La bonne conscience

2 mai 2011 - Harper majoritaire



Généralement, on attend le déclenchement des élections fédérales pour relancer le sempiternel débat sur l'utilité du Bloc québécois. Le magazine Time, qui ignorait vraisemblablement cette règle, a récemment expliqué à ses lecteurs qu'une forte présence du Bloc à Ottawa constitue la meilleure garantie contre la souveraineté.
En octobre dernier, Gilles Duceppe s'était rendu à Washington pour informer nos voisins américains que c'était simplement une question de temps avant qu'un gouvernement péquiste ne tienne un nouveau référendum et il les invitait à reconnaître rapidement la souveraineté du nouvel État au lendemain d'un oui. À en juger par l'analyse du Time, il n'a pas été très convaincant. Voir le Québec dans la même catégorie que les séparatistes du Vermont a de quoi laisser sceptique.
La théorie de la police d'assurance n'est évidemment pas nouvelle. C'est Lucien Bouchard qui l'avait énoncée le premier, sous forme d'avertissement, à l'époque où il dirigeait encore le Bloc. Au PQ, certains sont toujours convaincus que la présence rassurante du Bloc constitue un handicap pour le camp souverainiste.
Cette théorie qui repose sur le principe des vases communicants est sans doute séduisante, dans la mesure où elle semble confirmer la prétendue ambivalence québécoise, mais elle a ses limites.
Après avoir menotté M. Bouchard aux élections de novembre 1998, en accordant une pluralité aux libéraux de Jean Charest, les Québécois auraient normalement dû démontrer leur caractère normand en plébiscitant le Bloc. Deux ans plus tard, malgré les avanies du plan B, le Parti libéral du Canada est plutôt redevenu le premier parti fédéral au Québec pour la première fois depuis le coup de force constitutionnel de 1982. Le résultat de cette élection avait même ébranlé M. Bouchard au point de l'amener à jeter l'éponge.
Ce n'était tout de même pas la faute du Bloc si les péquistes avaient complètement perdu le nord en 2005, au point d'élire un chef aussi inquiétant qu'André Boisclair au moment où l'appui à la souveraineté atteignait un sommet.
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Il n'était pas plus responsable de l'élection de Stephen Harper en janvier 2006. Le premier ministre canadien a sans doute exagéré en se félicitant d'avoir ramené la «paix constitutionnelle» au pays, mais après douze ans d'intransigeance libérale, il n'était pas difficile de faire bonne impression.
Si la reconnaissance de la nation québécoise «à l'intérieur du Canada» demeure strictement symbolique, tout comme le strapontin au sein de la délégation canadienne à l'UNESCO, il n'y a eu aucun assaut comparable au rapatriement unilatéral de la Constitution ou à la Loi sur la clarté.
Certes, si M. Harper estime que le gouvernement fédéral a trop de revenus, il aurait été préférable de transférer des points d'impôt aux provinces; la baisse de la TPS a tout de même permis au Québec d'occuper une partie de l'espace fiscal évacué par Ottawa.
Le déséquilibre fiscal n'a pas été corrigé entièrement, mais d'autres arrangements auraient peut-être été possibles, si Jean Charest n'avait pas indisposé son homologue fédéral en distribuant aussitôt sous forme de baisse d'impôt les 700 millions de péréquation qui auraient dû servir à financer les services sociaux.
La détermination du Bloc à défendre les intérêts du Québec à la Chambre des communes est indéniable, mais la conception du fédéralisme de M. Harper était nettement moins conflictuelle au départ.
La «gouvernance souverainiste» préconisée par Pauline Marois, axée sur la réclamation d'une série de nouveaux pouvoirs, vise à recréer la dynamique de confrontation des années Chrétien, mais rien n'assure que la population va embarquer.
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La «police d'assurance» que représente le Bloc n'est cependant valable que dans la mesure où il y a un gouvernement minoritaire à Ottawa.
Pendant vingt-cinq ans, les Québécois ont joué la carte du gouvernement à fond. Ils ont donné 74 députés sur 75 à Pierre Elliott Trudeau, qui en a profité pour imposer une réforme constitutionnelle à laquelle s'opposent encore tous les partis représentés à l'Assemblée nationale.
Ils ont ensuite accordé une écrasante majorité à Brian Mulroney, qui n'a pas été en mesure de faire accepter par le Canada anglais l'accord du lac Meech qui, au dire même de Robert Bourassa, contenait des demandes «minimales». Par la suite, cette même majorité a tenté de vendre une autre entente, celle de Charlottetown, dont personne ne voulait.
Jusqu'à nouvel ordre, ils ne souhaitent pas quitter le Canada, mais ils savent aussi qu'ils ne sont pas plus en mesure de définir ses «valeurs» que ses orientations constitutionnelles. En empêchant le pire, le blocage parlementaire actuel leur permet au moins de reporter à plus tard le moment de tirer les leçons de cette contradiction.
Entre-temps, le Bloc donne bonne conscience aux Québécois, qui peuvent se flatter de protéger le pays tout entier contre les dangereux projets des conservateurs. Curieusement, il ne semble pas leur en être très reconnaissant.
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mdavid@ledevoir.com


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