En 1995, j'avais, ici à Montréal, de nombreux amis anglophones. J'étais aussi un indépendantiste, avec des positions ressemblant beaucoup à celles de certains souverainistes d'aujourd'hui. Je disais, par exemple, comme le faisait Jacques Parizeau, qu'il était souhaitable que les Québécois maîtrisent l'anglais.
J'étais content d'apprendre moi-même cette langue, à laquelle je passais fréquemment, avec plaisir, dans mes relations quotidiennes.
J'espérais à voix haute qu'un chef souverainiste ferait bientôt des bouts de discours en anglais, pour montrer à nos compatriotes anglophones que le projet d'indépendance les incluait.
J'allais même plus loin, en suggérant parfois qu'advenant l'indépendance, le Québec n'aurait peut-être plus besoin de la loi 101.
À l'approche du référendum, je pensais que ces points de vue s'inscrivaient bien dans un esprit démocrate, ouvert et confiant. Je croyais même pouvoir, en les exposant, être une sorte de pont vers le OUI pour mes amis anglophones.
***
Or, les amis en question répondirent, au souverainiste éminemment accommodant et anglophile que j'étais, les yeux écarquillés, le front mouillé, les sourcis froncés et les poings crispés; J'étais raciste, fou, dangereux, destructeur, nous courrions à la catastrophe. Certains étaient maussades, d'autres fâchés, d'autres encore, hystériques. À mon grand désarroi, j'ai reçu, sous des doigts accusateurs, tout le chapelet des récriminations exorbitantes et grossières de la Gazette. Ma main tendue, ma belle ouverture d'esprit, on n'en avait rien à foutre. Je faisais désormais partie de l'engeance séparatiste.
Ce coup de hache dans mes illusions survenait au beau milieu de la campagne du OUI, pourtant belle et inspirante comme un grand rêve, ponctuée d'affiches multicolores représentant le monde, l'environnement, la paix et la prospérité. Pendant que, de l'autre côté de la clôture, les panneaux austères et démodés du NON évoquaient, dans la menace et la gravité, la terrible " sépa-non-ration ". Pénible.
Puis, nous avons perdu, au landemain d'une manifestation extravagante de paternalisme sentant la fraude à tour de bras, comme, du reste, toute la campagne " parallèle " du NON, qui se déroulait sous nos yeux depuis déjà des mois. J'ai entendu Parizeau dénoncer ce que l'on sait, conscient que cela heurterait fortement les remparts de la rectitude politique.
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Et puis, comme on dit apparemment dans les réunions AA, j'ai cheminé.
[ J'ai vu Lucien Bouchard essayer de se réhabiliter auprès des anglophones, vainement, cela va de soi.->346] J'ai vu Montréal s'angliciser à la vitesse du son. J'ai vu le PQ édulcorer sans cesse ses positions et perdre sans cesse des appuis.
J'ai entendu l'animateur du spectacle de la fête nationale, un récent 24 juin à Montréal, accueillir chaleureusement le public dans une multitude de langues, dont, bien sûr, l'anglais. Ce même jour, alors que les radios francophones de la métropole faisaient jouer de la musique québécoise mur-à-mur, j'ai jeté un coup d'oreille aux grandes stations anglophones; On repassait tranquillement les habituelles chansons américaines dans l'indifférence complète, et on jasait de choses et d'autres. Quelqu'un qu'on aurait parachuté ici, et branché sur CHOM, Virgin ou Q 92,5, sans le mettre au courant que c'était jour de fête, n'aurait absolument rien remarqué, à moins d'écouter assez longtemps pour tomber sur l'un des rares moments où l'animateur en parlerait brièvement entre deux annonces de chars.
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Le constat qui découle de cette expérience est limpide : Il y a bel et bien eux, et nous ; notre culture comprend la leur, alors que la nôtre leur est étrangère. Ceci n'est pas un jugement, c'est un fait; Constater n'est pas blâmer.
En fait, ce eux, c'est le vrai nous inclusif canadian, alors que nous ne sommes qu'un des eux, sans grand pouvoir d'attraction, du Canada.
