Le mois dernier, Justin Trudeau est entré dans l’Histoire en devenant le premier premier ministre fédéral en fonction à mettre les pieds dans un bar gai. Le geste de M. Trudeau, pendant les célébrations de la fierté à Vancouver, fut à peine remarqué dans les médias de ce pays. Les Canadiens étant devenus si habitués à l’ouverture de leur premier ministre envers les minorités de toutes sortes, il faudrait maintenant un geste bien plus spectaculaire que celui-là pour les impressionner. C’est tout à son honneur que M. Trudeau ait réussi à banaliser en quelque sorte sa participation aux événements au sein des communautés gaies du pays.
C’est pourquoi le candidat du Bloc québécois dans Laurier–Sainte-Marie, Michel Duchesne, est allé trop loin cette semaine en accusant M. Trudeau de faire du pink washing. Selon le candidat bloquiste, le premier ministre libéral n’afficherait son ouverture envers la communauté LGBT qu’afin de « faire oublier qu’on vend des armes à l’Arabie saoudite », pays où l’homosexualité demeure un crime condamnant à la peine de mort.
Le commentaire de M. Duchesne est survenu la semaine même où plusieurs ONG travaillant dans le domaine des droits de la personne ont sommé le gouvernement Trudeau de donner l’heure juste sur ses intentions à l’égard du contrat visant à fournir des véhicules blindés légers au royaume saoudien. Cela fait plus de neuf mois que la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland s’est engagée à revoir ce contrat de plusieurs milliards de dollars dans la foulée du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, sans qu’elle ait annoncé une décision finale. Il est légitime de s’interroger sur la bonne foi de la ministre et de son patron dans ce dossier.
Mais ne mélangez pas les pommes et les oranges. Absolument rien n’indique que l’ouverture de M. Trudeau envers la communauté LGBT a pour objectif d’obscurcir le bilan dans quelque dossier que ce soit. On peut très bien déplorer la légèreté avec laquelle le premier aborde souvent ses fonctions, semblant se comporter comme une célébrité plutôt que comme un représentant du peuple, mais nul ne peut douter que son engagement envers les minorités soit dans ses tripes. S’il a hérité quelque chose de son père, qui a légué la Charte des droits et libertés aux Canadiens, c’est bien sa foi inébranlable dans la diversité et son désir de faire tomber les barrières à l’égalité. On pourrait même dire qu’il s’agit de sa principale mission en politique, et l’aspect de son poste qui lui donne le plus de satisfaction.
Et ce n’est pas uniquement pour le spectacle. Lorsque M. Trudeau avait participé pour la première fois en tant que premier ministre aux défilés de la fierté gaie à Toronto, à Vancouver et à Montréal en 2016, le militant des droits LGBT récemment décédé, Laurent McCutcheon, avait déclaré : « On lance des campagnes contre l’homophobie. Mais la seule présence du premier ministre à un défilé de la fierté gaie vaut mille campagnes. C’est le meilleur allié politique qu’on pouvait espérer. »
Il ne faut pas tenir de tels progrès pour acquis. Le chef conservateur Andrew Scheer continue à bouder les défilés de la fierté à travers le pays, disant préférer manifester autrement son engagement envers les droits des personnes LGBT. Mais en refusant de se montrer main dans la main avec les membres de cette communauté, M. Scheer fait preuve d’un manque de courage politique et, disons-le, de générosité. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un éventuel premier ministre en 2019.
Somme toute, le bilan du gouvernement Trudeau en matière d’avancement des droits des personnes LGBT est plutôt impressionnant. Le premier ministre a présenté des excuses formelles à toutes les victimes de discrimination de la part de l’État fédéral, qui, entre les années 1950 et le début des années 1990, avait « exercé son pouvoir de manière cruelle et injuste, en entreprenant une campagne d’oppression contre les membres avérés ou soupçonnés des communautés LGBTQ2 ». Le gouvernement a mis de côté jusqu’à 110 millions de dollars en guise de compensation aux anciens employés fédéraux qui ont perdu leurs emplois ou ont été discriminés par leur employeur à cause de leur orientation sexuelle. Et en juin dernier, le projet de loi C-66, autrement connu sous le nom de la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques, a reçu la sanction royale. La nouvelle loi a pour but de détruire des dossiers des personnes ayant été condamnées pour des « crimes » comme la sodomie, avant la décriminalisation de l’homosexualité par, rappelons-le, Pierre Elliott Trudeau.
Du pink washing, il n’en est rien.