La bataille du Québec (prise 2)

Élections 2006

Le projet politique qui a la vie la plus dure au Québec n'est pas celui de la souveraineté, mais plutôt le rêve, tenace, d'un accommodement honorable à l'intérieur de la fédération canadienne. Au moment où plus personne ne s'y attendait, voilà qu'il suffit encore qu'il montre le bout de son nez pour modifier la donne de la campagne fédérale.
Deux fois plutôt qu'une, la simple perspective d'un fédéralisme plus respectueux des aspirations du Québec a fait pencher la balance référendaire dans le sens du Canada. La même idée a porté Brian Mulroney au pouvoir en 1984. Elle a, par la suite, rallié une masse critique de Québécois aux Accords du lac Meech.
C'est parce que Lucien Bouchard personnifiait par sa démarche politique la déception constitutionnelle de tant de ses concitoyens qu'il a eu un tel effet d'entraînement sur l'électorat au dernier référendum. Après Meech, il a incarné la souveraineté par défaut. Par la suite, c'est parce qu'on croyait que Jean Charest et Paul Martin avaient l'ascendant et la volonté qu'il fallait pour «régler» avec le reste du Canada qu'ils ont successivement trôné en tête du palmarès des politiciens au Québec.
Ce n'est pas par hasard que les Québécois en ont davantage voulu à Jean Chrétien d'avoir été à l'encontre de la réalisation de leurs aspirations constitutionnelles en participant au torpillage de Meech que d'avoir mis des bâtons dans l'engrenage référendaire avec sa loi sur la clarté. D'ailleurs, aux dernières élections québécoises, c'est la perspective d'un autre référendum qui a finalement fait basculer l'électorat du côté libéral.
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Le scandale des commandites n'a apparemment pas eu raison de ce courant dominant du paysage québécois. Aujourd'hui, il sous-tend la montée de Stephen Harper dans les intentions de vote au Québec en vue du scrutin du 23 janvier. Sans égard au résultat final de l'exercice, il s'agit du rebondissement le plus significatif de la campagne électorale.
Dans l'immédiat, il a déjà brouillé les cartes de la partie classique que tout le monde prévoyait entre libéraux et bloquistes et a changé la dynamique du débat des chefs qui se déroulera en français demain soir. Pour une rare fois depuis la fondation du Bloc, un leader fédéral de l'extérieur du Québec ne jouera pas strictement le rôle d'un chien dans le jeu de quilles de ses adversaires québécois, mais plutôt celui d'un joueur qui a quelques abats à son actif.
Dans un premier temps, l'ascension conservatrice confirme, si besoin était, la descente aux enfers de Paul Martin au Québec. Depuis le premier jour, le PLC mène ici sa pire campagne en vingt ans. Son idée de rallier les fédéralistes autour d'un drapeau qu'il a lui-même éclaboussé avec les commandites était mal inspirée. M. Martin voulait confronter les électeurs à une impasse référendaire, quitte à les forcer à le choisir par défaut. Il semble plutôt en avoir encouragé plusieurs à s'intéresser à l'hypothèse d'une sortie de secours.
Mais la tournure des événements laisse également présager un certain retour sur terre pour le mouvement souverainiste. Le scandale des commandites a causé un tort immense à l'image du PLC au Québec, mais il n'a manifestement pas eu raison de l'attrait qu'exerce encore sur nombre Québécois l'idée d'une pratique différente du fédéralisme.
Dénué d'une organisation québécoise digne de ce nom et à partir d'une base d'appuis des plus modestes, le chef conservateur a peu de chances de transformer un succès d'estime en percée électorale importante au Québec le 23 janvier. À moins d'un événement imprévu, Gilles Duceppe va remporter la bataille du Québec dans deux semaines. Sauf que sa victoire n'aura pas nécessairement le caractère historique espéré par ses partisans. Elle pourrait même comporter les germes d'un éventuel essoufflement souverainiste.
Par exemple, la poussée conservatrice aura très probablement pour première conséquence de reporter à un autre jour l'objectif mythique d'une victoire souverainiste à 50 % ou plus des suffrages exprimés. Sa simple existence confirme que les calculs des stratèges souverainistes qui voient un référendum gagnant au tournant des prochaines élections québécoises comportent une forte dose de pensée magique.
Il a suffi d'un seul discours manifestant une ouverture à l'égard des revendications du Québec pour que Stephen Harper remette le Parti conservateur dans la course au Québec. Pour mémoire, le chef conservateur ne s'est pas engagé à réaménager la Constitution. Il ne s'est pas non plus imposé d'obligation de résultats. Mais il a signalé que, pour lui, le fédéralisme passait par des provinces capables d'exercer pleinement leurs compétences. Ce faisant, M. Harper a simplement repris à son compte l'idée que se faisait du fédéralisme le défunt Parti progressiste-conservateur. Cette dernière s'est toujours rapprochée davantage de la mouvance principale au Québec que celle du Canada central fort à laquelle souscrivent le PLC et le NPD.
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Personne ne peut encore présumer de l'issue des élections du 23 janvier. Comme prévu, le scrutin se jouera finalement sur le terrain encore très mouvant de l'Ontario. Mais sans égard à la destination finale du Canada le 23, le parcours pour s'y rendre aura été particulièrement instructif.
Dans tous les cas, on constate, encore une fois, que les campagnes électorales ont leur importance. Depuis dix ans, le Québec comme l'Ontario ont connu de grands revirements d'opinion en cours de campagne. C'est une idée à garder en tête avant d'enterrer prématurément Jean Charest. Stephen Harper n'est pas le premier chef à ressusciter à la faveur d'une campagne électorale. Il ne sera certainement pas le dernier.
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.


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