La décision controversée du juge Bourque

L’éthique des tricheurs

Ce sont les contribuables qui encouragent les tricheurs

Chronique de Louis Lapointe

À chaque fois qu’un tricheur se fait prendre, s’ajoute au scandale le concert d’opprobres de tous ceux qu’il a floués. Ce sont les honnêtes gens qui fabriquent les tricheurs et les menteurs, ce sont les honnêtes citoyens qui élisent les politiciens véreux. Ce sont les contribuables qui encouragent les tricheurs en leur donnant la légitimité qu'ils souhaitent obtenir afin de mieux les flouer par la suite.
Lorsque des sociétés de placements nous font miroiter de faramineux revenus pour notre retraite, nous ne posons pas trop de questions. Les hauts taux d'intérêt suffisent à nous convaincre. Lorsque des politiciens nous annoncent que le Canada ou le Québec ne seront pas touchés par la récession économique, nous acceptons de les croire et votons pour eux. Nous encourageons les menteurs en préférant les croire à l’encontre de tout bon sens et en les élisant.
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Prenez cette histoire où la juge Sophie Bourque a mis fin au procès de cinq accusés parce que des avocats de la couronne avaient menti et triché lors de la tenue du procès. Même si ces conséquences étaient prévisibles, compte tenu des agissements des procureurs de la couronne, tous les éditorialistes et gérants d’estrade s’en prennent à la juge Bourque ce matin.
Au nom du sens commun, ces journalistes défendent l’indéfendable : la tricherie des représentants du ministère public. C’est plutôt la démission du ministre de la Justice, le congédiement de ces procureurs et une sérieuse enquête du Barreau qu’ils devraient réclamer ce matin plutôt que de jeter le doute sur le jugement de la juge qui a été mise devant le fait accompli de l’immoralité de ses anciens confrères. Comment réagir devant tant de bêtise ?
La juge a rendu le seul jugement qu’elle pouvait rendre dans les circonstances, et tout ce qui arrive à la famille de la victime est uniquement dû à la faute des procureurs de la couronne et du ministère public qui, non seulement ont triché, mais en plus, ont comploté pour le faire. Un comportement totalement inacceptable et immoral que seul ce jugement de la juge pouvait sanctionner à sa juste mesure.
Il ne faut pas oublier que ces procureurs ont triché et se sont fait prendre. S’ils estiment que le jugement est trop sévère, ils devront s’expliquer devant la Cour d’appel qui ne manquera certainement pas de leur demander des explications au sujet de leurs écarts de conduite. Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ? D’ici là, le Barreau devra sortir de sa torpeur habituelle, trop habitué qu’il est à choisir les avocats délinquants qu'il souhaite jeter en pâture à la presse et au public, comme les Gendron, Bertrand et Archambault, lorsqu’il désire sanctionner des comportements fautifs.
Nous aimerions voir un peu plus de ces procureurs de la couronne, qui n’ont pas toute la dignité voulue pour accomplir leur mission publique, être mis sous la loupe du Barreau. Nous aimerions voir un peu plus de ces associées seniors de grands cabinets s’expliquer au sujet des PPP et des relations qu’ils entretiennent avec les gouvernements grâce au lobby non officiel d’anciens ministres et premiers ministres qu’ils engagent.
Peu de procureurs de la couronne sont l’objet d’enquête, même si parfois nous aimerions en savoir plus, comme dans l’affaire Marshall – cette histoire d’un jeune aliéné accusé injustement faute d’une enquête approfondie - où le procureur de la couronne n’a jamais été l’objet d’enquête, étant devenu par la suite syndic adjoint du Barreau et juge à la Cour du Québec et dont le quasi-anonymat a été préservé par une ancienne syndique du Barreau qui elle aussi n’a pas eu besoin de s'expliquer parce qu’elle est également devenue juge. Le Barreau a parfois manqué de courage au cours des dernières années, à l'image de l’affaire Marshall, préférant la diversion au détriment du bon jugement et de la protection du public.
Nous aimerions entendre le Bâtonnier du Québec au sujet de tous ces avocats qui siègent aux conseils d’administration d’établissements publics et qui représentent en même temps des clients qui souhaitent obtenir de faramineux contrat en PPP, comme c'est le cas à l’OSM. Nous aimerions l’entendre au sujet de cette pratique qui consiste à suggérer au client de solliciter deux avis divergents afin de pouvoir justifier toute éventuelle conduite, y compris les manquements à l’éthique, et ce, quelle que soit la tournure des évènements, comme nous l’avons vu récemment à la Ville de Montréal.
L’éthique est devenue un concept galvaudé tant il est malmené par ceux qui l’invoquent. On peut lui faire dire tout ce qu’on veut et son contraire grâce aux avis contradictoires de certains avocats dont la réputation demeure au-dessus de tout soupçon tant leurs cabinets sont célèbres et prestigieux. Comme me le rappelait avec justesse un vieil et sage avocat lorsque j’ai commencé à pratiquer, si la parole d’un homme a déjà été sacrée, aujourd’hui, même sa signature ne vaut plus le papier sur lequel elle est apposée. Imaginez, nous étions alors en 1981.
Louis Lapointe

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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