L’œuvre de Jean Chrétien : une Guerre de neuf ans

Neuf ans de guerre pour «humaniser» le peuple québécois...

Chronique de Claude Bariteau

Peu après la recension du livre d’Edouard Cloutier, [Commandites et corruption canadienne->7910], par Louis Cornellier, Le Devoir publia deux textes sans auteur repérable signés Presse Canadienne. Faisant la promotion du juge Gomery, ils contraient indirectement les idées de Cloutier. J’ai relu son livre. Un point précis attira mon attention : l’absence, dans le rapport du juge, d’un écho aux motifs du déploiement des commandites à la demande du premier ministre du Canada, qui était alors sur le pied de guerre.
[->1031]Comme le révèle Cloutier, le commissaire s’est penché uniquement sur la méthode employée. Si les règles administratives eussent été respectées, ce déploiement n’aurait pas fait problème. La preuve : dans son rapport, seules des déficiences administratives sont notées. Or, pour Cloutier, ce sont là des détails, les commandites ayant plutôt contribué au détournement politique du référendum de 1995 et, ultérieurement, à la promotion du Canada au Québec.
À mon avis, il y eut beaucoup plus. Stéphane Dion, qui présida le Conseil privé de sa Majesté durant presque toute la durée des commandites, l’a dit aux audiences de cette commission : les commandites étaient secondaires par rapport aux investissements par le Canada dans ses champs de compétence et dans ceux partagés avec les provinces pour lier notamment le Québec au Canada.
Pour bien comprendre cette affirmation, il faut se rappeler qu’en 1980 Pierre Elliott Trudeau déclara que vouloir sortir du Canada est un crime contre l’humanité. Pour empêcher que ce crime ne s’accomplisse, il soutint qu’un non serait un oui à des changements sans en révéler la teneur, rapatria la constitution et la modifia, indépendamment de l’Assemblée nationale, en y insérant des règles qui renforcent les pouvoirs du Canada et bloquent toutes modifications futures majeures.
Comble de malheur, quinze ans plus tard, les Québécois toutes origines confondues sont invités à commettre une deuxième fois un crime contre l’humanité. Il fallait les en dissuader. D’où les contournements de la loi québécoise sur la consultation populaire, des naturalisations à toute vitesse et d’autres gestes analogues. Puis, pour éviter d’avoir à le refaire une troisième fois, des mesures à profusion pour miner les terrains là où le peuple québécois consolide son « vivre-ensemble », embraser le cerveau de ses membres avec des leurres enrobés d’unifoliés et, en prime, une loi soumettant tout recours à un référendum aux diktats de la Chambre des communes.
En 1995, le Canada était effectivement en guerre contre le peuple québécois. Durant neuf ans, une charge fut déployée à fond de train pour stopper sa marche. À l’occasion de cette guerre, les gouvernements de Parizeau, de Bouchard et de Landry furent menottés, le peuple québécois dérouté et Jean Charest, le vice-président du camp du non, installé à la tête du Québec pour écrouer ce peuple dans la prison qu’est la province de Québec.
Dans cette perspective, les travaux de la commission Gomery s’apparentent à un acte de contrition avançant que le Canada, lorsqu’il fait une guerre humanitaire, doit agir proprement. Aussi, le juge Gomery, qui eut le mandat de nettoyer les bavures, devait s’indigner et pointer la racaille. Quant à la guerre planifiée en haut lieu, nenni. Et pour cause : pour le Canada, elle visait à protéger une peuplade d’une dérive historique.
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[->9658]
Voilà où m’a conduit une relecture de Cloutier. Je me suis alors demandé s’il en fut ainsi depuis la conquête de la Nouvelle-France. Non pas des actes de contrition. Plutôt des moyens utilisés pour empêcher l’expression des gens habitant le Québec. Voici la réponse : tous les changements marquants de l’histoire politique du Québec se sont réalisés indépendamment de leurs choix.
En 1763, le Roi de la Grande Bretagne définit unilatéralement le mode de gestion dans sa nouvelle colonie. En 1774, ce roi redéfinit le territoire et le pouvoir local. Craignant les réactions du peuple, il inscrit, dans l’Acte de Québec, des ouvertures en réponse aux attentes du clergé, des seigneurs et des marchands anglais, espérant qu’ils empêchent ce peuple de se liguer aux Patriots américains.
En 1791, à la demande de Loyalistes venant des États-Unis, un Acte constitutionnel, qui mit fin à l'existence de la Province of Quebec, crée deux entités : le Bas-Canada et le Haut-Canada. Chacune dispose d’une Assemblée législative de membres élus mais les lois qu’ils votent peuvent être rejetées par le gouverneur ou par les membres du Conseil législatif que ce dernier a nommés à vie. L’Assemblée législative n’a donc de pouvoir réel que celui de refuser le budget, ce que font ses élus en 1836.
Ce geste conduit aux affrontements de 1837 et de 1838 aux termes desquels les Conseils exécutifs des Bas et Haut-Canada créent, à la demande du parlement britannique, le Canada-Uni, entité qui abolit, en les fusionnant, les précédentes mais en conserve le cadre. Il en découle la disparition d’un parlement où s’exprimait une population majoritairement de langue française. Pour éviter qu’elle se retrouve majoritaire dans la nouvelle entité, il est décrété que soit élu un nombre égal de députés en provenance des entités antérieures bien que celle du Bas-Canada regroupe près de 60 % de l’ensemble.
En 1848, ce Canada-Uni obtint la responsabilité ministérielle sur les affaires locales. Mais, peu après le constat que les Canadiens anglais sont majoritaires, donc sous-représentés, il connaît des difficultés. Divers projets sont élaborés pour revoir cette entité. Antoine-Aimé Dorion demande que la population de l’ex-Bas-Canada soit consultée. Les élus du Canada-Uni refusent. Quant aux autorités britanniques, il leur suffit qu’une majorité d’élus canadiens-français consentent sans mandat. Ainsi est né le Canada.
[->archives/hist/biographie/indextrudeau.html]
Ainsi se refait-il en 1982 après le refus des premiers ministres provinciaux de tenir un référendum à la suggestion de René Lévesque. Une fois de plus, les autorités britanniques acceptent que le Canada soit revu sans consultation des populations concernées. C’est ainsi que les Québécois ne purent exprimer leur point de vue. Il en fut de même pour leurs élus de l’Assemblée nationale. Ni les autorités britanniques, ni la Cour suprême n’y portèrent attention.
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De tous ces changements, il ressort que les élus du peuple québécois n’ont de légitimité que s’ils décident selon les attentes des dirigeants britanniques ou canadiens. Quant au peuple, il importe à ces mêmes dirigeants qu’il ne puisse exprimer son choix, car il pourrait perpétrer démocratiquement un crime contre l’humanité. Quelle horreur ! Tels étaient les objectifs de la Guerre de neuf ans.
Peu après le dépôt du rapport Gomery, Jean Chrétien, qui côtoya les Mandela, Poutine et Clinton de ce monde, fut reçu par sa Majesté, car il a rempli le mandat que lui assigna le Gouverneur général : défendre le Canada contre vents et marées, quitte, s’il le faut, à contraindre l’élan de liberté du peuple québécois. Il sera sûrement anobli, de son vivant ou à titre posthume.
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Claude Bariteau, anthropologue

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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