La Cour suprême du Canada a biffé un morceau de la législation linguistique du Québec. Elle a livré un arrêt unanime, hier, qui donne un an au Québec pour réécrire sa Loi 104 qui mettait un frein aux transferts de quelque 500 élèves francophones et allophones vers des écoles anglaises. À ce propos, l'essentiel de ce que dit la Cour dans l'arrêt Nguyen se résume en quelques mots : « Les moyens choisis ne sont pas proportionnels aux objectifs recherchés ».
Car, sur le fond, sur la pertinence que le Québec adopte des mesures spécifiques pour protéger la langue française, la Cour suprême est totalement en accord. Elle accepte le principe de mesures spécifiques pour favoriser l'épanouissement du français et sa prépondérance au Québec, ce qui ne contrevient aucunement à la Constitution de 1982. Cette reconnaissance est importante, cruciale même. Les Québécois devraient s'en réjouir, car il assure leur pérennité en terre d'Amérique.
Mais voilà, le Québec n'a toujours pas ratifié cette Constitution, ce qui demeure une contradiction dans une fédération comme celle du Canada. Plusieurs gouvernements successifs n'ont pas démontré le courage de corriger cette erreur historique. C'est pourquoi toute référence à cette assise juridique du Canada donne de l'urticaire aux groupes nationalistes qui la rejettent en bloc. Ils considèrent très durement toute décision. Pauline Marois, la chef du Parti québécois, a lancé que « la Cour suprême vient encore une fois affaiblir notre Charte de la langue française ». La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a parlé d'une « brèche béante » créée par la Cour suprême, et Jean-Paul Perreault, d'Impératif français, a qualifié la décision de « geste de mépris et d'oppression ».
Deux cas types
Pourtant, la Cour suprême n'a pas ouvert toutes grandes les portes de l'éducation en anglais. La « brèche béante » ne s'applique pourtant qu'à deux cas types bien précis qui, si le Québec corrige correctement sa Loi 104, ne s'appliquera probablement qu'à quelques dizaines d'écoliers par an, tout au plus. Il n'y aura pas là de quoi changer le paysage linguistique du Québec.
Dans le premier cas, le Québec, sous Bernard Landry, avait légiféré pour mettre fin à un subterfuge qu'utilisaient des familles allophones - et même plusieurs familles francophones - pour envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Ils les envoyaient dans des écoles privées non subventionnées, des « écoles passerelles » comme elles ont été baptisées. La Cour a bien vu là un subterfuge pour contourner la loi. Mais la Cour dit aussi que le Québec ne pouvait faire fi de cette scolarité quand il voulait leur interdire l'accès à l'école anglaise. Il n'a pas dit que le Québec n'avait pas le droit de le faire, mais qu'il devait le faire différemment. Elle donne ainsi un an au Québec pour rectifier le tir. Cela ne devrait pas être difficile et cela ne donnera pas davantage le droit à ces allophones et aux quelques francophones d'éviter l'enseignement en français au Québec.
Dans le second cas, la Cour suprême a reconnu les droits linguistiques de la fratrie, un principe cher aux Franco-Ontariens. Lorsqu'un enfant est admis dans une école, il l'ouvre de facto à tous ses frères et soeurs. En Ontario, cela est crucial pour les ayants droit francophones à l'école et, par extension, pour des services accessoires comme le transport scolaire, l'appui linguistique, les services professionnels, etc. Pour les francophones minoritaires du pays, la décision aurait pu mener à des coupes à l'école française, et à une érosion supplémentaire de leurs communautés. Entre leur fermer la porte complètement ou exiger du Québec qu'il réécrive sa législation, la décision de la Cour apparaît donc raisonnable.
Au Québec, les questions linguistiques sont des barils de poudre. Considéré sans discernement, l'arrêt Nguyen paraît comme un paquet d'allumettes posé sciemment près du baril. Décodé, il s'avère un avertissement à déplacer les barils pour éviter la catastrophe.
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