Nous sommes, dans ce qui est supposé nous servir de pays, une communauté culturelle satellitaire parmi d'autres.
La récente reconnaissance par Ottawa de notre caractère national, dans son libellé anglais, tend à consacrer cet état de fait. On y dit bien " ... the Québécois form a nation... " . Ici, l'emploi du vocable français dans un texte anglais laisse entendre qu'on désigne exclusivement la communauté historique francophone. En même temps, on réfère au groupe, et non au territoire, ce qui enlève sur-le-champ à ladite communauté toute souveraineté sur ce territoire qui pourrait lui conférer la légitimité d'intégrer à elle, complètement, les minorités avec lesquelles elle partage ce territoire.
Bref, on parle ici des Québécois comme, souvent, on identifie des groupes en fonction de particularités culturelles, d'ordre religieux, linguistique, d'origine nationale ou autre. Comme on nomme, en sol canadien, les Hindous, Juifs, Grecs, Arméniens, etc. etc.
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C'est dans ce contexte qu'aujourd'hui, on commence à discuter ici et là de la pertinence d'étendre la loi 101 à l'enseignement collégial. Or, il ne semble pas y avoir unanimité sur cette question, même chez ceux qui se disent souverainistes. Ainsi, Jean-François Lisée rejette cette proposition et suggère plutôt une fusion des réseaux français et anglais en un seul système, aux trois quarts français et un quart anglais. On ne peut que constater que cette façon de faire augmenterait de façon significative la proportion de francophones s'instruisant en anglais ou, plus précisément, le nombre de cours donnés en anglais à des francophones.
M. Lisée, qui affirme que le cégep français pour tous relève d'une vision " trop défensive ", se réclame d'une position plus " ambitieuse ", puisque le système qu'il propose amènerait plus d'anglophones à étudier -- à 75 % -- en français. Mais à quel prix ? Serait-ce celui de baisser les bras devant ce besoin irrépressible du colonisé de se fondre toujours plus dans la culture qu'il perçoit comme universellement dominante ?
Tant qu'à moi, la vraie ambition consisterait à faire en sorte qu'ici, comme ailleurs, on étudie à près de 100% dans la langue nationale. Point.
Au Québec, apprendre l'anglais se fait en un tournemain en allumant un ordinateur, une télévision, ou en allant faire un petit tour à Montréal, Gatineau, Chandler, dans les Cantons De L'Est ou même à Val D'Or. Ou encore, en assimilant tout naturellement les milliards de signaux que cette langue nous envoie de toutes parts, dans l'art, la consommation, la politique, etc. Il suffit de s'ouvrir un peu et d'y mettre un minimum de volonté.
Et si apprendre l'anglais au quotidien ne vous satisfait pas et que vous voulez absolument vous instruire en anglais, ou dans une autre langue, faites-le pour vrai : Voyagez, profitez de quelques programmes d'échange et allez étudier ailleurs. Voilà la vraie affaire, une expérience sans doute grisante. Et si de tels programmes sont trop peu disponibles au Québec, tâchons d'améliorer la situation.
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Le souverainiste que j'étais en 1995 aurait peut-être appuyé la proposition actuelle de M. Lisée. J'en étais à ce genre de réflexions à ce moment-là, comme d'autres indépendantistes. C'était l'ère du nationalisme civique, territorial. À mon sens, ceux qui, comme Mathieu Bock-Côté, critiquent aujourd'hui très sévèrement ces positions d'autrefois, mesurent mal le contexte idéologique et socio-politique de cette période. Il faut s'y replonger, résolument, pour comprendre qu'on ait pu, à ce moment-là, tester ces avenues.
Quand l'indépendance devient palpable, on apprend à se penser dans une autre perspective, celle d'un pays souverain sûr de lui. Aussi, cette époque était beaucoup plus différente d'aujourd'hui qu'il n'y paraît; on manque encore de perspective, je crois, pour comprendre correctement ce qui nous sépare des années 90.
