La crédibilité de Bellemare est mise à l'épreuve

L'ex-ministre de la Justice implique Jean-Marc Fournier

Commission Bastarache


Québec — Admettant une erreur et une omission, Marc Bellemare a défendu difficilement sa version des faits, hier, lors des premiers contre-interrogatoires de la commission Bastarache. Ceux-ci ont laissé plusieurs questions en suspens, notamment la nomination de Marc Bisson comme juge coordonnateur adjoint à Longueuil.
L'erreur, il l'a commise la semaine dernière, a-t-il avoué, lorsqu'il a évoqué le scandale des commandites et la commission Gomery, en se trompant sur la chronologie de cette affaire. Il avait rapporté alors ce que des libéraux du PLQ de l'époque — Norman MacMillan en tête — lui auraient dit qu'un organisateur libéral de l'Outaouais, Guy Bisson, qui souhaitait que son fils Marc accède à la magistrature, risquait d'être inquiété dans l'enquête Gomery sur les commandites. Bref, il fallait procéder à la nomination rapidement. Or, en août 2003, lorsque cette confidence aurait été faite, le rapport de la Vérificatrice générale Sheila Fraser n'était pas déposé et l'enquête de l'ex-juge Gomery n'avait pas encore été déclenchée. M. Bellemare a admis l'erreur tout en maintenant que l'information lui avait été transmise.
Quant à l'omission, c'est d'avoir oublié de tout dire sur ses rencontres avec son ancien sous-ministre Georges Lalande, susceptible d'être un des seuls, dans les prochaines semaines, à corroborer les dires de l'ancien ministre de la Justice. L'ancien ministre a ajouté qu'au printemps, M. Lalande s'était rendu à sa résidence pour lui remettre un texte qu'il venait de rédiger sur l'abandon du projet de loi 35 réformant la justice administrative.
Candidat de Jean-Marc Fournier
L'avocat de la commission, Giuseppe Battista, a patiemment mis en relief une imprécision dans la version de Marc Bellemare. Si, comme il l'a dit la semaine dernière, il n'avait pas le choix que de nommer Marc Bisson à Longueuil, puisque Jean Charest lui avait ordonné de le faire, le 2 septembre 2003, pourquoi a-t-il continué de chercher des candidats? Et pourquoi avoir attendu à novembre pour effectuer la nomination? D'autant qu'il avait, la semaine précédente, décrit le premier ministre comme «Dieu», insista quant à elle l'avocate du gouvernement, Suzanne Côté, en après-midi.
La lenteur du dossier — alors que la juge en chef du tribunal, Huguette Saint-Louis, avait invoqué l'urgence à maintes reprises —, Marc Bellemare l'a expliquée par le départ, en octobre 2003, de son sous-ministre Michel Bouchard. Plus troublant encore, le nom de Marc Bisson pour le poste de juge coordonnateur adjoint à Longueuil n'apparaît pas dans les documents avant le 7 novembre, date à laquelle on apprend qu'il a passé avec succès l'étape de l'enquête de la Sûreté du Québec.
Des documents du 23 octobre démontrent du reste qu'un autre candidat maintenu dans les listes avait, lui, été refusé à cette étape. «Reconnu coupable», a noté à la main à son propos la coordonnatrice à la sélection des juges Nicole Breton, sur un document déposé hier. En après-midi, Marc Bellemare a indiqué que ce candidat dont le nom a été biffé des documents, et qui a finalement été frappé de deux ordonnances de non-publication de la part de Michel Bastarache, avait eu l'appui de Jean-Marc Fournier, l'actuel ministre de la Justice non élu. C'était même le «candidat de Jean-Marc Fournier», a insisté M. Bellemare.
M. Battista s'est fait insistant sur les rapports de l'ancien ministre de la Justice avec le collecteur de fonds libéral Franco Fava, au moment de la création du parti municipal Vision Québec (VQ) de Marc Bellemare, en 2005; au grand dam de l'avocat de M. Bellemare, Rénald Beaudry, qui a jugé cette question hors sujet. M. Bellemare a nié totalement avoir lui-même sollicité M. Fava lors d'une rencontre le 21 mars 2005 pour le financement de VQ. En fin de semaine dans Le Journal de Québec, un libéral, Jean-Paul Boily, a soutenu avoir des preuves qu'il a participé à la rencontre avec Franco Fava. M. Bellemare a dit n'avoir aucun souvenir de cette rencontre, mais a évoqué la possibilité que M. Fava ait possiblement participé à un rassemblement, le 27 mars 2005, auquel 1500 personnes étaient présentées, en raison des «bons sondages», a souligné M. Bellemare.
Les Legendre
M. Battista et Mme Côté se sont aussi penchés sur le cas de Pierre Legendre, ancien coordonnateur à la sélection des juges, qui est à l'horaire des témoins de cette semaine. M. Legendre a été muté brutalement, en juin 2003, du poste qu'il occupait depuis plus d'une décennie, parce que Marc Bellemare s'inquiétait du fait qu'il était le frère du député et ancien ministre péquiste Richard Legendre. M. Bellemare a nié avoir ordonné la mutation, mais a expliqué qu'il était «inconfortable» avec ce fait, surtout que M. Legendre fréquentait beaucoup le cabinet. «Il était chez lui chez nous», a illustré l'ancien ministre. Tout avait été déclenché par un appel téléphonique de Richard Legendre au chef de cabinet de M. Bellemare, Michel Gagnon. Le député péquiste avait lancé: «Fais attention à mon frère.» M. Bellemare s'est interrogé sur les véritables motifs qui poussaient Richard Legendre à vouloir que son frère demeure à son poste.
Rappelons que l'ex-ministre péquiste avait, en octobre, dénoncé publiquement M. Bellemare: «[Pierre] est fonctionnaire au ministère depuis plusieurs années et sous plusieurs gouvernements. Mon frère n'a jamais fait de politique et je ne sais même pas pour qui il a voté. [...] Pour moi, M. Bellemare est plus le ministre de l'Injustice que le ministre de la Justice.» Hier, l'ancien ministre, maintenant vice-président exécutif de l'Impact de Montréal, a fait savoir qu'il réagirait une fois seulement que son frère aura témoigné.
Adoptant un ton plus sec que celui du procureur Battista, l'avocate du gouvernement, Suzanne Côté a talonné Marc Bellemare en après-midi. Elle a laissé entendre que l'ancien ministre avait violé son serment de confidentialité en révélant des noms, celui de Franco Fava et de Charles Rondeau, au Journal de Montréal. Comme l'attestent, a insisté Mme Côté, des transcriptions de conversation citées dans le journal, sous la plume du rédacteur en chef Dany Doucet. M. Bellemare a maintenu qu'il n'avait mentionné aucun nom à M. Doucet, lequel avait «rencontré beaucoup de personnes». «Je ne sais pas où il a pris ses infos», s'est-il interrogé.
Certaines rumeurs laissaient entendre, hier, que Marc Bellemare réclamerait vers la fin de la semaine le statut de participant à la commission. À la mi-juin, estimant que la commission n'était pas légitime, il avait choisi de ne pas demander ce statut. Or, un tel statut permettrait à son avocat de contre-interroger les témoins. De plus, les honoraires de son avocat seraient remboursés par l'État. Croisé en marge de la commission, M. Bellemare a fait savoir au Devoir «qu'aucune décision n'était encore arrêtée à cet égard».


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->