Réplique à Jimmy Lee Gordon

Inepties du nihilisme postnational

Ceux-là, les Québécois en particulier, sont pour M. Gordon des constipés intellectuels, des névrosés identitaires, des idéologues archaïques et stupides, égocentriques, des colonisés menacés qui ont oublié l'histoire du XXe siècle. Nous ne pouvons accepter ces insultes.

UE - le fédéralisme en question


Réponse à [Jimmy Lee Gordon: Dans un brûlot intitulé «Les dangers du nationalisme»->20957] publié dans cette page le 30 juillet, Jimmy Lee Gordon rassemble sans plus d'analyse quelques grossièretés sur le nationalisme, assorties de nombreux qualificatifs, pour ne faire l'apologie que d'une forme de nihilisme postnational -- c'est-à-dire, de rien du tout, sinon du simple bonheur de penser avoir dépassé ce «vestige tribal» qu'est la nation. Après avoir tenu le nationalisme québécois responsable d'une «constipation intellectuelle», M. Gordon entend pourtant nous en débarrasser par une diarrhée d'inepties qu'il nous faut dénoncer.
Tout d'abord, l'auteur assimile le nationalisme à un sentiment grégaire primitif caché sous des concepts transcendants. Il évacue ainsi toute la question du fondement et des limites de la communauté politique au profit d'une psychologie à deux balles. Il ignore tout autant que le sentiment d'appartenance à un groupe et à une nation n'a jamais été dépassé ni par la psychologie humaine, ni par quelque mouvement postmoderne qu'il soit. Au contraire, comme le suggère Dominique Wolton dans L'autre mondialisation (Paris, Flammarion), l'accélération des communications dans la modernité avancée nous fait prendre conscience des enjeux liés à la langue, à la culture et à l'identité propre de nos communautés d'appartenance. Et c'est ce mouvement très actuel que dénonce M. Gordon.
À côté de la psychologie au rabais, l'auteur utilise de façon abusive et, franchement, ridicule quelques termes philosophiques. La nation est un concept transcendant: pourquoi en a-t-on plus besoin que de l'identité individuelle, demande-t-il? Cette question est mal posée puisqu'elle suppose que l'identité individuelle postnationale est moins transcendante que l'identité nationale, alors qu'en fait la première prétend à une identité universelle étendue à l'humanité entière, alors que la seconde se présente comme un élément structurant la diversité des identités particulières.
Pour couronner le tout, l'identité postnationale renoue avec un sentiment grégaire méprisant et ne peut se priver d'un besoin d'appartenance à un groupe. Ce groupe est une humanité homogène, incolore et inodore où, pourtant, chacun est convaincu d'avoir réinventé le monde de façon originale.
M. Gordon pense que ce «peuple» auquel il en appelle est moins grégaire que la nation. Et, en vertu de la transcendance d'une certaine «humanitude» bien-pensante, il se montre arrogant à l'égard des autres groupes, ceux qui tiennent encore à leurs particularités et à l'originalité de leur culture -- et à une culture qu'ils reconnaissent ne pas avoir inventée seuls, dont ils reconnaissent l'appartenance à une communauté nationale.
Ceux-là, les Québécois en particulier, sont pour M. Gordon des constipés intellectuels, des névrosés identitaires, des idéologues archaïques et stupides, égocentriques, des colonisés menacés qui ont oublié l'histoire du XXe siècle. Nous ne pouvons accepter ces insultes.
Quand l'auteur s'interroge sur l'utilité des concepts transcendants, il ne voit pas qu'il utilise lui-même l'identité individuelle précisément pour regrouper des humains autour d'une cause politique. Même s'il entend rassembler son «peuple» sous la cause commune qui est de ne plus avoir de cause commune, sous l'idée transcendante que nous ne sommes que des individus isolés, que nous n'avons pas besoin du pouvoir politique législatif, et que ce nouveau peuple se gouvernera tout seul, comme par magie.
Car l'auteur dénonce les protections juridiques de la langue française au Québec. Mais M. Gordon dira-t-il à ceux qui demandent moins de pauvreté, un meilleur environnement ou plus d'éthique financière, qu'aujourd'hui le «peuple» doit se contenter d'affirmer ses valeurs sans légiférer? Ou est-ce une accusation taillée sur mesure contre la protection de la culture francophone en Amérique et contre le Québec?
De surcroît, en plus d'être illégitime, la législation linguistique serait inutile. «J'affirme» que le français n'est plus menacé, dit l'auteur, après avoir déversé son fiel. Bien qu'il qualifie abondamment ses détracteurs d'idéologues, M. Gordon ne prend pas la peine d'étayer cette affirmation sur des faits. Il ne nous dit pas non plus en quoi la protection du français l'obligerait, lui, au nom de ses origines, à se mortifier. Ni en quoi son amour des langues lui vaudrait l'accusation de traître. Sur ce point, comme sur tous les autres, M. Gordon ne fait que mettre de l'avant sa propre confusion intellectuelle pour pester contre le Québec et sa population francophone.
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Siegfried L. Mathelet, Doctorant en philosophie UQAM / Université catholique de Louvain


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