'arnaque. On saura plus tard quelles seront les sanctions imposées au coupable.
Cette culture de l'arnaque et de la fraude remonte à une vingtaine d'années lors de la frénésie des obligations de pacotille (junk bonds) et fut marquée par l'emprisonnement de Michael Milken, en 1990. Plus récemment, en 2006, l'affaire Enron conduisit à l'emprisonnement d'Andy Fastow, le contrôleur de l'entreprise.
Comment, à partir d'une culture judéo-chrétienne préconisant l'honnêteté, en sommes-nous arrivés là? Pour répondre à cette question, je ferai appel à notre culture littéraire en citant d'abord le fabuliste Jean de La Fontaine qui dit «Qui vole un oeuf, vole un boeuf» et au journaliste-philosophe Alphonse Allais, qui passe par une logique de continuité pour nous amener à la maxime «Une fois que les limites sont franchies, il n'y a plus de borne».
Il m'apparaît que la morale de la finance s'est détériorée par un processus progressif de transgression. Ainsi, il semble que, déjà à l'université, on observe une propension à tricher plus grande dans les programmes de MBÀ que dans le autres programmes.
Une étude menée, il y a quelques années, a révélé que 56% des étudiants au MBÀ ont admis avoir triché dans la dernière année, comparativement à 47% dans les autres facultés. Les étudiants disent tricher parce qu'ils pensent que leurs pairs trichent également.
«Qui vole un oeuf, vole un boeuf.» Si on vole ses notes à l'université, que volera-t-on une fois devenus des professionnels de la finance? Si on veut que nos professionnels soient intègres, il faut exiger l'intégrité à tous les niveaux du système d'éducation.
Au delà de la culture de la fraude et de l'arnaque, il y a aussi la culture de l'enrichissement rapide. À ces fins, l'ingénierie financière a créé des produits dérivés théoriquement présentés comme des instruments de gestion de risques mais facilement utilisés à des fins spéculatives. On a vu que la culture des produits dérivés peut produire des dommages collatéraux considérables. Que l'on prenne à titre d'exemple l'effondrement en 1998, du fonds de couverture Long Term Capital Management qui, pourtant, avait pris la précaution d'inviter deux grands spécialistes des produits dérivés les professeurs Scholes et Merton, à faire partie de sa direction.
Récemment, le système financier a connu une crise de liquidité causée par l'apparition de produits structurés à partir de rassemblements en fonds, d'hypothèques individuelles à risque qui ont enrichi rapidement les premiers courtiers dans la chaîne de mise en marché.
Si on revient à M. Lacroix, il est vraisemblablement un exemple de la maxime d'Allais: «Une fois que les limites sont franchies, il n'y a plus de borne.» En effet, on peut imaginer que M. Lacroix a d'abord franchi les limites et constatant qu'il ne s'était pas électrocuté, et a décidé par la suite d'en profiter à fond de train. C'est donc dire toute l'importance d'attraper les délinquants avant qu'ils ne s'habituent à leur délinquance.
Dans le cas de M. Lacroix il est étonnant de constater qu'il a pu très librement retirer des fonds chez le gardien des valeurs sans que le chien de garde n'aboie.
Manifestement le gardien de valeurs n'a pas fait son travail et l'AMF ne semble pas avoir été très vigilante. Ce qui ne diminue en rien, à mon avis, la responsabilité de M. Lacroix.
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Denis Moffet
L'auteur est professeur titulaire au département de finance et assurance de la faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval.
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Professeur titulaire au département de finance et assurance de la faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval.





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