L'oubli de l'OTAN

OTAN - Sommet avril 2008


Rien ou presque n'a été dit sur le Pakistan, sanctuaire des talibans aux prises avec une transition démocratique des plus fragiles.

Le sommet de l'OTAN est terminé, et tous ses participants se sont félicités sur la question afghane. Quelques troupes ont été trouvées pour renforcer le dispositif actuel et un nouveau plan politico-militaire a été adopté à l'aune duquel il mesurera les progrès accomplis. Pourtant, l'avenir de l'Afghanistan passe bien par là. Il faudra y voir.
La situation sécuritaire dans le sud et l'est de l'Afghanistan se dégrade. En particulier, la frontière avec le Pakistan reste encore une passoire, et plusieurs provinces pakistanaises sont devenues des refuges pour les talibans. Les forces militaires et de sécurité pakistanaises ne s'y engagent pas ou, pire encore, ferment les yeux sur les activités des insurgés ou y participent.
Au moment où les chefs de l'OTAN au sommet de Bucarest se félicitaient des progrès accomplis en Afghanistan, un article publié dans le Washington Post sur la situation le long de la frontière pakistano-afghane illustrait les difficultés inhérentes à la lutte contre les insurgés. Les forces américaines peinent à contrôler les activités militaires des insurgés sur plus de 1000 kilomètres de frontières. Lorsque des talibans opèrent du Pakistan, les forces américaines ne peuvent répliquer qu'après un tir direct. Et lorsqu'ils le font, les bavures soulèvent l'ire des Pakistanais.
Le 12 mars, les Américains ont frappé une position talibane à l'intérieur du Pakistan où des chefs talibans devaient se trouver. Le lendemain, un général pakistanais en colère rendait compte: deux femmes et deux enfants étaient morts, aucun chef taliban n'était présent et les autorités pakistanaises n'avaient pas été informées de l'attaque, comme l'exigent les accords. Les Américains ont présenté leurs excuses tout en déclarant au journaliste qu'ils n'avaient aucune confiance dans les militaires pakistanais: lorsqu'on les appelle, ils ne répondent pas ou ils informent les talibans de ce qui se prépare.
Si la confiance est fragile entre militaires américains et forces de sécurité pakistanaises, elle se dégrade de plus en plus au niveau politique entre Washington et Islamabad. L'accession au pouvoir, il y a deux semaines, d'un gouvernement pakistanais civil issu de l'opposition a considérablement refroidi les relations avec les États-Unis.
Sur le plan protocolaire, alors que le nouveau premier ministre prêtait serment, deux envoyés spéciaux américains, dont le secrétaire d'État adjoint, John Negroponte, entamaient une visite fort médiatisée et controversée. Certains y ont vu une manoeuvre visant à dicter la conduite du nouveau pouvoir.
Sur le plan politique, selon les médias américains et pakistanais, Negroponte a reçu un accueil glacial. «Si les Américains ne veulent plus de terroristes chez eux, nous voulons également que nos villes et villages ne soient pas bombardés», a déclaré l'ancien premier ministre Nawaz Sharif, faisant référence aux dizaines de civils tués par des missiles américains au Pakistan. Même l'alliance entre les deux pays dans leur lutte contre le terrorisme semble remise en cause. Ainsi, un autre politicien pakistanais «a fait comprendre aux deux émissaires que c'en était fini des méthodes du passé et qu'il y avait désormais un nouveau chef aux commandes».
Une lutte impopulaire
La colère des nouveaux dirigeants s'explique par la trop grande proximité des Américains avec le président Musharraf, considéré comme un dictateur, et le refus de Washington de changer de stratégie envers les talibans et les extrémistes.
L'an dernier, les manoeuvres du chef de l'État pakistanais afin de contrecarrer les activités de l'opposition et de museler le système judiciaire ont provoqué de violentes manifestations, et c'est dans ce contexte agité que Benazir Bhutto, dont le parti a gagné les élections de janvier dernier, a été assassinée. Pendant toute cette période, les États-Unis ont réaffirmé le caractère «indispensable» de l'allié Musharraf.
Des politiciens pakistanais ont fait comprendre à Negroponte que la stratégie ne peut pas être que militaire et que des négociations doivent s'ouvrir. Le nouveau premier ministre a même affirmé que le Parlement devait jouer un rôle central dans la lutte contre le terrorisme.
L'administration américaine a-t-elle compris le message? De deux choses l'une: soit elle prend acte que le temps est révolu où, au lendemain du 11 septembre, son envoyé spécial pouvait dire aux Pakistanais de se ranger aux côtés des Américains sinon leur pays serait renvoyé à l'âge de pierre, soit le gouvernement civil ne survivra pas longtemps à l'alliance de fer entre Washington et les militaires pakistanais qui dure depuis 60 ans.
Les enjeux sont énormes pour les États-Unis. Le Pakistan est un État nucléaire et la clé de voûte d'une solution en Afghanistan. Un mauvais calcul de la part de Washington pourrait mener à la catastrophe et mettre en danger les milliers de soldats occidentaux en Afghanistan.
Les dirigeants de l'OTAN n'ont pas discuté de la situation au Pakistan. Ils ne pouvaient sans doute pas le faire, mais ils doivent savoir que ce qui se passe dans ce pays est aussi - sinon plus - important qu'en Afghanistan.
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Jocelyn Coulon
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CÉRIUM de l'Université de Montréal.


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