«Celle que son pays a baptisé la ‘Petite Reine’» (dixit Le Figaro du 8 mai
08, inutile de préciser que ni le Canada anglais ni le Canada français
n’ont jamais surnommé Madame Michaëlle de la sorte!) laissait entendre à
Bordeaux que l’esclavage des Noirs en Nouvelle-France était pratique
courante: «Pour moi, c'est extrêmement émouvant de pouvoir regarder en face
ce chapitre historique avec la France et de mesurer la marche de
l'histoire, poursuit-elle. Là encore, c'est une histoire que nous avons en
partage, parce que l'esclavage était aussi pratiqué dans la
Nouvelle-France, aujourd'hui le Québec. Rappelons-nous que lorsque la
France a aboli cette traite infâme, des milliers de femmes et d'hommes ont
été du coup affranchis, en Nouvelle-France comme dans les colonies du
Sud».
Mentionnons tout d’abord, que ce n’est pas la France qui a aboli
l’esclavage en Nouvelle-France (Québec) mais bien l’Angleterre en 1833.
Mentionnons également que jamais il n’y eut en Nouvelle-France des milliers
d’esclaves noirs. On compte tout au plus 323 esclaves dont 280 furent, à la
fin du régime français, des esclaves emmenés par les conquérants
britanniques.
C’est donc un grand total d’une quarantaine d’esclaves noirs qui furent
détenus par les habitants de la Nouvelle-France et non des milliers
d’individus. Il est important de souligner également que dès l’arrivée du
régime anglais, après 1760, la population d’esclaves noirs monta en flèche
et passa de 323 à près de 1 400 dont 1 200 étaient détenus par des
propriétaires britanniques.
Régime Français
Le premier français à recevoir en cadeau (d’un anglais) un petit esclave
noir des Antilles fut Guillaume Couillard (matelot, charpentier, habitant
et marguillier) en 1632. Il semble que ce jeune noir, baptisé Olivier
Lejeune, et dont le Père Paul Lejeune jésuite était le parrain, eut quelque
rudiment de catéchisme et d’écriture. On peut donc le considérer en bon
escient comme le premier étudiant noir en Nouvelle-France et peut-être même
du nouveau monde. Par la suite, nous le retrouvons domestique, mais libre,
chez le couple Guillaume-Guillemette Couillard-Hébert de Québec. Il eut
bien par la suite quelques démêlés avec la justice de l’époque pour fausses
dépositions… mais c’est là une autre histoire.
Lorsqu’on parle de l’esclavage en Nouvelle-France on fait référence en
tout premier lieu à l’esclavage des Amérindiens de la nation pawnee. La
nation des Pawnees (> Pawnee > Panis > Panisse) avait pour territoire une
partie du centre des États-Unis située aujourd’hui dans les États du
Nebraska, du Kansas et du Missouri, que les coureurs des bois en même temps
que les fourrures, allaient chercher très jeunes, pour servir surtout de
domestiques-esclaves à ceux qui pouvaient les loger et les nourrir.
Les « donnés »
Un autre groupe dont on parle habituellement peu lorsqu’on parle
d’esclavage est le groupe des « donnés ». Il s’agit d’une catégorie
particulière puisque le donné se donnait volontairement et en toute
connaissance de cause à un maître, ou à une communauté de maîtres, je pense
ici aux communautés religieuses, souvent en sacrifice ou en expiation d’un
quelconque péché. En Nouvelle-France ce furent les Jésuites qui profitèrent
de ce trop plein de dévotion.
Ces donnés n’avaient pas fait des vœux de religion mais étaient liés par
un contrat envers la Compagnie de Jésus. Le contrat de donation était ainsi
libellé: « Je soussigné ……déclare que de ma propre et franche volonté je me
suis donné à la compagnie de Jésus pour servir et assister de tout mon
pouvoir et industrie les Pères de ladite Compagnie qui travaillent au salut
et à la conversion des pauvres sauvages et barbares de la Nouvelle-France
». Par ce contrat, il se donnait littéralement à la Compagnie à laquelle il
devra dorénavant obéissance jusqu’à la mort. Beaucoup de donnés aspiraient
à la vie religieuse, mais n’étant ni suffisamment instruits ou doués
intellectuellement c’était souvent la seule manière de joindre l’état de
missionnaire.
