Innover à Montréal : en anglais seulement ?

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Le grand ratatinement





InnoCité Mtl est un programme se disant « accélérateur d'entreprises de la ville intelligente canadien (sic) » servant à soutenir les entrepreneurs qui créent des innovations. InnoCité Mtl offre alors des formations et ateliers dans le cadre d’un programme intensif de 12 semaines, deux fois par année, avec un maximum de huit projets par cohortes. Il s’agit d’une initiative publique, émanant directement du Bureau de la ville intelligente et numérique, elle-même sous la responsabilité d’Harout Chitilian, vice-président du comité exécutif de la ville de Montréal et responsable du dossier « de la Ville intelligente ainsi que des technologies de l'information ».


La charte de Montréal affirme que la ville est de langue française. On ne compte plus non plus les publicités officielles vantant le caractère français de la ville, la langue étant un facteur de fierté et d’identité, distinguant Montréal par rapport à d’autres métropoles nord-américaines. Dans ce cas, pourquoi InnoCité Mtl (qui ne s’appelle pas, jusqu’à preuve du contraire, InnoCity...) ne respecte pas davantage la langue française ?


Frédéric Proulx, fondateur et PDG de We-grab-it, une entreprise qui veut révolutionner le domaine des déchets et des encombrants, était de la cohorte de cet automne. Proulx est très loin d’être un « patriote ceinture fléchée », pour reprendre cette image méprisante et caricaturale. Son rêve de Montréal est que les anglophones puissent parler français et que les francophones puissent parler anglais. Sa compagnie, dont le nom est en anglais, fait affaire avec le reste du monde. Mais la colère est toutefois palpable chez lui, laquelle se double d’une inquiétude totalement compréhensible. Je l’ai contacté après avoir eu des échos à l’effet que plusieurs se plaignaient de l’omniprésence de l’anglais dans les formations et les cours. La situation était finalement encore pire ce que j’avais pu anticiper. Selon ses dires, « plus de 90 pourcent du contenu, des échanges et du savoir des mentors a été partagé en anglais », ajoutant aussi avoir eu droit à des unilingues anglophones, et ce, dans un contexte où un seul membre de cette cohorte d’entrepreneurs ignorait le français. Une consigne interne a été donnée : employer l'anglais. Celle-ci a été réitérée lors du premier événement dit du « Mentors day », tenu au Complexe Desjardins, au cours duquel les entrepreneurs doivent prendre la parole. Mais la ligne du « tout-en-anglais » a été réitérée dans le cadre d’un événement de réseautage (le « Big Bang Techno ») qui s’est tenu le 5 décembre, malgré des invitations officielles bilingues. Si les présentations protocolaires se sont déroulées en français, celles des entrepreneurs étaient en anglais seulement. À quelques heures de l'événement, sentant la grogne, on aurait apparemment autorisé des allocutions en français, une décision un peu cavalière après 12 semaines de préparation en anglais.


Il y aura prochainement une réunion du conseil d’administration d’InnoCité Mtl. Pourquoi ne pas aborder directement le problème ? On devrait se demander, pour l’occasion, les motivations profondes derrière cette idée de former et de présenter les entreprises d’ici uniquement dans la langue de Shakespeare. Alors que Montréal prétend être la plus grande métropole française en Amérique du nord, on en vient à interdire à des entrepreneurs de présenter leurs créations dans leur langue, dans leur propre ville. L’« ouverture sur le monde » nous dira-t-on dans un langage creux, oubliant qu’il faut aussi être en mesure de savoir se respecter soi-même. Nous nous croirions dans le Montréal des années 50, avant que nous choisissions de nous affirmer nationalement, alors que nous n'étions que des porteurs d'eau. L’esprit de la loi 101 était précisément de pouvoir nous permettre d’avoir des gens d’affaires qui peuvent faire leur travail dans notre langue. L’attitude des responsables d’InnoCité Mtl nous montre la tendance inverse, soit qu’il faut au contraire savoir laisser sa langue au vestiaire, ce français si handicapant, pour espérer monter dans l’univers entrepreneurial montréalais. On peut d’ailleurs se demander si un unilingue français pourrait être accepté dans le programme. Serait-il accepté qu’il constaterait de toute manière assez rapidement qu’il est à la mauvaise adresse. Serait-il arrivé avec la meilleure idée du monde qu’elle ne pourrait être reconnue ou soutenue qu’en anglais. Ce n’est d’ailleurs nullement nier que de maîtriser l’anglais, ou plusieurs autres langues, est un immense atout. Là n’est tout simplement pas la question.


Tout ceci est très inquiétant. Nous assistons à un grand ratatinement. Le Québec se désintègre à vitesse grand V, et tous ses acquis, arrachés durement, sont susceptibles de passer à la trappe plus tôt que tard. Notre langue est aujourd’hui dévalorisée comme jamais, présentée comme un frein à l’épanouissement de tous et chacun. Il faudrait bien un jour cesser d’avaler des couleuvres en y cherchant du positif, posture par excellence du cocu content. Montréal a de grandes responsabilités. Son administration devrait avoir pour devoir de tout mettre en œuvre pour valoriser concrètement le fait français, pas travailler contre lui, ne serait-ce que par laxisme. Il est temps de transformer les beaux slogans officiels en politiques, que les bottines suivent enfin les babines.



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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