Ottawa -- C'était écrit dans le ciel, et Stéphane Dion a confirmé hier qu'il ne dirigerait pas les troupes libérales lors de la prochaine élection. Il restera à la tête de sa formation le temps qu'un successeur lui soit trouvé. Déjà, les diverses équipes s'animent, et tout indique que Martin Cauchon, l'ancien ministre de la Justice et député d'Outremont, se lancera dans la course.
«J'ai informé le président du Parti libéral du Canada et le président du caucus national de mon intention de demeurer chef de notre parti... jusqu'au moment où un nouveau chef sera choisi», a-t-il déclaré. Stéphane Dion a gagné de l'assurance lorsqu'il a répondu aux questions.
Le chef démissionnaire a invité les militants et les responsables du PLC à un examen de conscience. Les perspectives d'avenir du Parti libéral ne s'amélioreront pas comme par magie en élisant un nouveau chef et en adoptant un nouveau programme, a-t-il mis en garde. «Notre pourcentage des suffrages a diminué au cours des trois dernières élections. Cette tendance doit être renversée, car nous devons gagner la prochaine élection», a-t-il déclaré. Le PLC a obtenu 26,2 % des voix, une diminution de quatre points par rapport à 2006.
Selon M. Dion, le problème central du PLC est pécuniaire: il n'a pas su prendre le virage du financement populaire comme l'ont réussi le Parti conservateur ou même le NPD. Sans argent, le PLC n'a donc pas pu répliquer aux salves publicitaires répétées des conservateurs qui l'ont dépeint pendant deux ans comme un chef faible et sans carrure. «La principale raison pour laquelle je reste chef, c'est pour m'assurer que le Parti conservateur ne fera pas la même chose au prochain chef», a expliqué M. Dion.
Martin Cauchon dans la course
La liste des prétendants potentiels au trône libéral s'allonge de jour en jour. Selon les informations du Devoir, Martin Cauchon songe «très sérieusement» à se lancer. «Il se dit que s'il n'y va pas maintenant, l'occasion ne se représentera peut-être pas avant huit ou neuf ans», explique une source très proche de M. Cauchon et qui souhaite ardemment son retour en politique active. «Barack Obama va devenir président des États-Unis à 47 ans et, nous, on élirait quelqu'un en fin de carrière? Il y a un vent de changement, pour couper avec les vieux politiciens, et les gens sont tannés des Michael Ignatieff et des Bob Rae.»
En entrevue, M. Cauchon a refusé de se prononcer sur ses intentions, indiquant que c'était «la journée de Stéphane». M. Cauchon estime toutefois que le Parti libéral devra revoir les règles de fonctionnement de la course: le plafond de dépense doit à son avis être réduit à un million de dollars (afin de ne pas grever davantage les finances du PLC) et chaque membre du parti devrait avoir le droit de vote. Finis, donc, les congrès à l'investiture à l'ancienne avec délégués à la clé. Selon notre source, ces deux changements constituent autant de conditions à la candidature officielle de M. Cauchon.
M. Cauchon s'est illustré comme ministre de la Justice, militant pour la décriminalisation de la marijuana (avortée à cause de l'élection) et obtenant la légalisation des mariages entre personnes de même sexe. Cet activisme pourrait-il lui nuire auprès d'un électorat plus rural? Ses proches rappellent que M. Cauchon a été élevé à La Malbaie et a travaillé avec son père menuisier. «Il se sent aussi à l'aise dans un cocktail que les manches de chemise retroussées pour traire une vache.»
Une source libérale proche d'un adversaire éventuel, et qui désire rester anonyme pour des raisons évidentes, critique cette éventuelle candidature compte tenu du fait que M. Cauchon a refusé il y a à peine deux mois de se mesurer à Thomas Mulcair dans l'ancienne forteresse libérale d'Outremont. «Dans les moments difficiles, il faut être là.»
D'autres joueurs sont sur la liste. Denis Coderre, le député de Bourassa, tâte le terrain pour voir s'il a suffisamment d'appuis. Même chose du côté du député de Beauséjour, au Nouveau-Brunswick, Dominic Leblanc. Les titans de la dernière course, Michael Ignatieff et Bob Rae, sont encore une fois pressentis. Les deux hommes ont refusé de se prononcer hier, jugeant le moment prématuré. Franck McKenna n'a pas rappelé Le Devoir hier. Justin Trudeau a déjà annoncé qu'il ne serait pas de la course.
L'exécutif national du Parti libéral doit tenir une réunion le 8 novembre prochain pour déterminer la forme que prendra cette autre course au leadership. Le congrès du parti était prévu pour la première fin de semaine de mai à Vancouver, mais les plans sont désormais en suspens, confirme un porte-parole du PLC.
Mea-culpa mitigé
Si Stéphane Dion accepte de se retirer, il n'a pas entièrement voulu prendre sur ses épaules le fardeau de l'échec électoral. A-t-il eu livré performance à la hauteur? «On m'a dit que j'en ai eu une très bonne», a-t-il répondu.
Il reconnaît que le Tournant vert, prévoyant une refonte fiscale pour taxer la pollution, «était une erreur», non pas à cause de son contenu, mais plutôt parce que le parti «n'avait pas ce qu'il fallait pour l'expliquer». «Je crois encore que si nous avions été mieux équipés pour expliquer ce que je proposais, quel genre de leader je suis, quel genre de premier ministre je serais et quelles genres de politiques je proposerais pour le pays, nous aurions gagné», a affirmé M. Dion.
M. Dion a toutefois reconnu qu'il était aussi responsable de cela. «Ma part de responsabilité tient aussi au fait que je n'ai pas réussi à relever les finances du parti.»
La décision de M. Dion de rester en poste jusqu'à son remplacement ne fait pas l'unanimité. Selon diverses sources contactées hier, certains conseillers invitaient M. Dion à quitter immédiatement ses fonctions et à laisser un chef intérimaire tenir le fort jusqu'en mai. Selon une source libérale, Stéphane Dion a jonglé jusqu'à la fin avec cette possibilité. «La décision a changé plusieurs fois, et encore avant la conférence de presse», explique cette source au Devoir.
Ainsi, le président de l'aile québécoise du PLC, Robert Fragasso, et le député de Hull-Aylmer, Marcel Proulx, craignent que M. Dion ne fasse l'objet de railleries quotidiennes à la Chambre des communes. «J'ai l'impression que, pour lui, ça ne sera pas facile, a dit M. Proulx. Je n'ai pas l'impression que le gouvernement et les autres partis d'opposition vont lui faire de cadeaux. Ils vont certainement s'amuser à lui rappeler les occasions manquées et ce qu'ils perçoivent comme des mauvais coups de sa part.»
Pour Denis Coderre, il s'agit de broutilles auxquelles les libéraux ne devraient pas porter attention. Il rappelle que la Chambre des communes siégera en tout environ trois mois d'ici au congrès. «On ne va pas faire une chicane de corridor pour trois mois. Allo?!» M. Coderre souligne en outre que M. Dion sera le second chef du Parti libéral à ne pas avoir été aussi premier ministre du Canada. Le seul autre était Edward Blake, parti en... 1887. «Ça prend une bonne dose d'humilité pour décider de tirer quand même sa révérence. Lâchez-le, il s'en va.»
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Avec La Presse canadienne
Stéphane Dion s'incline
Martin Cauchon songe sérieusement à lui succéder
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