Nous sommes ailleurs, radicalement, et à mon sens, les souverainistes qui raisonnent aujourd'hui comme M. Lisée font une erreur importante, la même que font les quelques rares fédéralistes authentiques du Québec : ils refusent de prendre acte. Ils se cantonnent, pour diverses raisons, dans des positions qui s'arriment mal à la réalité.
Il faut s'ouvrir les yeux. Si une langue est en train de se perdre au Québec, menaçant en cela un bilinguisme si cher à certains, ce n'est pas l'anglais mais bien le français ! En dehors des facultés universitaires -- et encore ! -- des studios de Radio-Canada ou des belles maisons d'Outremont, notre langue est en mauvais état.
Il est plus que temps qu'on apprenne, ici, à faire la différence entre la grande valeur du plurilinguisme individuel, et l'institutionnalisation insensée d'un bilinguisme rétrograde au profit de la langue qui est précisément celle qui nous assimile systématiquement depuis des générations.
Il est grand temps qu'on arrête de s'imaginer que l'anglais ouvre les portes de je ne sais quelle modernité, qu'il est le passeport pour la galaxie entière, ou encore un gage d'ouverture. On s'ouvre quand on s'assume; on se réalise quand on est soi-même, quand on trouve sa propre voie.
Nous avons ici du talent, des moyens, et un sens aigu de l'identité; c'est tout ce qu'il faut pour aider le monde, la planète, à ne pas s'endormir dans une navrante uniformité. Il y a là, pour le Québec, les germes d'une mission qui pourrait lui rapporter des dividendes et une reconnaissance qu'on ne soupçonne pas, occupé qu'on est encore à vénérer nos chaînes.
N.Payne
Montréal
Réplique à Jean-François Lisée
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
20 novembre 2009Monsieur JLP,
Je ne sais vraiment pas ce que vous voulez dire par ces mots : ..."changer le sens de l'Histoire".
Je ne crois pas changer le sens de l'Histoire, en rappelant un extrait des mots du Général Patriote Charles Hindelang. À mon avis, en changeant simplement le nom de Canadiens par le nom de Québécois, cette phrase admirable s'adresse à nous, aujourd'hui, à cause de notre manque d'ardeur à agir et ,paradoxalement, de notre grand besoin de liberté.
" Cette voix sort du tombeau, elle ne te demande pas vengeance, mais elle te crie d'être libre." C'est la voix des Patriotes, de nos Pères...Chaque fois que je le relis, ce cri, il me va droit au coeur! Cette voix nous appelle encore au combat et à l'espoir! Ils sont morts pour nos beaux lendemains. C'est notre Histoire.
Hélèna.
Archives de Vigile Répondre
20 novembre 2009À qui bénéficie changer le sens de l’Histoire ?
Le jour de son exécution le 15 février 1839 à la prison de Montréal, le Général Patriote Charles Hindelang (l’un des 12 patriotes pendus entre le 21 décembre 1838 et le 15 février 1839)* avait écrit, pour exalter la LIBERTÉ à laquelle doit aspirer tout être soumis à la servitude du pouvoir totalitaire, ce cri de cœur :
« Liberté, liberté, qu'il serait beau de souffrir pour toi, qu'il serait beau de faire comprendre aux Canadiens, tout ce que tes amants reçoivent de force et de courage en te servant! Réveille-toi donc, Canadien (et non aux Québécois comme quelqu’un vient de l’écrire plus haut), n'entends-tu pas la voix de tes frères qui t'appellent? Cette voix sort du tombeau, elle ne te demande pas vengeance, mais elle te crie d'être libre. »
JLP
_________________________________
*. Pour plus d’information, consulter
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2009Monsieur Payne,
Votre texte est une beauté à lire. Trop souvent, dans ce journal, on néglige de se relire. On fait des fautes d'orthographe, de grammaire, d'accord de verbe, etc. Les coquilles pullulent...et cela endommage le contenu de commentaires riches d'idées et d'informations. Je suis sûrement très chauvine mais comment croire à une idée exprimée dans une langue qu'on charcute dans ses règles ? La fierté de sa langue...pas besoin d'être poète pour y croire et l'acclamer. Savoir écrire sa langue, c'est aussi être libre.
