Jacques Parizeau et la vérité historique

1962-2013

Tribune libre

L’intérêt de la proposition sur le projet de Charte de la laïcité que M. Parizeau a fait connaître le 03 mars dernier est de rappeler l’importance d’inclure le principe de la neutralité de l’État dans la Charte des droits et libertés, quitte à restreindre, juge-t-il, les domaines d’application d’une charte de la laïcité pour y arriver. Certes, le rejet d’un projet de Charte, avec ses éléments sur lesquels à peu près tout le monde est d’accord, ne serait pas souhaitable. Mais une Charte qui ne dirait rien de significatif sur les signes ostentatoires au travail (sinon pour les juges et les policiers) passerait complètement à côté de ce qui fait problème : le voile n’est pas qu’un foulard, c’est un étendard. Oui, le consensus si possible, mais pas au détriment de la substance, Ceci dit...
L’exactitude historique
Si l’État québécois n’a jamais légiféré en matière de signes religieux, ce n’est peut-être pas tant par principe que parce qu’il n’a jamais eu à le faire. Pour deux raisons. Dans la foulée du concile Vatican II (1962-65), Rome avait recommandé aux communautés religieuses d’adapter leur tenue vestimentaire aux mœurs de notre temps. Autrement dit, l’Église catholique a fait elle-même sa mise à jour. (En contraste, l’Islam n’a pas d’autorité unique et centralisée.). Ensuite, le Québec francophone de la Révolution tranquille devenait de plus en plus rébarbatif aux signes religieux ostentatoires, essentiellement les symboles chrétiens. Pour ne pas se couper de la société, les religieux les ont donc abandonnés. Ils étaient encore nombreux à l’époque, notamment dans le réseau de l’éducation et s’ils avaient continué à s’afficher, ils risquaient d’être ostracisés d’une manière ou d’une autre. Voilà la véritable histoire. Évidemment, M. Parizeau sait parfaitement cela, mais il a réthoriquement gommé ces «détails» pour présenter une image se voulant consensuelle.
Imaginons cependant que certains religieux aient mené une contestation juridique contre une institution étatique, un cégep par exemple, en invoquant justement un traitement discriminatoire. À coup sûr, une partie de l’opinion publique aurait, comme c’est le cas aujourd’hui, incité le gouvernement québécois à légiférer en la matière pour clarifier les choses. M. Parizeau aurait peut-être fini par devoir statuer !
Il est vrai que l’État québécois n’a jamais légiféré sur les signes, mais il a drôlement contribué à laïciser la société : création du ministère de l’éducation en 1965 (proposé plusieurs décennies auparavant mais toujours bloqué par les évêques), création du réseau laïc des Universités du Québec, des cégeps, etc., etc., etc. jusqu’au mariage gai et bientôt sans doute, une loi sur le suicide assisté.
Le crucifix et les élus
Comme bien d’autres, M. Parizeau propose d’enlever le crucifix de l’Assemblée nationale. On est d’accord. Mais la Charte de la laïcité doit alors s’appliquer aux élus, de quelque niveau de gouvernement que ce soit. Les élus ne sont ni des fonctionnaires ni des «représentants» de l’État, ils sont eux-mêmes l’État. Dans leur cas, le port de signes religieux ostentatoires contredirait directement le principe de neutralité.
Signes et accommodements
Concernant le balisage des accommodements, la Charte pourrait avoir comme conséquence, par exemple, qu’une éducatrice en hidjab (déjà actuellement en emploi et que la Charte n'obligerait pas à quitter son poste) doive accomplir toutes les tâches reliées à son emploi. Mais ce qu’on entend des CPE concernés, c’est que plusieurs d’entre elles refusent d’accompagner les enfants dans la piscine, de serrer la main des hommes et autres restrictions liées à des préceptes religieux stricts (édictés par des hommes, soit dit en passant).
Dans l’espace civique, le signe inclut-il les pratiques qui l’accompagnent? Jusqu’où s’étend le droit à l’ostentation ? Voilà un point que la Charte devra clairement trancher.
Jeunes anti-charte : nos nouveaux intégristes ?
À partir des années 1960, les Québécois ont poussé les religieux et croyants catholiques à s’accommoder aux valeurs de la société, d’abord pour eux-mêmes et, au fil des ans, de plus en plus dans un réel souci d’ouverture aux autres. Tout en accueillant et en respectant les autres religions, ils leur demandent maintenant de faire de même à leur égard. Mais pour les islamistes, cette demande est une marque de xénophobie. Ah! bon.
Nos religieuses d’antan et d’aujourd’hui, ces braves petites Québécoises qui ont sincèrement joué le jeu de l’ouverture, doivent follement s’en réjouir. Elles devraient le faire savoir à certains jeunes virulents anti-Charte apparemment inconscients du fait que la société inclusive qu’ils proclament et dont ils jouissent l’est devenue entre autres parce que la laïcité y a fait son chemin depuis cinquante ans. Ils n’ont pas connu cette période, certes, mais de tous les motifs d’opposition à la Charte, l’ignorance des faits ne peut qu'inspirer de mauvais arguments. Il est toujours bon de connaître l’histoire d’une société dont on veut défendre les intérêts. Les signes ostentatoires chez les islamistes visent à contrer ces avancées qui profitent notamment aux femmes. Croyant défendre la liberté d'expression, ces jeunes défendent en fait son contraire, car si l'islam est une religion, l'islamisme est un courant politique qui contredit directement les chartes des droits et libertés, quoique enrobé dans un langage religieux... et sous un voile.
Au-delà de la naïveté
Y a-t-il des limites à notre naïveté ? Si le Canada anglais est heureux de son multiculturalisme mur à mur, grand bien lui fasse. Mais il semble que des lézardes commencent à apparaître. Dans sa chronique du 28 août 2013, Normand Lester rapporte ceci :
« [...] un sondage de Forum Research indique qu’un surprenant 42% des Canadians est d’accord avec la Charte du PQ! Et [...] la moitié des conservateurs approuve l'interdiction du port de signes religieux dans la fonction publique. [...] Il est significatif également que 39% des néo-démocrates y soient favorables. »
Au total, ça fait beaucoup de xénophobes ! L'impact d'une Charte québécoise de la laïcité pourrait bien inspirer d'autres gouvernements. Concluons ce texte par un petit sourire.


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