La Caisse dévoile ses pertes: 39,8 milliards

Ce résultat équivaut à un rendement annuel moyen de -25 %, ce qui est bien inférieur au rendement médian de l'ensemble des grandes caisses de retraite au Canada, évalué à 18,4 %.

L'affaire de la CDPQ — le scandale

Éric Desrosiers - La Caisse de dépôt et placement du Québec a confirmé hier les craintes à son sujet en rapportant une perte de 39,8 milliards en 2008, la pire en plus de 40 ans d'histoire. Admettant avoir commis une erreur en s'en remettant trop aux funestes papiers commerciaux, elle se dit cependant surtout victime des événements.
Ce résultat équivaut à un rendement annuel moyen de -25 %, ce qui est bien inférieur au rendement médian de l'ensemble des grandes caisses de retraite au Canada, évalué à 18,4 %. Il a fait fondre l'actif net des déposants de la Caisse de 155,4 milliards à 120,1 milliards, une fois pris en compte leurs nouveaux dépôts de cette année.

«Comme pour tous les investisseurs, le premier élément qui explique notre rendement cette année est la crise financière mondiale du quatrième trimestre, a déclaré hier le président et chef de la direction par intérim de la Caisse, Fernand Perreault. En quelques jours, en octobre 2008, le monde a basculé dans une crise financière et économique comme il ne s'en est pas vu depuis 80 ans.»
Des pertes sur papier
Plus de la moitié des pertes annoncées par la Caisse (22,4 milliards) n'existent pour le moment que sur papier, a plaidé le président de son conseil d'administration, Pierre Brunet, en conférence de presse. Elles tiennent à l'obligation comptable de procéder à une évaluation de la valeur dans le marché de tous les actifs de la Caisse à la fin de son année financière.
Or, la valeur de ses immeubles, placements privés, titres d'entreprises et même de ses fameux papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA) peut difficilement être plus dépréciée qu'elle ne l'est actuellement, a-t-il dit. «L'histoire a montré qu'il suffisait parfois d'attendre quatre ou cinq ans pour que le marché regagne le terrain perdu. On pourrait très bien récupérer ainsi 60 %, 80 % et même 100 % de ces pertes sur papier.»
Le pire rendement affiché par la Caisse de dépôt depuis sa création en 1966 avait été jusque-là de -9,57 % en 2002. Le rendement de -25 % de cette année est en fait une moyenne pondérée des rendements obtenus par chacun des 25 déposants à la Caisse, qui ont varié de -17 % à -27 %. Fière de se maintenir depuis 2004 dans le premier quartile des caisses de retraite canadiennes avec des rendements de 5,6 % l'an dernier ou encore 14,6 % l'année d'avant, l'institution québécoise est tombée, en 2008, dans le quatrième et dernier quartile. Ce résultat catastrophique lui donne un rendement annuel moyen de 3,1 % sur cinq ans et à ce titre, une place dans le troisième quartile. Cette moyenne aurait été de 4,1 % (deuxième quartile) n'eut été de l'épisode des PCAA, a assuré la direction de la Caisse.
Les causes de l'écart
Ceux-ci ont de nouveau plaidé leur bonne foi et leur rigueur dans le dossier des papiers commerciaux. «L'épisode du PCAA est incontestablement une page difficile de l'histoire de la Caisse», a toutefois admis Fernand Perreault. «En rétrospective, nous avons placé une trop grande confiance en ces titres.» «Ce fut une erreur d'en accumuler autant.»
Mais l'écart de rendement cette année entre l'institution québécoise et les autres grandes caisses de retraite au Canada est d'abord et avant tout attribuable à la chute brutale des cours du dollar canadien par rapport au billet vert (-20,5 %), à l'euro (-16 %) ou encore au yen japonais (-35 %), ont-ils expliqué hier. Les outils financiers censés protéger ces investissements à l'étranger contre l'effet de ces fluctuations ont, en effet, coûté à la Caisse presque neuf milliards cette année. Ces instruments de couverture (hedging) contre le risque de change ont eu un coût nul en dix ans, a assuré Fernand Perreault. Ils sont plus nécessaires à son institution qu'aux autres caisses de retraite, a-t-il expliqué, parce que ses placements à l'étranger se retrouvent beaucoup dans des secteurs dont il n'est pas possible de se retirer rapidement, comme l'immobilier et l'investissement privé.
