La commission Bastarache doit-elle se saborder?

Commission Bastarache


Claude Gélinas - La compétence et le professionnalisme du commissaire Michel Bastarache ne sont pas remis en question et il est de plus en plus regrettable de voir l’un des juristes les plus réputés et les plus respectés du Canada être entraîné dans cette polémique québécoise sur la nomination des juges.
Confrontée de plus en plus au désaveu des membres des partis d'opposition à l'Assemblée nationale et au scepticisme d'une partie de la population qui a perdu confiance dans la Commission sur le processus de nomination des juges, la question de l'opportunité ou non pour le commissaire Michel Bastarache de poursuivre son mandat nous interpelle. La question est provocatrice, mais elle mérite qu'on s'y attarde. Car des raisons militant en faveur de la démission du commissaire Bastarache, il y en a plusieurs.
Soyons clairs: aucune de ces raisons ne se rapporte à des déficiences liées à sa compétence ou à son professionnalisme. Il est de plus en plus regrettable de voir l'un des juristes les plus réputés et les plus respectés du Canada être entraîné dans cette polémique québécoise sur la nomination des juges.
Partisanerie
La première raison justifiant le commissaire Bastarache à démissionner repose sur la nature hautement partisane du débat. Il est raisonnable de penser que si l'ex-juge de la Cour suprême s'était référé au Principe de déontologie judiciaire publié par le Conseil canadien de la magistrature en 1998 portant sur les commissions d'enquête, il n'aurait probablement pas accepté ce mandat.
Un mandat qui risque, et ce, quels que soient la justesse et le bien-fondé de ses conclusions et de ses recommandations, d'entacher sa crédibilité ainsi que celle du cabinet d'avocats dans lequel il exerce sa profession.
Faut-il rappeler que la création de cette commission d'enquête vise principalement à faire la lumière sur les allégations de trafic d'influence dans le processus de nomination des juges proférées par l'ex-ministre de la Justice Marc Bellemare. Le commissaire devra donc, dans le cadre de son mandat, apprécier la crédibilité des témoins Charest et Bellemare. En d'autres mots, décider qui dit vrai!
Si bien qu'entre deux versions contradictoires mais également valables, plausibles et raisonnables, le commissaire cherchera lequel des témoins a le plus d'intérêt à témoigner dans le sens où il l'a fait et choisira de préférence le témoignage désintéressé. Par contre, l'absence de témoignage de l'ex-ministre Justice Marc Bellemare peut également être appréciée par le commissaire.
Dans l'hypothèse où le commissaire arriverait à la conclusion que le premier ministre Charest n'a pas dit la vérité, il est raisonnable de penser que ce dernier devra démissionner. Une telle décision entraînera une course à la chefferie, suivie d'une élection générale. Dans un tel contexte, on ne peut exclure la perspective de l'élection du Parti québécois, suivie d'un troisième référendum sur la souveraineté du Québec.
Certains pourront faire valoir à tort ou à raison qu'un commissaire ayant jadis milité en faveur de l'option du Non lors du référendum de 1995 ne pourrait faire fi de son militantisme passé et retenir, en toute objectivité et impartialité, la version de l'ex-ministre Marc Bellemare. Cela fait référence à l'apparence d'impartialité.
Cul-de-sac
La seconde raison militant en faveur de la démission du commissaire Bastarache se rapporte au cul-de-sac dans lequel se retrouve la Commission et la controverse entourant sa nomination et sa décision de rejeter la demande de l'opposition officielle d'obtenir le statut de participant ou d'intervenant.
En effet, étant donné l'acrimonie du débat actuel et la perte de confiance des partis d'opposition envers la Commission, la démission du commissaire Bastarache contribuerait à mettre fin aux doutes et à la méfiance, non seulement sur son objectivité, mais également sur la probité de la magistrature et du système judiciaire en général. Comme l'énonçait Jean-Claude Leclerc dans la chronique Éthique et Religions du Devoir, «cette controverse interpelle la magistrature».
Autres conséquences non négligeables de la démission du commissaire Bastarache: l'économie des dépenses liées à la saga judiciaire découlant du refus de l'ex-ministre Marc Bellemare de témoigner devant le commissaire en raison de ses craintes de ne pas être traité équitablement et les délais entourant les travaux de la Commission. Sans exclure la possibilité que le débat se retrouve éventuellement devant la Cour suprême du Canada, dont le juge Bastarache était un membre éminent jusqu'au 30 juin 2008.
Processus discutable
Dernière raison justifiant que le commissaire Bastarache démissionne: le processus discutable se rapportant au choix du commissaire par le gouvernement du Québec.
Par sa démission, le commissaire Bastarache enverrait ce message au gouvernement du Québec: afin d'éviter toute nouvelle polémique, le nouveau commissaire devrait être choisi par le juge en chef parmi les juges en exercice, les juges surnuméraires ou les juges à la retraite n'ayant aucun lien professionnel avec un cabinet d'avocats. Le juge dont la nomination est proposée devrait être la personne indiquée pour l'enquête en raison de son expérience et de ses connaissances spéciales. Rappelons à titre d'exemple que la nomination du juge John Gomery par le premier ministre Paul Martin n'a été l'objet d'aucune controverse.
Si le prochain commissaire parvenait à mettre en place les conditions d'une délibération publique éclairée et permettait aux experts d'être les médiateurs du dialogue avec la société pour concevoir les politiques publiques et les évaluer, cette commission nous aura permis de faire un grand pas dans le rétablissement de la confiance du public dans le processus de sélection des juges.
Sondage
Toujours dans la même veine, ne serait-il pas souhaitable que le Barreau du Québec, qui a obtenu le rôle de participant à la Commission, fasse un sondage en s'appuyant sur un échantillon représentatif parmi ses 15 860 membres comptant 10 ans de pratique et plus qui pourraient être candidates ou candidats à un poste de juge?
Deux des questions de ce sondage pourraient être les suivantes:
- Sans appui politique avant le dépôt de votre candidature, à quel pourcentage évaluez-vous vos chances d'accéder à la magistrature?
- Que proposez-vous pour améliorer le processus actuel de sélection des juges?
Bien qu'une telle conjoncture ne soit pas souhaitable, il ne faudrait pas se surprendre si le pourcentage de chances d'accéder à la magistrature sans appui politique était plus près de zéro que de n'importe quel autre chiffre. Et, si ce scénario s'avérait fondé, les réponses des premiers intéressés seraient révélatrices de leur niveau de confiance dans le processus actuel de sélection des juges.
Quel que soit le résultat de ce sondage, le processus de sélection des juges doit susciter l'intérêt de toutes les parties de la société civile soucieuse de l'existence d'un système reposant sur l'excellence et le mérite et non sur l'adhésion, les services rendus ou les contributions à un parti politique.
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Claude Gélinas - Avocat à la retraite et ex-directeur général du Barreau du Québec


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