Réponse au «collectif» de jeunes députés du Parti québécois

«Je n'abuse pas de mon droit de parole, mais j'y tiens»

Pacte électoral - gauche et souverainiste


Jacques Parizeau - Ancien premier ministre du Québec 14 juin 2011 Québec
«Il n’y a quant au droit de parole ni âgisme ni “jeunisme”. Nous sommes tous des citoyens.»

Photo : Jacques Grenier - Le Devoir

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Mesdames et Messieurs les Députés,
Dans Le Devoir du 11 juin, vous m'adressez une lettre collective intitulée «Monsieur Parizeau, faites-nous confiance». Avec tous les égards et une grande politesse, vous me priez de me taire... et de vous faire confiance.
Cette lettre m'a beaucoup étonné. Pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elle provient d'un groupe qui se dit «jeunes députés». C'est assez élastique comme concept. Certains d'entre vous ont dépassé la quarantaine ou sont sur le point de l'atteindre. À quarante ans, René Lévesque nationalisait les compagnies d'électricité et si, à cet âge, après avoir travaillé avec trois premiers ministres successifs, on m'avait défini comme le «jeune» président de l'exécutif national du Parti québécois, j'aurais mordu. Quarante ans, c'est la force de l'âge, disait-on alors.
Qu'importe! Avec la caution de vrais jeunes, vous abusez vraiment dans votre lettre des poncifs de la rectitude politique. Vous vous dites champions du changement. C'est très bien. Mais attention à l'enflure verbale: «Nous sommes souverainistes, car nous croyons qu'il faut plus de Québec dans le monde pour défendre la démocratie, les valeurs de paix, de solidarité, pour le développement durable et la protection de l'environnement et pour assurer, bien sûr, le rayonnement de notre culture.»
Je vous assure que vous n'attirerez pas l'attention de journalistes avec ce genre de fanfaronnade. Mais vous avez sûrement attiré leur attention par cette invitation feutrée à me tenir tranquille.
Proposition Crémazie
Vous intervenez dans ce qui est au coeur de la crise qui secoue le Parti québécois, c'est-à-dire la liberté de parole, le droit de parole.
L'histoire commence, je pense, par le dépôt en juin 2010 de ce que l'on appelle, dans la culture du Parti québécois, la proposition principale, c'est-à-dire un projet de programme devant être présenté au congrès des membres, convoqué pour avril 2011. L'article 1 traite traditionnellement de l'accession à la souveraineté
Cet article 1 est faible, dira ma «députée préférée», la députée de Crémazie. Elle ne sera pas la seule. Rapidement, cependant, on passera le mot que tout projet d'amendement à l'article 1 serait considéré par la direction du parti comme attentatoire à l'autorité de la chef. Néanmoins, la «Proposition Crémazie», composée de quatre éléments qui visaient à renforcer l'article 1, finit par aboutir sur la table du comité directeur du congrès qui la déclara... irrecevable! Elle cheminait pourtant depuis des mois d'instance en instance, parfois imitée, souvent battue, donnant lieu à d'intenses pressions, sinon de menaces, mais suivant néanmoins résolument son chemin.
À ce moment, je suis intervenu dans [une lettre au Devoir, fin mars->36475]. Cette lettre s'adressait aux délégués du congrès. D'une part, j'étais moi aussi persuadé que l'article 1 était beaucoup trop faible, l'objectif trop dilué, la démarche trop incertaine et, d'autre part, la liberté de parole, de discuter, de voter qui avait si longtemps été la réalité de mon parti me semblait bien malmenée.
En tout cas, grâce à la dissidence du président du comité directeur, M. Daniel Turp, et en dépit des ordres reçus, la décision d'irrecevabilité fut levée, trois des éléments de la Proposition Crémazie furent adoptés par une forte majorité, d'abord en commission, puis en plénière. Et le quatrième, l'un des deux plus importants, fut battu à plate couture en Commission après un «débat» limité à... trente secondes!
Ces choses-là laissent des traces...
Projet de loi 204
Le projet de loi privé 204, dit Maltais-Labeaume, a soulevé à nouveau, mais de façon bien plus aiguë encore, la question de la liberté de parole. Je n'arrive pas à comprendre ce qui s'est passé. Même si vous n'êtes pas députés depuis très longtemps, vous savez très bien que si l'on veut faire adopter à la majorité simple un projet de loi avant l'ajournement de juin de l'Assemblée nationale, il faut qu'il soit déposé avant une certaine date en mai. Si on le dépose après cette date, il faut l'unanimité des députés pour qu'il puisse être adopté avant l'ajournement. En annonçant quelques jours après cette date limite de mai, le dépôt prochain du projet de loi Maltais-Labeaume, le Parti québécois en remettait le sort entre les mains d'Amir Khadir qui s'en empara prestement et indiqua qu'il voterait contre.
