Les souverainistes sont tellement habitués à se faire dire «non» sur les grandes questions symboliques touchant la place du Québec au sein du Canada qu'ils ne savent plus comment réagir quand ils se font dire «oui».
D'Ottawa à Québec, hier, on a vu des souverainistes incapables de s'extirper d'un piège qu'ils avaient eux-mêmes créé. Cet épisode est, tout simplement, la version politique de l'arroseur arrosé.
Les distinctions sémantiques du Bloc québécois ne changent rien. Les députés du Bloc se retrouveront seuls à voter contre la reconnaissance du Québec comme nation. Il suffisait de voir la tête d'enterrement des bloquistes, en Chambre, hier, pour constater qu'ils savaient que la partie avait mal tourné.
Il était évident qu'en déposant une motion exigeant une reconnaissance du Québec comme nation, le Bloc québécois cherchait à se faire dire «non». Cela fait tellement partie du catéchisme des souverainistes que le reste du Canada n'acceptera jamais de reconnaître quelque caractère distinct que ce soit au Québec qu'ils ne se sont même pas méfié.
Mais les choses ont changé avec l'élection d'un premier ministre conservateur issu de l'Ouest du pays. Les charges symboliques ne sont plus les mêmes et le Bloc n'a plus, en face de lui, un premier ministre libéral, venant du Québec et qui, à cause de l'histoire même de son parti, ne va jamais risquer de rouvrir le débat constitutionnel.
M. Harper n'a pas ces bagages à porter. Il sait qu'une reconnaissance de ce type est aussi essentielle pour faire des gains au Québec que la promesse de réintégrer le Québec dans la constitution canadienne l'avait été pour Brian Mulroney en 1984.
D'autre part, il y avait de la petite politique dans le fait d'amener une telle motion à ce moment-ci. À quelques jours du congrès libéral, le Bloc y a tout naturellement vu l'occasion de faire ressortir les divisions au sein du PLC sur cette question. Mais c'était compter sans le sens stratégique de Stephen Harper.
Il a compris qu'il n'avait rien à perdre d'une reconnaissance d'une nation québécoise «au sein d'un Canada uni», formule qui lui permettait d'en faire une motion acceptable à tous les partis fédéralistes. Ne s'y opposeront que les nostalgiques du «One Nation» à la Diefenbaker et les libéraux qui sont restés figés à l'ère Trudeau.
Des députés conservateurs auront sans doute du mal à s'expliquer avec quelques uns de leurs électeurs pendant le temps des Fêtes. Mais ça reste, somme toute, un risque gérable.
Pour le Bloc, par contre, l'affaire a tourné au vinaigre. Au plan symbolique, c'est une démarche étrange que de demander au Parlement du Canada de reconnaître la nation québécoise. Quémander la reconnaissance, c'est comme demander une permission. Or, depuis toujours, les souverainistes ont prétendu que l'avenir du Québec se déciderait à l'Assemblée nationale et pas ailleurs.
Au plan stratégique, toute l'affaire donne un élan réel à la campagne de Michael Ignatieff en vue du congrès libéral. Or, M. Ignatieff, justement à cause de son appui à cette reconnaissance, risque d'être un adversaire beaucoup plus coriace lors de la prochaine campagne électorale qu'un Bob Rae ou un Stéphane Dion.
Le Bloc va être d'autant plus mal placé de voter contre la motion telle qu'amendée par M. Harper qu'elle n'est pas vide de sens. Si le Parlement du Canada reconnaît que les Québécois forment une nation au sein du Canada, c'est la fin d'une vision du pays dans laquelle le Québec n'était qu'un élément de la mosaïque multiculturelle canadienne au même titre que les Italo-canadiens ou les Doukhobors.
Si le Québec est une nation, c'est la reconnaissance de son rôle historique au sein du Canada. C'est donc la fin du multiculturalisme à la Trudeau et ce n'est pas rien.
Cela dit, on ne se fera pas d' illusions sur la valeur juridique d'une motion de la Chambre des Communes. Si elle peut être utilisée comme guide par les tribunaux, elle l'est rarement. Ainsi, celle qui avait été adoptée, au lendemain du référendum de 1995, reconnaissant le Québec comme société distincte n'a jamais été retenue depuis par la Cour suprême.
De même, le législateur conserve le droit de faire ce qu'il veut. Société distincte ou pas, Jean Chrétien a imposé les Bourses du millénaire même si l'éducation est de juridiction provinciale et que l'endettement des étudiants autant que les frais de scolarité étaient bien différents au Québec que dans le reste du pays.
Mais le plus bête dans tout cela, c'est que le Bloc aurait pu facilement gagner ce débat. En votant en faveur de la motion telle qu'amendée par M. Harper, il aurait pu dire que c'est lui qui avait réussi à faire reconnaître le Québec comme nation. Et que les mots «dans un Canada uni» parlent de la situation actuelle, mais n'auront aucune importance le jour où les Québécois diraient «oui» à la souveraineté.
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