Les donnés recevaient en échange, gîte, couvert et assistance en cas de
maladie. Le donné devait effectuer en somme tout ce qu’un jésuite lui
demandait de faire et ce avec plaisir et sans jamais se plaindre. En
Nouvelle-France, ils faisaient office de rameurs, de menuisiers, de
serviteurs, de défricheurs, d’hommes à tout faire quoi… pour les Jésuites
que les Indiens appelaient « les Robes Noires ».
L’idée de créer en Nouvelle-France un corps de donnés pour aider les
Jésuites dans l’œuvre d’évangélisation venait semble-t-il du père Jérôme
Lallemant. Pourtant cette notion n’était pas nouvelle en soi puisqu’en
Amérique du sud les Jésuites utilisaient déjà des donnés dans leurs
missions et ce depuis les tout débuts de cette colonisation.
La plupart des donnés ont respecté leur contrat de donation, d’autres ont
déserté pour retrouver leur liberté et devenir coureurs des bois.
Les propriétaires d’esclaves
Les propriétaires d’esclaves noirs et panisses appartenaient
ordinairement à la haute société, au clergé, à la classe marchande et à la
bourgeoisie. Ils étaient marchands, hauts fonctionnaires, intendants,
gouverneurs et membres d’une communauté religieuse, les donnés n’étant pas
suffisamment nombreux pour effectuer le travail manuel sur les terres,
dépendances, seigneuries et fermes appartenant aux dites communautés.
Les petites gens n’ont ordinairement pas d’esclaves, quoique… L’historien
Marcel Trudel rapporte le cas d’une veuve qui ayant reçu en héritage deux
panisses dut leur rendre leur liberté n’ayant pu les nourrir ni les habiller
convenablement.
Autre fait à noter: en Nouvelle-France et contrairement à ce qui se
passait en Haïti, en Louisiane ou ailleurs dans les Antilles, les esclaves
panisses et les quelques dizaines de d’esclaves noirs vivaient avec les
familles. En général, les maîtres considérèrent leurs esclaves comme des
domestiques et ceux qui pouvaient se payer un ou des esclaves en prenaient
ordinairement soin. Et contrairement à ce qui se passait chez les
Américains du sud, les habitants de la Nouvelle France ne les vendaient pas
à l’encan, la société condamnait de plus les cas de violence envers les
esclaves. Il y eut même mariages entre Esclaves et Français : 39 mariages
dont 31 entre Amérindiens et Français et 8 entre Noirs et Français.
À partir de 1790, on commence à s’interroger sur le bien fondé de posséder
un être humain. Un courant de sympathie commence alors à circuler parmi la
population si bien qu’à partir de 1800 il y a de moins en moins
d’esclaves. L’empire britannique va finalement abolir l’esclavage en 1833.
***
Jeanne-Mance Rodrigue M.A. (histoire)
Rimouski
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L'esclavage en Nouvelle-France
jamais il n’y eut en Nouvelle-France des milliers
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6 commentaires
Jeanne-Mance Rodrigue Répondre
29 juillet 2009Le sujet des donnés, que j’identifie volontiers à de l’esclavage volontaire, est très intéressant en soi et peu traité de nos jours.
Le jésuite Jean Coté s’est intéressé dans les années 1950 au phénomène des donnés dans deux articles de la Revue d’Histoire de l’Amérique Française (RHAF) que vous trouverez en bibliothèque et sur Internet aux sites suivants :
http://www.erudit.org/revue/haf/1956/v10/n3/301785ar.pdf
http://www.erudit.org/revue/haf/1961/v15/n3/302134ar.pdf (bibliographie)
Vous avez également de Laverdière et Casgrain, (autres jésuites) Le Journal des Jésuites, éditions François-Xavier, Montréal/Laval, 403 p., 1973, qui contient une étude sur les donnés.
Vous trouverez encore quelques pages sur les donnés dans l’ouvrage, Les Coureurs des Bois, la Saga des Indiens blancs, de Georges-Hébert Germain, sous la direction de l’historien Jean-Pierre Hardy, ed. Libre-Expression, 2003.
***
L’institution des donnés comme le rappelle Jean Coté remonte aussi loin que le Moyen Âge. Dans les Congrégations autres que la Compagnie de Jésus, on les désignait comme «serviteurs perpétuels» ou «domestiques perpétuels». Les jésuites les définissaient quant à eux sous le vocable de «donnés» («donnez» en français du XVIIe s.). Il n’y a pas que les Jésuites qui eurent des donnés en Nouvelle-France, on rapporte également le cas des Ursulines de Québec.