Puis, une fois compris que le projet de loi était virtuellement mort, pourquoi fallait-il ordonner à tous les députés du Parti québécois de voter en faveur et leur interdire même de s'absenter, alors que plusieurs d'entre eux éprouvaient de sérieux problèmes de conscience face aux dispositions de ce texte?
À défaut d'obtenir l'unanimité, on a pensé un instant pouvoir introduire le projet de loi Maltais-Labeaume dans le bill omnibus du ministère des Affaires municipales, comportant comme chaque année diverses dispositions applicables aux municipalités. C'était oublier qu'en vertu du règlement chaque député a le droit de parler vingt minutes sur chaque article d'un projet de loi (le bill omnibus en comportait vingt et un) et dispose du même temps de parole sur chaque amendement qu'il propose. On se retrouvait devant un Amir Khadir bien décidé à utiliser toutes les ressources du règlement pour paralyser le Parlement.
Derrière cette incroyable comédie politique s'est joué le drame de ceux qui refusaient d'être muselés et d'avoir à trahir leurs principes; ils réclamaient leur liberté de parole.
Un droit de parole auquel je tiens
Et après tout ce gâchis, vous venez me demander, au fond, de me taire! Comment pouvez-vous croire un instant que je pourrais obtempérer? Je n'interviens pas souvent; en fait, de moins en moins souvent. Je n'abuse pas de mon droit de parole, mais j'y tiens.
Il n'y a quant au droit de parole ni âgisme ni «jeunisme». Nous sommes tous des citoyens.
Vous me permettrez de garder de ce samedi 11 juin moins le souvenir de votre lettre que celui du colloque d'IPSO (les Intellectuels pour la souveraineté) portant sur divers aspects du projet d'indépendance du Québec. Dans un panel siégeait Louis Bernard, qui fut chef de cabinet de Camille Laurin qui dirigeait le groupe des sept premiers députés du Parti québécois élus en 1970. Il a joué le même rôle auprès de René Lévesque et fut nommé par lui secrétaire général du conseil exécutif, poste qu'il accepta de reprendre quand je devins premier ministre.
Après plus de quarante ans à poursuivre cet objectif de la souveraineté du Québec, il rouvrait le dossier de la décentralisation dans un Québec indépendant avec une série de propositions bien plus développées que ce qui s'est fait jusqu'ici. À côté de lui, Jean-Martin Aussant présentait un renouvellement de l'argumentaire économique de la souveraineté. Un «vieux», un «jeune», tous les deux attelés à la tâche de chercher les voies de l'avenir.
Et alors que je prononçais l'allocution de clôture du colloque, à l'extérieur, sur le trottoir d'en face, rue Sherbrooke, l'un des vôtres haranguait un journaliste et son caméraman en leur servant un condensé de votre message.
Navrant...
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Jacques Parizeau - Ancien premier ministre du Québec

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Jacques Parizeau21 articles

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En 1994, Parizeau mène le Parti québécois à la victoire électorale, formant un gouvernement majoritaire convaincant et devenant premier ministre du Québec. Parizeau promet de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec dans la première année de son mandat, et malgré des objections de toutes parts, il respecte sa promesse. Il fixe la date du référendum pour le 30 octobre 1995. Au début, l'appui à la souveraineté se situait à environ 40 % dans les sondages d'opinion. À mesure que la campagne avance, toutefois, les appuis à l'option du « Oui » se mettent à monter. Malgré cela, l'option souverainiste plafonne, et Parizeau fait l'objet de pressions pour s'adjoidre les services de Lucien Bouchard, le chef extrêmement populaire du Bloc québécois, perçu comme plus modéré et plus pragmatique, en le nommant "négociateur en chef" advenant la victoire du "Oui". Pour le succès de la cause, Parizeau accepte ainsi de jouer un second rôle pour la suite de la campagne.

{[Wikipedia->http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Parizeau]}





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