Ignorance et insouciance

Son plaidoyer soudain et gratuit, en faveur de l’unité canadienne, a laissé l’impression que l’homme était en mission commandée

Chronique de Patrice Boileau


La ville de Québec a accueilli, la fin de semaine dernière, les représentants des pays membres de la francophonie. Célébrant son 400e anniversaire, l’occasion était idéale pour que ce frêle poumon francophone en Amérique du Nord anglo-saxonne, soit sélectionné pour s’acquitter de cette honorable responsabilité.
Le chef du plus important État francophone au monde, le président Nicolas Sarkozy, n’a pu participer qu’aux activités du samedi matin. La France qu’il dirige assume en effet la présidence de l’Union européenne, acteur économique majeur qui ne pouvait être absente à la rencontre qu’avait organisée le président américain George Bush, à Camp David, dimanche. La crise financière qui secoue les activités financières mondiales est trop grave en effet pour que le leader français n’y assistât pas.
Ce qui n’a pas empêché le président de l’Hexagone de faire parler de lui à Québec, malgré son bref passage. Son plaidoyer soudain et gratuit, en faveur de l’unité canadienne, a laissé l’impression que l’homme était en mission commandée. Personne en effet ne lui a demandé d’exprimer son opinion sur les relations Québec-Canada. L’ordre du jour à Québec ne visait pas d’ailleurs à examiner le fédéralisme canadien.
Nicolas Sarkozy entretient une profonde relation amicale avec Paul Desmarais, comme l’ont souligné de nombreux observateurs de la scène politique québécoise. Pas de doute que l’homme d’affaires constitue sa principale source d’information. Aveuglé par le rêve anglo-américain et tous les clichés qui s’y rapportent, le chef de l’Élysée préfère côtoyer ceux qui l’incarnent, plutôt que d’autres qui cherchent à s’en démarquer. Il a d’ailleurs évoqué la grandeur continentale du Canada, lors d’une allocution. Probable que Sarkozy se voyait galoper sur les vastes plaines au soleil couchant, arborant un chapeau de cow-boy avec une Malboro en bouche, comme dans une de ces célèbres scènes d’un film western!
Le dirigeant français fait malheureusement partie du nombre de ses compatriotes qui mordent à pleines dents dans l’idéal étatsunien, convaincus qu’il est sans danger pour le sien puisqu’illusoirement protégé par le poids de millions de concitoyens. Il est probablement parmi ceux qui nous trouvent ringards de résister au e-mail et au chat, en préférant les termes courriel et clavardage. Le locataire de l’Élysée « fait people » et adore ça. À l’image de toutes les Monique Gagnon-Tremblay et autres Mario Dumont de ce côté de l’Atlantique, Nicolas Sarkozy voit en la culture anglo-américaine un progrès qui lui fait cruellement défaut.
Heureusement, Nicolas Sarkozy n’est pas la France. Comme la ministre des Relations internationales du gouvernement Charest et le député adéquiste de Rivière-du-Loup ne sont pas le Québec. Grand bien leur fasse s’ils aspirent à une forme d’anglicisation! Ils devront néanmoins s’ouvrir les yeux et admettre que les leurs ne les suivent pas dans leur dessein. Le résultat de la dernière élection fédérale démontre en effet qu’une majorité de Québécois n’adhèrent pas au Canada que chérissent les partis fédéralistes. Ils se sont encore regroupés autour d’une formation politique souverainiste pour défendre leurs intérêts, là où ils sont minoritaires et dominés. Le résultat du scrutin, fraîchement dépouillé le 14 octobre dernier, aurait dû normalement attirer l’attention du chef de l’État français. Ce dernier devait, de façon diplomatique, corriger son discours afin de respecter le choix politique du Québec qui refuse de se fondre dans le fédéralisme canadian qu’il louange. Voilà une grosse erreur de jugement qui a résulté en « l’énormité » soulignée avec justesse par Jacques Parizeau.
De deux choses l’une : ou bien Nicolas Sarkozy a agi sans consulter qui que ce soit, ou bien il a ignoré les conseils des gens qui l’entourent parce que trop désireux de rendre service à ses amis qui ont choisi le modèle anglo-américain qui est le sien. L’homme têtu n’en est pas à sa première bourde. Il est à espérer que le peuple qu’il représente le sanctionnera à son retour, puis lors de la prochaine présidentielle.
Jamais je n’ai utilisé l’expression « maudit français. » Je l’ai toujours considéré comme un piège fédéraliste grossier qui vise à convaincre les francophones du Québec de détester leur origine. Ainsi, j’adore au contraire entendre l’accent français que je trouve savoureux. Idem pour leur créativité artistique. J’admire aussi la technologie française qui souvent domine largement la concurrence internationale. Je rêve d’apercevoir un TGV foncer sur le rail, entre Montréal et Québec. J’aimerais tant revoir des Citroëns sur nos routes, avec leur révolutionnaire suspension hydropneumatique. Voilà qui manque à mon américanité dont je suis fier.
J’avoue aujourd’hui éprouver une vive amertume suite à la bassesse à laquelle s’est livré le président français. Je ne suis pas dupe néanmoins : nombreux sont mes « frères » d’outre-Atlantique qui font peu de cas de l’érosion de leur langue. Réaction normale lorsque l’on se considère suffisamment nombreux pour résister à l’assimilation, résistance décuplée psychologiquement par la distance que procure l’océan qui sépare la France de l’oncle Sam. Mais que le chef de l’État français, en visite chez moi, m’invite à faire de même, alors que la nation à laquelle j’appartiens est la cible d’assauts quotidiens et incessants, me choque au plus haut point. Instruit par mes adversaires, qui sont ses amis, Nicolas Sarkozy a visiblement opté pour l’ignorance et l’insouciance, comme politique étrangère avec le Québec.
Patrice Boileau


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