L'oeuvre de Dion

L'élection de M. Dion comme chef du PLC a sans doute été le moment le plus surréaliste qu'il m'ait été donné de vivre en plus d'un quart de siècle de couverture politique.

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Le proverbe est bien connu: «On peut tromper quelqu'un tout le temps, on peut tromper tout le monde un certain temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps.»
C'est toute l'histoire de Stéphane Dion. Il s'en trouvera sans doute quelques-uns, comme Don Boudria, pour continuer à penser qu'il aurait fait un bon premier ministre. Les délégués au congrès libéral de décembre 2006 ont voulu le croire, mais l'évidence a fini par s'imposer.
L'élection de M. Dion comme chef du PLC a sans doute été le moment le plus surréaliste qu'il m'ait été donné de vivre en plus d'un quart de siècle de couverture politique. Les libéraux réunis au Palais des congrès de Montréal ce soir-là semblaient vivre sur une autre planète.
Il fallait vraiment que l'adoption de la Loi sur la clarté ait aveuglé les délégués pour les empêcher de voir à quel point celui auquel ils s'apprêtaient à confier leur destinée était non seulement persona non grata au Québec, mais qu'il était également dépourvu de charisme et de sens de la communication. Sans parler des déficiences de son anglais.
Au départ, il n'aurait jamais dû avoir suffisamment d'appuis pour qu'un hasard stratégique lui permette de se faufiler. Il s'agit sans aucun doute d'une des pires erreurs de casting dans les annales politiques canadiennes.
C'est précisément parce qu'ils sont eux-mêmes responsables du désastre du 14 octobre dernier que les libéraux devaient se montrer intraitables envers M. Dion. Il fallait éliminer au plus vite cette preuve gênante de leur propre ineptie. Hier, il a certainement causé une immense déception en annonçant son intention d'assurer l'intérim jusqu'à ce que son successeur soit choisi.
Même s'il a dû se résigner à l'inévitable, M. Dion ne comprend toujours pas à quel point il n'était pas fait pour être chef. Sa conférence de presse s'apparentait à du déni. Si les conservateurs ont pu miner aussi facilement sa crédibilité et celle de son programme, c'est bien sûr qu'ils avaient les moyens de s'offrir de la publicité, mais c'est surtout qu'il était lui-même une proie facile.
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Dire que je n'ai jamais été un grand fan du chef libéral serait un euphémisme, même si sa détermination et son intégrité personnelle commandaient le respect. Comme cet autre antipoliticien qu'était M. Ryan, M. Dion alliait à une envergure intellectuelle incontestable une intransigeance cassante qui indisposait ses propres collègues.
Dans l'esprit de certains, il demeurera un véritable héros, qui a empêché l'éclatement du Canada. M. Dion lui-même semble le penser. En décembre 2003, alors qu'il cherchait désespérément à conserver une place dans le nouveau gouvernement de Paul Martin, il avait déclaré à un journaliste: «Sans moi, le Canada n'existerait pas. Si je n'avais pas été là, le président de la République du Québec s'appellerait Lucien Bouchard.»
En réalité, ce n'est pas la Loi sur la clarté qui a empêché M. Bouchard de tenir un référendum. Bien avant son adoption, en juin 2000, les résultats décevants des élections du 30 novembre 1998 l'avaient forcé à y renoncer, et l'impopularité de son gouvernement n'a cessé d'augmenter jusqu'à son démission.
En revanche, les interventions répétées de M. Dion sur les problèmes que créerait la sécession du Québec, notamment en ce qui concerne l'intégrité de son territoire, avaient le don d'agacer l'ancien premier ministre au plus haut point. Il faut reconnaître qu'organiser un Forum des fédérations à Mont-Tremblant, avec Bill Clinton en vedette principale, ne manquait pas d'imagination.
C'est après le départ de M. Bouchard que la Loi sur la clarté a provoqué au sein du mouvement souverainiste une radicalisation qui n'est pas étrangère à la baisse de ferveur des dernières années. Pour certains «purs et durs», elle a transformé le référendum en un véritable piège, auquel les souverainistes ne peuvent échapper qu'en trouvant un autre moyen de réaliser la souveraineté.
Sans renoncer au référendum, le PQ a cherché à s'adapter à la nouvelle situation en écartant la souveraineté-partenariat de 1995 au profit d'une question qui porterait directement sur la souveraineté. Avec le résultat que le oui a perdu près de 10 points dans les sondages.
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La clé de la réussite de M. Dion demeure toutefois l'entreprise de culpabilisation collective à laquelle il s'est livré durant les années qui ont suivi le référendum. À l'entendre, le projet souverainiste, «exclusif» et «ethnocentriste», constituait une véritable atteinte à la morale universelle. Déjà déstabilisés par la malheureuse phrase de Jacques Parizeau, les souverainistes ont eu tellement peur de donner raison à leur accusateur qu'ils ont complètement aseptisé leur discours.
Inversement, quand il était à l'étranger, M. Dion ne tarissait pas de louanges pour «l'empathie» que les Canadiens anglais éprouvaient pour leurs compatriotes francophones. À l'entendre, la Loi sur les langues officielles avait provoqué une véritable «révolution des esprits».
Au cours de la dernière campagne, le chef libéral en a surpris plus d'un en soutenant qu'il était aussi nationaliste que Gilles Duceppe. En réalité, dans son désir de discréditer le projet souverainiste, il a travesti le nationalisme québécois, comme un homme qui veut abattre son chien l'accuse d'avoir la rage. La fin justifie les moyens, paraît-il.
Hier, M. Dion a expliqué être entré en politique pour aider son pays à rester uni. Il faut reconnaître qu'il y est parvenu. Maintenant qu'il a été viré, va-t-on lui élever une statue? Le prochain chef libéral pourra ensuite expliquer aux Québécois qu'il est temps de tourner cette triste page.
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mdavid@ledevoir.com


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