Entre Trudeau et Garneau

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À son arrivée à la tête du PLC, Stéphane Dion n'avait voulu ni de Justin Trudeau ni de Marc Garneau comme candidats dans Outremont. Par la suite, les barons ontariens du parti lui avaient signifié qu'il ne saurait bloquer la voie au premier dans Papineau. Vendredi, le chef libéral a plié de nouveau et confié la forteresse de Westmount-Ville-Marie à M. Garneau.
Aux prochaines élections, les deux recrues les plus notoires du nouveau chef dans sa propre province seront donc le fruit de figures imposées. Elles sont également représentatives de deux mouvances contradictoires au sein du PLC. Avec Justin Trudeau et Marc Garneau comme candidats au Québec, Stéphane Dion n'est pas autant un cordonnier mal chaussé qu'un chef équipé de souliers dépareillés.
Marc Garneau a été l'un des principaux promoteurs de la reconnaissance de la nation québécoise l'an dernier; Justin Trudeau était résolument dans l'autre camp. La collision entre ces deux factions avait été l'élément déterminant de la course au leadership libérale. Faute d'avoir été résolue, cette division menace désormais de rendre la défaillante coalition libérale encore plus dysfonctionelle. D'ici les prochaines élections, Stéphane Dion va se retrouver entre deux feux.
À entendre le chef libéral aux Communes la semaine dernière et encore au moment de l'annonce de la candidature de Marc Garneau vendredi, on comprend qu'il veut changer de discours au Québec ou, tout au moins, mettre en évidence d'autres facettes de sa personnalité politique que celles que l'on a vues depuis dix mois. La défaite dans Outremont semble lui avoir ouvert les yeux sur l'ampleur du gouffre qui le sépare de ses compatriotes québécois.
Dans son esprit, ce gouffre est davantage imaginaire que réel. En réponse au Discours du trône la semaine dernière, M. Dion s'est acharné à le démontrer. Il a vanté ses efforts passés pour limiter le pouvoir fédéral de dépenser, affirmant qu'aucun politicien fédéral n'avait fait davantage pour le baliser. Par la même occasion, il a rappelé que le premier ministre l'avait consulté avant de présenter une résolution sur la nation québécoise l'an dernier. À Westmount, M. Dion a lourdement insisté sur l'appui qu'il avait donné à cette résolution aux Communes.
Ce faisant, le chef libéral est finalement fidèle à lui-même. Contrairement à d'autres ténors libéraux, il a non seulement voté pour la résolution de Stephen Harper, mais il l'a également défendue aux Communes. Quant au pouvoir de dépenser, à sa face même le projet conservateur tel qu'il est énoncé dans le discours du Trône constitue davantage un prolongement de l'union sociale que M. Dion a négociée qu'une révolution.
Quoi qu'en disent ses détracteurs de l'extérieur du Québec et ses admirateurs québécois, le premier ministre n'est pas en voie de chambouler l'ordre établi en matière de fédéralisme au Canada. Même s'il n'a pas l'ambition de lancer de grands chantiers sociaux, rien n'empêcherait ses éventuels successeurs d'en ouvrir sous le régime qu'il propose.
Le projet actuel ne touche que les programmes à frais partagés. Il n'influe pas sur la capacité d'Ottawa de lancer des initiatives unilatérales, en éducation post-secondaire par exemple ou encore, comme il l'a fait récemment, en créant une commission sur la santé mentale. Quant à l'offre d'opting-out avec dédommagement faite aux provinces en vue de futures initiatives à frais partagés, elle est conditionnelle à la création de programmes comparables. De plus, elle est d'autant plus gratuite que les deux grands projets qui sont le plus susceptibles de se retrouver dans le collimateur fédéral à moyen ou à long terme, à savoir l'assurance médicament et les garderies, sont déjà solidement implantés au Québec. On est ici dans la marge plutôt qu'au coeur du débat.
Sauf que le discours de Stéphane Dion colle davantage à la réalité qu'aux ambitions électoralistes de ses stratèges. Car dans les officines du PLC, on calcule que les libéraux n'ont pas grand-chose à gagner au Québec aux prochaines élections, et on rêve d'en découdre avec Stephen Harper sur l'ensemble de son oeuvre en matière d'ouverture aux nationalistes québécois dans le reste du Canada.
Gerard Kennedy, à qui Stéphane Dion a confié l'organisation de la campagne et à qui il doit sa victoire au leadership, a fait campagne contre la reconnaissance de la nation québécoise l'automne dernier. Sa position reflète mieux l'opinion majoritaire libérale que celle de son chef. Dans cet esprit, jusqu'à tout récemment, le PLC avait davantage tenté d'évacuer le courant sympathique à la reconnaissance nationale du Québec que de souligner les états de service positifs de son nouveau chef sur la question.
Bob Rae - qui est mandaté pour mettre la main à la pâte du programme électoral du parti - a signé il y a quelques semaines un réquisitoire en règle contre le gouvernement Harper qu'il a accusé (sans preuves) de vouloir saper à tout jamais le leadership social du gouvernement fédéral. Comme chef néo-démocrate en Ontario, M. Rae avait été partant pour baliser le pouvoir fédéral de dépenser plutôt deux fois qu'une, une tendance qui n'a apparemment pas survécu à sa métamorphose politique.
Dans le sérail ontarien du PLC, on voit l'idée de transformer la prochaine campagne libérale en croisade pour extirper le Canada des griffes d'un premier ministre déterminé à réduire la fédération à une coquille vide pour plaire aux nationalistes québécois comme la recette gagnante des prochaines élections.
Dans ce contexte, les efforts actuels de Stéphane Dion au Québec vont à contre-courant de la tendance lourde de sa formation, celle-là même qui l'a porté au leadership l'an dernier.


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