Lors de la dernière campagne électorale fédérale, de nombreux candidats libéraux ont dû faire face à la colère de citoyens qui se plaignaient de harcèlement téléphonique par des personnes disant travailler pour la campagne libérale. Le 2 mai, jour du scrutin, des milliers d'électeurs ont eu droit à des appels préenregistrés, prétendument d'Élections Canada, les informant faussement du déplacement de leur bureau de scrutin. Dans presque toutes les circonscriptions visées, la lutte était chaude et opposait les conservateurs à un autre parti.
Libéraux et néodémocrates ont toujours soupçonné les conservateurs d'être à l'origine de ces appels. Leurs soupçons ont décuplé après la révélation, la semaine dernière, de l'enquête entreprise par Élections Canada, avec l'aide de la GRC, sur des appels ayant induit en erreur des électeurs de la circonscription de Guelph, enquête qui a mené pour l'instant jusqu'à une firme albertaine offrant des services d'appels automatisés et réputée proche des conservateurs. Depuis, d'autres cas sont soulevés dans les médias, d'autres entreprises, identifiées.
L'enquête se poursuit et rien ne prouve pour l'instant que le Parti conservateur soit derrière ces manoeuvres, mais les apparences ne sont pas en sa faveur. Le PC dit avoir fait des appels, mais pour inciter ses partisans à aller voter ou les informer du déplacement de leur bureau de scrutin, ce qui est tout à fait légal. Que des erreurs aient été commises est possible, mais elles l'ont été de bonne foi, ajoute-t-on au PC. Et si accrocs il y a eu, il s'agit de cas isolés.
Mais le PC dit faire lui-même enquête dans ses rangs et un jeune travailleur d'élections de Guelph a été ciblé, perdant son emploi au passage. Le hic est qu'un jeune homme de 23 ans ne peut avoir, à lui seul, lancé une telle opération. Pour rejoindre des centaines d'électeurs, il faut avoir les listes électorales et les moyens de payer pour le service d'appels. Et cela ne s'est pas produit dans une seule circonscription, mais dans des dizaines. Il devient difficile de croire à une coïncidence.
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Ce qui rend plausible le scénario d'une stratégie concertée ou d'une approche systémique est la combinaison — chez les conservateurs plus qu'ailleurs — de deux éléments essentiels à la mise en oeuvre d'une opération téléphonique de cette ampleur: la conviction que tout ou presque est permis pour arriver à ses fins et la possession de moyens financiers et techniques que seuls des coffres bien garnis peuvent offrir. Les conservateurs possèdent les deux.
Sous Stephen Harper, une culture du tout-est-permis s'est installée. Les exemples abondent. On a vu, pour la première fois, un gouvernement proroger le Parlement pour éviter un vote de confiance. Les conservateurs ont excusé le mensonge à répétition, de Bev Oda à Peter MacKay en passant par Tony Clement. À l'insu du Parlement, le gouvernement a détourné les deux tiers du fonds pour les infrastructures frontalières vers un Fonds des infrastructures du G8 dépensé dans la circonscription de M. Clement. Le même Tony Clement, qui a eu une promotion depuis, a faussement laissé entendre que Statistique Canada approuvait l'élimination du questionnaire long du recensement, provoquant la démission du statisticien en chef qui voulait rectifier les faits.
Des adjoints ministériels ont intercepté des demandes d'accès à l'information pour tenter de les faire modifier. Des dirigeants d'organismes indépendants ont été rabroués publiquement ou écartés parce qu'on n'aimait pas leurs décisions. Intimidation, dénigrement public de dénonciateurs, scientifiques réduits au silence...
Et c'est le PC qui a plaidé coupable pour avoir sciemment dépassé les limites de dépenses électorales durant la campagne de 2005-2006. Et c'est encore lui qui a orchestré un faux sondage dans Mont-Royal laissant croire que le député libéral Irwin Cotler était sur le point de démissionner.
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Côté moyens, les conservateurs tiennent le haut du pavé. Ils sont riches, ce qui leur sert depuis des années à bâtir d'imposantes banques de données sur les électeurs. L'information recueillie permet d'identifier des partisans potentiels, qu'on suivra à la trace par la suite, et de cerner les enjeux qui trouvent un écho sur le terrain. Elle sert aussi, durant et entre les élections, à faire de la sollicitation téléphonique et des envois postaux bien ciblés.
Ces banques de données, inspirées de l'expérience américaine, sont perçues comme des outils essentiels des campagnes politiques modernes et tous les partis cherchent à s'en doter. Le NPD s'y est mis et le PLC ne cesse de solliciter financièrement ses membres pour se les offrir à son tour.
Rien n'encadre leur utilisation cependant, car les partis ne sont pas soumis aux lois protégeant la vie privée ni aux règles régissant la sollicitation téléphonique. Les seules limites qu'ils doivent respecter sont celles du Code criminel et de la Loi électorale.
Tout cela est donc légal, mais l'absence de balises laisse la voie libre aux dérapages et aux abus que la technologie amplifie. Si ceux allégués durant la dernière campagne se confirment, et à si grande échelle, on pourrait être devant un des pires scandales de tricherie électorale et de corruption de notre démocratie des dernières décennies.
Pour cette raison, toute la lumière doit être faite. Et vite.
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