Quelques donnés de la Compagnie de Jésus :
Jean Pelletier,
Robert Le Coq,
Jacques Caulmont,
Jean Guérin,
et d’autres encore dont le plus connu, René Goupil.
Le cas de R. Goupil est exceptionnel, car les donnés sont ordinairement des gens simples, sans trop d’éducation et souvent sans métier. Goupil était déjà chirurgien à son arrivée au noviciat de Paris en 1639. Il dut cependant après quelques années quitter le noviciat pour semble-t-il des raisons de surdité. Tout porte à croire qu’il signa aux Jésuites de France la «promesse des donnés» avant de partir en Nouvelle-France avec eux.
Archives de Vigile Répondre
27 juillet 2009Madame Rodrigue,
Félicitations pour votre article captivant sur l'esclavage en Nouvelle-France. En tant que chargé de projet au Service d'Action Éducative et Culturelle du Centre d'histoire La Presqu'île, je m'intéresse au phénomène des «donnés» à des fins pédagogiques et je me demande si vous possédez une référence historique à propos du contrat de donation auquel vous faites référence dans votre article.
Vous remerciant d'avance je vous prie d'accepter Madame Rodrigue, mes meilleures salutations
Jeanne-Mance Rodrigue Répondre
16 mai 2008L’esclavage en « Nouvelle-France».
En reprenant texto les paroles de Madame Jean prononcées à Bordeaux et reprises par le Figaro du 8 mai 08 dans l’article: Michaëlle Jean¸ ‘la Petite Reine du Canada’, et je cite : « ...Là encore, c'est une histoire que nous avons en partage, parce que l'esclavage était aussi pratiqué dans la Nouvelle-France, aujourd'hui le Québec », je désirais mettre l’accent sur cette association, pour le moins excessive, où la Gouverneure Générale du Canada associait, dans un seul souffle, les mots: esclavage, Nouvelle-France, Québec.
Je ne suis pas sans savoir que la Nouvelle-France de l’époque était un immense territoire s’étendant jusqu’au Golfe du Mexique. Mais là n’est pas la question ni le problème.
Madame la Gouverneure Générale du Canada a prononcé des mots se raccordant à une idée qui avait pour but me semble-t-il de laisser une empreinte.
Vous savez que rien n’est tout à fait innocent, ni tout à fait candide lorsqu’il s’agit d’histoire. Il est certain que si l’historien se cantonne à l’histoire sérielle, à l’histoire de la musique ou de la mode, il n’y aura pas là grande dispute, mais quand il s’agit d’histoire nationale et de surcroit binationale alors là tout devient n'importe quoi!
J’invite tous ceux et celles qui s’intéresse à l’histoire de l’esclavage au Québec à lire ou relire l’excellent livre de Marcel Trudel, Deux siècles d’esclavage au Québec, 2004. Les Éditions Hurtubise ont eu l’excellente idée d’ajouter sur CD-ROM un Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français.
Gaston Boivin Répondre
15 mai 2008Monsieur Rodrigue, à mon avis, ce que vous affirmez est valable pour le Canada( l'Ontario, le Manitoba, Terre-Neuve et le Labrador, le Québec) et l'Acadie de la Nouvelle-France, mais me laisse perplexe en ce qui concerne le reste de la Nouvelle-France, savoir la Louisianne qui comprenait, outre l'actuelle Louisianne, plus de dix autres états américains, dont le pays des Illinois ( un peu le Mid-West américain actuel), région délimitée par le fleuve Missisipi et les rivières Ohio, Ouabache et Illinois( qui cessa, en 1718, d'être rattachée au Canada pour l'être à la Louisianne, suite à la création de la Compagnie D'Occident, qui allait devenir par la suite la Compagnie des Indes occidentales), et "qui constituait un lieu de pasage obligé entre le Canada et la Basse-Lousianne" et qui,"en 1752, abritait 1400 habitants(canadiens, français et femmes illinoises) et deux cents militaires.........et qui comprenait de surcroît 43% d'esclaves- authoctones pour un quart, africains ou afro-créoles pour les autres..." (Citations:cf: Cécile Vidal,in "Un carrefour entre le Canada et la Louisianne, article, publié en octobre 2006, aux pages 84 et 85 d'un numéro spécial de la revue "Géo" sur la Nouvelle-France, intitulé "Du Québec à la Louisianne, sur les traces des Français d'Amérique") (Cécile Vidal est également co-auteur, avec Gilles Havard, de l'"Histoire de l'Amérique française, parue chez Flammarion en 2003).
