Les dangers du nationalisme

(réplique: "Nécessaire nationalisme")

UE - le fédéralisme en question


L'identité nationale est un vestige tribal dont l'être humain semble incapable de se départir. La question se pose: pourquoi avons-nous tant besoin de nous associer à des concepts transcendants? Comme si le simple fait d'être nous-mêmes ne suffisait pas! Mais laissons la réponse aux anthropologues et à tous les autres spécialistes du savoir. Ce qui nous intéresse ici, c'est que la question se pose encore aujourd'hui, dans ce nouveau millénaire entamé sous le signe de l'extrémisme religieux, des enjeux climatiques et de la constipation intellectuelle.
Je suis Québécois, un Québécois né au Québec, mais de père américain. Devrais-je me tourmenter parce que je suis un bâtard national? Je suis un francophone, un francophone amoureux de sa langue, mais porté également vers l'anglais et l'espagnol. Devrais-je me mortifier parce que je parle d'autres langues que celle de Voltaire (pour qui, je le rappelle, nous n'étions que «quelques arpents de neige»)? Suis-je un traître à la «nation» québécoise parce que j'aime parler d'autres langages que celui que notre schizophrénie collective nous oblige à baragouiner? Non, non et non.
Il serait peut-être temps que les Québécois de langue française saisissent tout le danger et toute la stupidité du chauvinisme. «Je me souviens»... de quoi au juste? Parce que le Québec a manifestement oublié tout le lot de souffrances qu'a entraîné le nationalisme au cours du XXe siècle (deux guerres mondiales, des centaines de combats ethniques, des goulags, des génocides, des centaines de millions de morts, une course effrénée à l'armement nucléaire qui menace maintenant la survie de notre espèce, etc.)?
Je suis un jeune bâtard québécisé ayant assisté au référendum de 95 en pyjama devant sa télé, endormi, sans trop comprendre ce qui se passait. Depuis, l'on m'a beaucoup parlé du Québec, de la précarité du français, du Canada, de l'omniprésence de l'anglais, du danger de l'assimilation et de la souveraineté (ou du «séparatisme», sa forme moins euphémique). Parce que je sentais qu'il le fallait, qu'il en allait de mon salut social, j'ai longtemps cherché quelle étiquette idéologique me coller au front. Dans cette quête inutile, mes idées ont traversé tous les courants, du fédéralisme opportuniste au souverainisme extrémiste. Aujourd'hui, en tant qu'adulte instruit en pleine possession de son jugement, je stagne confortablement dans un bourbier de cynisme et d'indifférence.
Au sujet de la nature politique de la lutte culturelle québécoise, s'entend. Pour le reste, je suis plutôt proactif. Mais devant le juridisme fanatique qui a longtemps servi de palliatif à notre statut de colonisés menacés, que peut-on faire d'autre que de tourner la tête en riant? J'ose affirmer que les lois ne forment pas l'identité nationale, que les lois ne motivent pas les gens à bien parler le français, que les lois ne créent pas la fierté nationale. Au contraire, les lois écoeurent et, surtout, entraînent la dérogation. C'est par l'amour sincère de sa langue que l'on bâtit une collectivité forte et unie; c'est par un amour quotidiennement fortifié du plaisir de parler, de chanter et de pleurer en français que l'individu contribue à la conservation de son patrimoine collectif. Et cet amour, ce n'est certainement pas les partis politiques qui le créeront.
D'autant plus que les démarches politiques entreprises pour la défense de la culture francophone d'Amérique sous-tendent que le peuple, lui, n'est pas en mesure de la conserver sa culture. Ce qui est faux: c'est avant tout par le peuple que la langue française a survécu et survivra en Amérique. Et j'affirme que le peuple francophone de ce continent n'est plus politiquement menacé; j'affirme que ce peuple est fort de ses institutions, de son histoire et de sa production culturelle; j'affirme que l'on vit bien au Québec.
Nombreux sont d'accord pour dire que nous vivons actuellement un point de rupture historique. Alors, supposément grandis des expériences sanglantes du siècle passé, allons-nous, Occidentaux de toutes nations, continuer à mener nos affaires dans le plus stupide des archaïsmes idéologiques, ignorant les multiples menaces qui s'avancent vers nous, ou allons-nous chasser nos préoccupations égocentriques et nationalistes (que nos élites partisanes semblent désireuses d'entretenir afin, sans doute, de maintenir un statu quo qui leur est favorable) et nous unir dans un commun effort pour tenter d'apaiser les maux qui affligent notre planète? J'ose espérer que oui.
Il serait temps que le Québec devienne réellement le bastion d'humanité que son histoire et sa population lui permettent d'être; il est temps que le Québec sorte de sa névrose identitaire.
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Jimmy Lee Gordon, Étudiant à la maîtrise ès lettres à l'Université McGill
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Lettres - Nécessaire nationalisme
Luc Laforest, Saint-Jean sur le Richelieu, le 3 août 2009
Le Devoir du mercredi 05 août 2009

Dans sa lettre du 30 juillet 2009, Jimmy Lee Gordon nous met en garde contre les dangers du nationalisme. Curieusement, la conclusion de sa lettre nous permet de dire que le nationalisme est nécessaire et utile.
En effet, la conclusion de monsieur Gordon se lit comme suit: «Il serait temps que le Québec devienne réellement le bastion d'humanité que son histoire et sa population lui permettent d'être; il est temps que le Québec sorte de sa névrose identitaire». Bravo!
Monsieur Gordon invite le Québec à s'affirmer haut et fort comme antidote à une névrose afin qu'il devienne «un bastion d'humanité». Or, pour une nation (ou un peuple), l'affirmation passe par le nationalisme. Il n'y a pas d'autre chemin.
Ce que monsieur Gordon appelle de tous ses voeux ne peut s'obtenir que par ce qui lui fait peur. Il y a là une contradiction fondamentale qui doit être expliquée.
Certes, le nationalisme comporte des dangers. Traverser la rue ou l'océan Atlantique aussi. Évitons-nous de traverser la rue ou l'océan pour autant? Non! Alors...
Sans nationalisme, un peuple ne va nulle part. De la même façon que sans personnalité, un individu ne va nulle part. On peut donc difficilement accepter le discours de monsieur Gordon, à moins que le Québec ne veuille pas (ou plus) s'affirmer. Autant dire que le Québec est un «nobody» (excusez l'anglicisme).


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