L'ombre de Trudeau

On a compris depuis longtemps à Toronto que la conception d'un Canada centralisé est toujours mieux défendue par un Québécois tenant de la ligne dure

S. Dion, chef du PLC



Quoi qu'on dise, c'est l'ombre de Pierre Elliott Trudeau, bien plus que celle de Jean Chrétien, qui aura plané sur la campagne à la direction du Parti libéral du Canada, qui s'est terminée samedi à Montréal.
Au début de la course, tout semblait désigner l'élégant Michael Ignatieff. C'est finalement, contre toute attente, le candidat le moins charismatique de tous, Stéphane Dion, qui l'emporte. Même si, dans le cours de cette longue bataille de huit mois, les cartes ont commencé à se brouiller dès le début de l'été, à la suite des déclarations de Michael Ignatieff sur le Liban et l'Afghanistan, le vent a vraiment tourné en septembre, quand le même Ignatieff a exprimé son intention de voir reconnue la "nation" québécoise dans la Constitution canadienne.
On a vu alors remonter à la surface l'incapacité chronique du Parti libéral canadien de développer de manière articulée quelque "accommodement raisonnable" sur le statut du Québec. Mue par le seul ressort de l'obsession anti-souverainiste, la vieille garde du parti s'est empressée de se mobiliser pour colmater la brèche ouverte par Ignatieff dans l'armure forgée par Pierre Elliott Trudeau et rapiécée sous le règne tumultueux de Jean Chrétien. Même l'héritier légitime et leader en devenir, Justin Trudeau, a dû venir à la rescousse pour remettre les pendules à l'heure et désavouer sèchement le trublion qui menaçait de dilapider le legs de son père! Stéphane Dion était, bien sûr, le candidat le plus susceptible de tirer profit de la nouvelle donne.
L'influent Globe & Mail, de Toronto, est allé jusqu'à faire fi de la classique règle de l'alternance francophone-anglophone à la tête du PLC déjà mise à mal par Paul Martin en 2004 en appuyant solennellement le seul candidat québécois présent dans la course, quelques jours avant le congrès de Montréal. À l'évidence, il aura vu en lui le plus solide rempart contre les futiles et désespérantes prétentions de "la province d'à-côté". Le quotidien légitimait donc à l'avance les tractations destinées, après le premier tour de scrutin, à barrer la route à Ignatieff. On a en effet compris, depuis longtemps, dans la Ville-Reine, que la conception d'un Canada centralisé est toujours mieux défendue par un Québécois tenant de la ligne dure, et soucieux de plaire à l'Ontario, que par un Ontarien qui pourrait être un jour tenté de vouloir tendre la main aux Québécois.
Il était donc logique que soit retirée subrepticement l'embarrassante résolution sur la nation québécoise juste avant l'ouverture du congrès libéral à Montréal. Dès lors, les candidats ont pu lancer, vendredi soir, de vibrants appels à l'unité, en proclamant que les Québécois étaient attachés aux mêmes valeurs que les autres Canadiens et que les vraies priorités pour le pays étaient l'économie, l'environnement et la justice sociale. Comme si le fait de cesser de parler d'un problème suffisait à le faire disparaître.
L'héritage de Pierre Elliott Trudeau est donc demeuré intact avec la victoire du ministre de la "clarté". Comme l'a si justement rappelé le Globe & Mail, Stéphane Dion est un homme qui n'a jamais fléchi dans les batailles qu'il a livrées. Or, l'histoire l'a démontré, cette vision centralisatrice du Canada, ne sera jamais acceptée par le Québec. Beaucoup de libéraux fédéraux québécois, surtout ceux qui ont appuyé Michael Ignatieff, en sont pleinement conscients.
Mais qu'importe! Le poids de l'Ontario, augmenté de quelques circonscriptions anglophones de Montréal, suffira peut-être encore, on l'espère, à faire élire un gouvernement libéral. Après tout, c'est tellement plus simple de pouvoir se passer du Québec francophone.
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.

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Martine Tremblay12 articles

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Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.





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