L'année des cyniques

IDÉES - la polis



Ce n'est que coïncidence, mais il n'est pas anodin que Les Cyniques aient choisi cette année pour rééditer leurs disques. Car 2010, s'il faut en retenir un phénomène marquant, fut sans conteste l'année du cynisme. Celui surtout qui s'est développé au Québec au gré des turpitudes de la vie politique québécoise et canadienne. Déclin de la confiance dans la politique, désaffection, amalgame (tous pourris), mépris, le cynisme collectif est en train de ravaler la politique au rang d'une occupation maudite et méprisable. On oublie malheureusement qu'il ne faut pas confondre ceux qui font de la politique avec la politique.
Ce cynisme collectif est alimenté par l'attitude et les actions de deux cyniques exemplaires, modèles parfaits de cette résilience obstinée et méprisante qui est propre aux hommes motivés par le seul exercice du pouvoir: Jean Charest et Stephen Harper.
À propos des deux hommes, les commentateurs ne cessent de répéter qu'ils sont des battants, d'habiles stratèges et manoeuvriers, qu'ils utilisent efficacement les faiblesses de leurs adversaires et qu'ils sont à leur meilleur face à l'adversité. Ainsi disséquée et analysée, la politique devient un sport de l'esquive, de la manipulation, du mensonge contrôlé, de la feinte, une sorte d'activité guerrière machiavélique. Dans ce sport, Charest et Harper sont indéniablement des candidats à la première étoile ou à la médaille d'or.
Une des tactiques préférées du cynique pragmatique est le coup de force dissimulé dans le fatras administratif et qui parie sur l'ignorance. Ce fut la stratégie employée par le gouvernement Charest dans son appui au développement de l'industrie du gaz de schiste. Brader l'ensemble du sous-sol pour des «peanuts», autoriser exploration et exploitation subséquente, tout faire pour que la situation soit telle qu'il devienne impossible de retourner en arrière, en espérant que la population ne prendra pas conscience de l'énormité et de l'iniquité du cadeau qu'on fait à l'industrie. En dernier recours, le cynique, pour ne pas trop braquer la population, est bien prêt à demander une étude d'impact environnemental, mais il ne le fera que s'il y est obligé. Le cynique est toujours prêt à passer un «sapin», même s'il est disposé à se contenter d'une petite épinette.
***
Le cynique croit fermement à l'adage selon lequel un an, en politique, est une éternité. Il n'a pas de soucis superflus, comme maintenir le lien de confiance avec les citoyens, respecter les engagements passés, améliorer le processus démocratique; cela n'intéresse que les intellectuels, pour qui le cynique entretient un profond mépris. Le cynique regarde l'horloge du temps électoral lointain et le minimum d'appui qu'il doit maintenir, quitte à subir l'opprobre populaire entre-temps.
Le cynique ne pèche jamais par orgueil, il s'aime suffisamment pour se passer de louanges. Le cynique préfère l'esquive et le silence au sens des responsabilités et à la parole. Un cynique n'entretient qu'une seule fidélité: il sait d'où son pouvoir vient et, si celui-ci vient en partie de la corruption, il se dit et proclame que les autres ne sont pas différents. Le cynique n'enquête jamais sur ses amis, seulement sur ses ennemis, d'où la commission Bastarache.
Le cynique est aussi un artiste quand il s'agit de concocter des solutions mensongères destinées à calmer la grogne populaire tout en ne nuisant pas trop à ses alliés. L'exemple de la nouvelle loi sur les écoles passerelles illustre merveilleusement son grand talent d'illusionniste. La loi maintient le droit d'enfreindre la Loi sur l'enseignement obligatoire en français pour ceux qui en ont les moyens. Il suffira dorénavant de dépenser un peu plus pour avoir le droit de se soustraire à la loi. Il y aura bien quelques conditions au cas par cas, mais le cynique se dit que les fonctionnaires seront compréhensifs. Le cynique est fier de son truc.
Le cynique est aussi un pharisien, un terme ampoulé pour désigner aujourd'hui un hypocrite qui interprète la loi à sa manière.
Stephen Harper est un cynique pharisien. Depuis tout petit, l'homme invoque sans cesse les tables de la Loi, le respect de l'autorité, des textes constitutionnels et du système judiciaire. Nulle affaire n'a démontré son cynisme hypocrite autant que celle d'Omar Khadr.
L'homme n'est pas ignorant: il connaît la Convention sur les enfants soldats et il sait fort bien que le garçon avait quinze ans au moment de commettre les actes qu'on lui reproche. Mais voilà, sa base électorale croit qu'un enfant devient adulte quand il est embrigadé dans un mouvement islamiste. Il sait très bien que le Canada doit s'assurer du bien-être de ses citoyens et les protéger contre les mauvais traitements. Mais beaucoup de Don Cherry pensent que torturer un terroriste ne contrevient pas à la loi canadienne. Le cynique sait fort bien qu'ils se trompent, mais pourquoi prendre le risque de les mécontenter.
Puis, dans la même foulée, se dit le cynique, pourquoi devrais-je obéir à mes tribunaux les plus hauts si c'est pour rapatrier au Canada un citoyen dont beaucoup de Canadiens ne veulent pas, un homme qui a renoncé à ses droits en prêtant allégeance à l'islam?
Non, pour le pharisien, la loi n'est pas toujours la loi. Elle l'est quand cela arrange le cynique.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->