Outre les PCAA et les instruments de couverture de change, la Caisse de dépôt attribue aussi son écart avec les autres caisses de retraite aux piètres résultats de l'un de ses fonds, dit de «Répartition de l'actif», qui a accusé une perte de deux milliards. Ce fonds servait notamment à des investissements sur le marché des produits dérivés où la Caisse cherchait à tirer profit de fluctuations anticipées de cours boursiers, de taux d'intérêt ou encore de l'inflation, a expliqué Fernand Perreault en entretien téléphonique avec Le Devoir. La débandade financière et économique est venue mêler les cartes des prévisionnistes de la Caisse, qui a alors préféré mettre ce fonds sur la touche.
La direction de la Caisse s'est félicitée hier de la rapidité de sa réaction lorsqu'il est apparu clair que la situation tournait au cauchemar sur les marchés. La part de ses placements dans les marchés boursiers a été ramenée de 36 % à 22 % alors que celle occupée par les obligations gouvernementales et autres titres à revenu fixe est passée de 30 % à 44 %. «À aucun moment au cours de cette période, la Caisse n'a manqué ou n'est passée près de manquer de liquidités», a déclaré Fernand Perreault en réponse aux nombreux observateurs qui ont affirmé le contraire.
P.-d.g. recherché
Gestionnaire à la Caisse depuis 22 ans, Fernand Perreault a pris au pied levé la relève du président et chef de la direction Richard Guay lorsqu'il a été mis en congé de maladie à la mi-novembre. M. Guay avait pris la succession d'Henri-Paul Rousseau seulement quelques mois auparavant. Âgé de 65 ans, Fernand Perreault a dit hier ne pas être intéressé à occuper la fonction de manière permanente. Le président du conseil d'administration, Pierre Brunet, 70 ans, en a profité pour annoncer à son tour que son mandat ne serait pas renouvelé cette année.
Les deux hommes ont dit avoir le sentiment de laisser la Caisse de dépôt en meilleure posture qu'on le dit généralement. Le grand rééquilibrage des placements de cet automne lui donne amplement de liquidités pour voir venir dans le cas où le contexte économique ne s'améliorerait pas ou encore pour investir si une embellie se présente enfin sur les marchés. On s'en tirerait d'ailleurs déjà mieux que les autres depuis le début de 2009, a-t-on assuré.
Une étude commandée à une firme externe serait arrivée à la conclusion que la Caisse disposait déjà de bons mécanismes de gestion du risque, assure-t-on tout en refusant de dévoiler le document. On s'engage néanmoins à créer de nouveaux postes de direction en la matière, de se soumettre plus fréquemment à des simulations de catastrophes et de resserrer les mécanismes d'approbation des nouveaux types de placements.
Primes et mises à pied
À l'accusation qui lui est faite fréquemment de ne pas faire preuve de suffisamment de transparence, la direction de la Caisse répond qu'elle est bien meilleure à ce chapitre que les autres grandes caisses de retraite du pays. Fernand Perreault a écarté du revers de la main l'idée de présenter des résultats sur une base trimestrielle plutôt qu'une fois l'an. Cela risquerait trop, selon lui, d'encourager une gestion à court terme.
Le chef de la Caisse en a profité pour annoncer que personne n'aurait droit à des primes salariales cette année dans l'institution du fait de ses mauvais résultats. Il a toutefois ajouté que l'on sera forcé de les rétablir plus tard pour continuer d'attirer la main-d'oeuvre. À plus court terme, il n'a pas exclu que la Caisse puisse procéder à des mises à pied.


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