L'impérialisme québécois

Churchill Falls - Hydro-Québec / Énergie NB


Après deux siècles et demi à se remettre des effets de la Conquête, les Québécois ont bien du mal à s'imaginer dans le rôle des méchants impérialistes. Ils y voient presque un contresens.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, s'est excusé d'avoir attribué à un sentiment anti-Québec la féroce opposition à la vente d'Énergie NB à Hydro-Québec dans les régions rurales de la province, mais il s'agissait plutôt d'une de ces vérités qui ne sont pas bonnes à dire.
Si le ministre de la Défense du Canada, Peter MacKay, qui représente une circonscription de la Nouvelle-Écosse, a senti le besoin d'ajouter son grain de sel en qualifiant le projet de «prématuré», c'est qu'il voit très bien dans quelle direction souffle le vent.
À Québec, on assure que l'entente de principe conclue en octobre n'est pas compromise, mais le gouvernement Graham est clairement ébranlé. Un dossier comme celui-là peut rapidement prendre valeur de symbole et devenir l'enjeu d'une élection. Quand les députés ministériels boudent les rencontres d'information, c'est souvent mauvais signe.
Le prochain scrutin au Nouveau-Brunswick est prévu en septembre 2010, et les sondages sont inquiétants pour les libéraux de M. Graham. Il y a un an, ils voguaient vers une réélection facile avec 50 % des intentions de vote. En novembre dernier, ils n'en recueillaient plus que 36 %, soit un retard de dix points sur les progressistes-conservateurs de David Alward, qui fait activement campagne contre la vente d'Énergie NB.
Durant la même période, le taux de satisfaction envers le gouvernement a baissé de 60 % à 42 %. Le dossier énergétique n'est pas la seule explication de cette dégringolade, qui avait commencé au printemps, mais il a clairement amplifié la grogne.
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Il est normal que les contribuables du Nouveau-Brunswick s'interrogent sur les avantages et les inconvénients d'une transaction aussi importante. Le secret qui a entouré les négociations est également de nature à renforcer la méfiance.
Le premier ministre Charest se dit maintenant disposé à «améliorer» l'entente. Cela revient à reconnaître qu'elle n'est pas suffisamment avantageuse pour le Nouveau-Brunswick. Peu importe les modifications qui pourront y être apportées, plusieurs demeureront convaincus qu'il s'agit d'une arnaque.
Une régionalisation du marché de l'énergie se développe, a fait valoir Jean Charest, prenant à témoin le gouverneur du Maine, John Baldacci, qui s'est rallié à l'accord après s'en être d'abord inquiété. Peut-être, mais la réaction aurait-elle été aussi vive si c'était Terre-Neuve, plutôt que le Québec, qui agissait comme maître d'oeuvre de cette régionalisation?
Depuis trois mois, le premier ministre terre-neuvien, Danny Williams, appuyé par son homologue néo-écossais, Darrell Dexter, sillonne le pays pour dénoncer le monopole que le Québec tenterait d'établir à son profit, au détriment de sa province, de l'ensemble des Maritimes et de l'Ontario. Il est même allé le dire en Alberta.
À vingt ans de distance, la croisade anti-québécoise de M. Williams rappelle celle que son prédécesseur Clyde Wells avait menée contre l'accord du lac Meech. M. Wells soutenait aussi que les concessions faites au Québec nuiraient au reste du pays.
Coïncidence, c'était au Nouveau-Brunswick que les problèmes de Meech avaient commencé, quand Frank McKenna avait jugé avantageux d'en faire un thème de sa campagne électorale. M. Charest, que Brian Mulroney avait vainement mandaté pour trouver un compromis, doit s'en souvenir mieux que quiconque.
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Cette semaine, Terre-Neuve poursuivra son combat contre l'impérialisme québécois devant la Régie de l'Énergie. La société énergétique terre-neuvienne, Nalcor, a déposé quatre plaintes contre Hydro-Québec, qui lui refuse l'accès à son réseau de transport pour acheminer vers le marché américain l'électricité qui sera éventuellement produite par le projet de développement du Bas-Churchill.
Parallèlement, le gouvernement Williams a annoncé son intention de relancer la contestation judiciaire du contrat signé en 1969, qui permet à Hydro-Québec d'acheter à bas prix l'électricité produite à Churchill Falls jusqu'en 2041 et de la revendre ensuite avec un profit substantiel.
Tout cela va colorer passablement le débat sur la vente d'Énergie NB d'ici à la date limite du 31 mars. Les détracteurs de l'accord du lac Meech étaient parvenus à leurs fins parce qu'ils avaient gagné l'appui de l'opinion publique canadienne. Cette fois, M. Williams compte sur elle pour mettre un frein aux ambitions d'Hydro-Québec.
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mdavid@ledevoir.com


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