L'idée que des individus, une organisation ou un parti aient échafaudé un système pour tromper les électeurs en usurpant l'identité d'Élections Canada pour les diriger vers de faux ou de mauvais bureaux de scrutin sème l'émoi d'un bout à l'autre du pays. «La démocratie en sort perdante», titre l'Ottawa Citizen.
Ce qui est frappant est combien la plupart des éditorialistes et chroniqueurs attendent des explications des conservateurs, et de personne d'autre. On répète qu'il ne s'agit que d'allégations, que rien n'a été prouvé, mais... les retombées de ces appels, s'ils devaient fonctionner, devaient avantager presque toujours les conservateurs, relèvent plusieurs commentateurs.
De plus, le parti a une histoire, une façon de faire de la politique, des moyens pour mener une opération à grande échelle, soulignent Barbara Yaffe du Vancouver Sun, Thomas Walkom du Toronto Star et les équipes éditoriales du Toronto Star, du Calgary Herald et du St. John's Telegram. Cette dernière résume ainsi sa pensée: «Quand vous faites votre lit, vous dormez dedans. Quand vous couchez avec les chiens, vous vous réveillez avec des puces. Quand vous vous roulez dans la boue, il en reste toujours de collée.»
Enquête
Quelques commentateurs, dont Stephen Hume du Vancouver Sun, croient qu'il faudrait peut-être tenir une nouvelle élection si l'ampleur de cette affaire s'avère et que la légitimité du gouvernement conservateur est mise en doute. Le National Post, comme Tim Harper du Toronto Star, suggère plutôt la tenue d'une enquête publique indépendante.
Selon le Post, il importe peu que les appels aient eu lieu dans une ou plusieurs circonscriptions. «L'enjeu est la confiance déjà ébranlée du public dans le processus électoral et une enquête est peut-être le seul moyen de rétablir et de maintenir cette confiance.» Le Post comprend la résistance des conservateurs, qui ont vu l'impact de la commission Gomery sur les libéraux. «Il est difficile de poser le geste juste quand ce dernier risque de vous plonger dans le pétrin, vous ou quelques-uns de vos amis. Mais il en va de la protection de l'intégrité de la démocratie canadienne», dit le Post.
Selon Tim Harper, du Toronto Star, des gestes doivent être faits de façon urgente pour contrer le désengagement des électeurs. Il faut que les Canadiens se fâchent et agissent, dit-il. Il faut la mise en place d'une enquête indépendante et transparente pour démêler l'écheveau. Et finalement, cette façon de faire la politique, où on ne cherche qu'à détruire personnellement l'adversaire, doit cesser. Si rien de cela ne se produit, une baisse encore plus importante du taux de participation suivra, prédit-il.
Prudence
Personne n'adhère à la thèse du loup solitaire. Et rares sont les voix qui invitent à ne pas sauter trop vite aux conclusions. Andrew Coyne, de Postmedia News, se démarque à cet égard. Coyne convient qu'il y a trop d'allégations de gestes exigeant des moyens techniques importants pour parler d'une simple erreur humaine. Mais ce n'est pas parce que la majorité de ces appels frauduleux ont été dénoncés par les partis d'opposition qu'on détient la preuve que les conservateurs en sont responsables. En même temps, il trouve la distribution des appels trop aléatoire. Il y a eu des appels dans des circonscriptions où la lutte était chaude et dans d'autres où elle ne l'était pas. «Cela ne rend pas acceptable le geste, mais cela ajoute au mystère.» Et il se demande quel parti prendrait un tel risque pour si peu de résultats. Il comprend toutefois le réflexe de soupçonner les conservateurs. «Leur faisons-nous encore confiance?», demande-t-il. Coyne ne croit pas qu'une enquête publique soit nécessaire, mais «voilà, il semble que les gens aient tellement perdu confiance dans les autres institutions qu'une enquête publique leur paraît la seule position de repli possible».
Lorrie Goldstein, du Toronto Sun, relève certaines allégations contre les conservateurs qui n'ont pas de sens. Il note que certains appels ont été reçus dans des circonscriptions où le Parti conservateur domine largement. D'autres ont été faits par des gens se présentant comme des partisans conservateurs. Il est donc possible qu'il y ait eu des bavures, des erreurs. Mais la multiplication des incidents, dit-il, accroît le risque pour Stephen Harper de voir les électeurs le tenir pour responsable à cause de la culture politique qu'il a imposée.
John Ibbitson, du Globe and Mail, note que cette méfiance a fait en sorte que les conservateurs ont complètement perdu le contrôle du message. Les annonces de la date du budget et de l'appui des provinces à l'accord de libre-échange Canada-Union européenne sont presque passées inaperçues. Les conservateurs démentent tout, mais «des appels frauduleux ont été faits par des gens qui croyaient servir les intérêts du Parti conservateur et, tant que cette contradiction ne sera pas résolue, la question va continuer de pourrir. [...] Et pour envenimer le tout, il n'y a aucune voix, sage et inspirant confiance, pour prendre fait et cause pour les conservateurs. Des ministres hyperpartisans, voilà exactement ce dont vous n'avez pas besoin à un moment comme celui-là, mais c'est à peu près tout ce qu'a ce gouvernement.»
Revue de presse
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