La carte identitaire

Déclaration sur les valeurs communes <br>Contrat d'adhésion

Le quotidien torontois The National Post a eu l'idée de juxtaposer certains passages du Code de vie adopté par le conseil municipal d'Hérouxville en janvier 2007 et du nouveau document sur les valeurs communes de la société québécoise que la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, a rendu public cette semaine.
Si le texte gouvernemental est nettement moins pittoresque, il faut reconnaître que la similitude entre les thèmes abordés est assez frappante. On n'a pas jugé utile de souligner qu'au Québec les femmes ont le droit de signer des chèques, mais on note tout de même qu'elles peuvent choisir leur profession. Sans entrer dans les détails, comme l'interdiction de les lapider sur la place publique ou de les brûler à l'acide, il est bien spécifié que l'usage de la violence est interdit.
Même si la déclaration que le gouvernement entend faire signer aux nouveaux arrivants n'aura rien de contraignant et n'entraînera pas l'expulsion de ceux qui seraient déclarés coupables de ne pas adhérer suffisamment aux «valeurs québécoises», il était prévisible que certains pousseraient les hauts cris.
Fervent défenseur des droits de la personne, Julius Grey était outré de ce «geste profondément cynique». En proposant ce «contrat» aux immigrants, le gouvernement tente de leur «imposer une idéologie» comme on le faisait jadis en Allemagne de l'Est, a-t-il expliqué. Quand ses parents ont immigré de la Pologne en 1957, ils auraient été tout simplement incapables de signer une déclaration d'adhésion aux valeurs du Québec duplessiste.
«C'est comme si les juifs, les musulmans ou n'importe quel arrivant étaient tous opposés à l'égalité des hommes et des femmes et qu'il fallait tout leur expliquer», a déploré le professeur de philosophie à l'Université de Montréal Daniel Weinstock.
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Dans un texte qu'il a signé hier dans La Presse, conjointement avec d'autres membres de la commission Bouchard-Taylor, M. Weinstock déplorait le fait que cette initiative «véhicule une vision fausse et dangereuse à la fois des rapports entre les membres de la société québécoise et ses nouveaux arrivants, et de ces fameuses "valeurs québécoises" dont le gouvernement semble craindre qu'elles ne feront pas l'objet d'une adhésion suffisante de la part des immigrants».
Je dois dire que je ne partage pas cette indignation. Il y a des limites au refus de l'affirmation de soi. Même si on peut déplorer l'insécurité culturelle des Québécois, l'histoire et la géographie n'ont rien fait pour renforcer leur confiance.
La déclaration n'impose aucune obligation concrète et elle précise bien que tous les Québécois, qu'ils soient natifs d'ici ou immigrés, «peuvent choisir librement leur style de vie, leurs opinions ou leur religion». Leur demander de «respecter» les valeurs de la société québécoise -- sans nécessairement y adhérer personnellement -- n'a rien d'excessif.
Même si les signataires assurent «vouloir apprendre le français», rien ne les forcera à le faire. Dans certains pays européens, on est beaucoup plus exigeant. En Belgique flamande, les nouveaux arrivants sont obligés de suivre, non seulement des cours de néerlandais, mais également d'éducation civique.
Contrairement au projet de loi sur l'identité québécoise présenté par Pauline Marois, qui exigerait une connaissance suffisante du français pour avoir le droit de se présenter à une élection ou de contribuer à la caisse d'un parti politique, la déclaration d'adhésion aux valeurs québécoises n'entre en contradiction avec aucune loi, ni avec la Charte canadienne des droits.
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On comprend très bien que le gouvernement n'ait pas voulu se lancer en campagne électorale sans avoir tenté de répondre aux inquiétudes identitaires qui se sont manifestées durant les travaux de la commission Bouchard-Taylor. L'électoralisme a sans doute un côté détestable, mais il a au moins l'avantage de pousser les gouvernements à agir.
À l'aube d'une nouvelle campagne électorale, le premier ministre Charest ne manque cependant pas de culot, ni de cynisme, pour faire ce qu'il avait reproché si vivement à Mario Dumont à la veille de la campagne de 2007.
Le chef de l'ADQ y allait peut-être de façon plus populiste, mais M. Charest joue aujourd'hui la carte identitaire dans la même intention de plaire à l'électorat francophone, qui peut seul lui redonner une majorité à l'Assemblée nationale le 8 décembre prochain.
Le plus beau de l'affaire est que ni l'ADQ ni le PQ ne pourront lui reprocher d'agir, si ce n'est pour déplorer qu'il n'en fasse pas assez. Le porte-parole péquiste en matière d'immigration et de communautés culturelles, Matin Lemay, a demandé ce que fera le gouvernement pour vérifier si les engagements pris par un nouvel arrivant sont tenus. La réponse est simple: rien.
Le premier ministre sera sans doute très heureux d'être accusé de modération, comme il a dû être ravi d'entendre les experts en accommodements raisonnables lui reprocher de vouloir imposer les «valeurs québécoises». Le juste milieu est la position préférée du nouveau Charest.
De toute manière, cette période de turbulence économique se prête mal à la surenchère identitaire. Pauline Marois, qui a beaucoup misé là-dessus depuis qu'elle est devenue chef du PQ, en a eu une preuve brutale à l'occasion du récent Rendez-vous des gens d'affaires sur la langue.
L'adoption d'une «nouvelle loi 101», qui étendrait notamment le processus de francisation aux entreprises de moins de 50 employés, se voulait un élément important du programme d'un éventuel gouvernement péquiste. Mme Marois a été estomaquée de voir les centrales syndicales s'y opposer. «Le mieux peut être l'ennemi du bien», a déclaré la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau.
Les gouvernements dont Mme Marois a fait partie ont toujours partagé l'avis de Mme Carbonneau. Les militants péquistes qui réclamaient l'extension des dispositions de la Charte de la langue française aux PME se faisaient systématiquement répondre que ces dernières ne pourraient pas supporter le fardeau de la francisation. Il arrive parfois que le point de vue change quand on passe dans l'opposition.


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