En ce qui concerne la Louisianne elle-même, version française, voici ce qu'en dit aux pages 112 et 113 du même numéro spécial de "Géo", dèjà précité, Carl A Brasseux, directeur du Centre d'études louisiannaises à Lafayette, auteur de "French,Cajun, Créole,Houma: a Primer on Francophone Louisiana(Univesity Press, Baton Rouge, 2005):
"...La colonie initiale se composait en effet de soldats venus de France métropolitaine, de boucanniers des Caraibes de langue française et de frontaliers franco-canadiens. Durant les premières années du XVIII siècle, des milliers d'immigrants volontaires s'ajoutèrent à cette première population, ainsi qu'un nombre plus important encore d'immigrants forcés: pour la plupart, des prisonniers du royaume, des esclaves africains( qui devinrent rapidement francophones) et des soldats venus des quatres coins del'hexagone. À ce mélange détonnant s'ajoutèrent quelques dizaines de détenus religieux alsaciens et environ trois mille Acadiens expulsés de leur patrie( la baie de Fundy, sur la côte du Canada) à la suite d'une opération de nettoyage ethnique menée par les Anglais en 1755...." Il va de soit que dans ses mamours françaises à Larochelle, madame la repésentante de la couronne britannique et du Canada anglais n'allait pas rappeler cette opération de nettoyage ethnique donc furent victimes, de la part de ceux qu'elle représente, les Acadiens, jadis anciens citoyens de la Nouvelle-France, citoyens français de surcroît, ce qui aurait effectivement pu alors gaché la fête et mettre à néant ces grandes amours lécheuses plus intéressées à vendre auprès de la France et des français ses nouveaux maîtres anglais et leur nouveau Canada qu'à promouvoir les intérêts de ce qui reste de viable aujourd'hui de la Nouvelle-France et à en commémorer la valeureuse, courageuse et fière épopée, dont une bonne partie de son territoire l'a accueillie, elle et les siens à leur arrivée en Amérique et ce juqu'à ce qu'elle accepte d'être ulisée par le Canada anglais et, en conséquence de changer de camp pour les honneurs, le pouvoir et la gloire!
Archives de Vigile Répondre
13 mai 2008Ce qu'écrit Jeanne-Mance Rodrigue est à ma connaissance tout à fait juste, mais bon sens, il faut arrêter de dire que la Nouvelle-France = le Québec/Canada, ça ne fait que semer la confusion.
Les mots «Nouvelle-France» et «Canada» ne furent synonymes que brièvement. Le mot « Nouvelle-France » ne se trouve même pas dans le Traité de Paris de 1763, car ce n'est pas la Nouvelle-France que l'on cède, c'est la Nouvelle-France que l'on démantèle, en cédant le Canada (incluant toutes ses dépendances) et l'Île-Royale à la Grande-Bretagne. La majeure partie de la Louisiane est cédée secrètement à l'Espagne, un an plus tôt en 1762 à Fontainebleau.
Il y a bel et bien eu des milliers d'esclaves noirs en Nouvelle-France, principalement en Louisiane, région qui était engagée dans des relations commerciales importantes avec les Antilles françaises. L'abolition de l'esclavage par la France révolutionnaire le 4 février 1794, de très courte durée, n'a effectivement pas affectée le Québec/Canada, cédé à la couronne anglaise en 1763.
On parle de 6 000 esclaves venus d'Afrique entre 1719 et 1743 (Havard G., Vidal C., Histoire de l'Amérique française, p. 242.) ce qui est énorme, surtout en comparaison de la population de colons.
Pierre Galipeau Répondre
13 mai 2008Bien sûr, Mme la GG, régurgite les mensonges que le gouvernement "canadian" lui met dans la bouche. Rien de bien nouveau, sauf que des français bling bling semblent apprécier au plus haut point.
De De gaulle à Sarkozy, quelle déchéance!
Devrait-on boycotter carrément les fêtes "officielles" du 400ième?