Je suis entièrement d'accord avec vous monsieur Payne.
Je suis touchée par votre témoignage. Vous avez ouvert les yeux et vous avez réfléchi longuement, je crois. Vous donnez là la preuve de la mésestime et du mépris qu'ont les anglos devant notre ambition de faire l'Indépendance du Québec. Et je suis désolée de voir à quel point nous courbons l'échine et comme nous voulons être gentils ! Encore !
Monsieur Lysée nous présente un plat dans lequel se mêlent des champignons comestibles et vénéneux : il nous affirme que nous sommes assez mûrs pour distinguer lesquels nous empoisonnerons. Je dis que dans le doute, on s'abstient. Il veut tenter le diable ? Il veut jouer notre langue à la roulette ? 3/4 de ci, 1/4 de ça. Quel vilain voeu, ma foi ! Je ne crois pas que cela soit réalisable. Cette acceptation de deux langues fera que l'une dévorera l'autre. C'est comme de donner à garder votre porte-monnaie à un voleur, ou de lui donner la clé de votre maison, ou de donner à manger à un cochon...C'est assez de gentillesse...
Ces mots du Général Patriote Charles Hindelang :"[...] Réveille-toi donc, "Québécois", n'entends-tu pas la voix de tes frères qui t'appellent ? Cette voix sort du tombeau, elle ne te demande pas vengeance, mais elle te crie d'être libre."
Note: j'ai remplacé le mot Canadien de l'époque.
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2009Être ou ne pas être
« Tant qu’à moi, la vraie ambition consisterait à faire en sorte qu’ici –au Québec--, comme ailleurs, on étudie à près de 100% dans la langue nationale. Point.
(…). Il est plus que temps qu’on apprenne, ici, à faire la différence entre la grande valeur du plurilinguisme individuel, et l’institutionnalisation insensée d’un bilinguisme rétrograde au profit de la langue qui est précisément celle qui nous assimile –l’anglais-- systématiquement depuis des générations. » N. Payne
Monsieur Payne, je suis complètement d’accord avec vous concernant votre position sur le bilinguisme rétrograde qui a comme objectif fondamental d’exterminer l’âme du peuple francophone du Québec, laquelle est conçue par la prépondérance culturelle de sa langue nationale. Parler et écrire quatre langues, c’est mon cas, ne doit pas nous conditionner à être indifférents au sort de notre propre collectivité extrêmement fragile dans ce contexte d’assimilation et de trahison institutionnalisées par des intérêts bâtards ou par d’autres sortes de prérogatives exclusives et excluantes. Celles-ci sont mises en place par la « main invisible », favorisant surtout une certaine « élite » qui travaille en fomentant des moyens rétrogrades et destructifs, pour ainsi contrôler la parcelle de pouvoir qui leur « revient » selon la conception de cette clase sociale qui bien souvent, agit contre les intérêts de la majorité.
Le rappeler une fois de plus nous donne une meilleure perspective d’ensemble dans ce contexte qui nous occupe :
« Il n’y a pas de peuple sans sa langue, pas de langue sans sa culture, pas de culture sans un destin, pas de destin sans son épanouissement, pas d’épanouissement sans —pleine— liberté, pas de —pleine— liberté sans droit à gérer son avenir sur son territoire. » Anonyme
JLP
Gilles Bousquet Répondre
19 novembre 2009M. Payne croyait que nos Anglos allaient voter OUI en 1995. Allô ! Ils ne voteront jamais OUI à la souveraineté du Québec pour changer leur statut de majoritaires dans le Canada à minoritaires au Québec...jamais. C'était ça en 1980, en 1995 et c'est encore le cas et ça le sera.
Nous sommes souverainistes pour devenir majoritaires, pourquoi est-ce que nos Anglos voudraient prendre le chemin contraire ?