Haute société, Bas-Empire

Une rafale de révélations suscite la stupéfaction en France.

Élection présidentielle française


Des dirigeants politiques côtoieraient en permanence — et en bonne amitié — hommes et femmes d’affaires. Les seconds financeraient les partis des premiers. Ils obtiendraient en échange une réduction appréciable du taux de leurs impôts. Plus renversant encore, la baisse de la fiscalité sur les hauts revenus (près de 100 milliards d’euros en dix ans) aurait surtout avantagé... les hauts revenus, protégés depuis 2006 par un « bouclier » conçu à cette intention. Enfin, soucieux d’éprouver par eux-mêmes les rigueurs de la nouvelle loi commune, les gouvernants (et leurs familles) seraient plus nombreux à se reconvertir dans les affaires que dans le syndicalisme.
Ainsi, l’« affaire Bettencourt » a rendu visible ce qui l’était déjà (1). En avril dernier, les journalistes d’investigation dormaient-ils donc, et les professeurs de vertu avec eux, quand Mme Florence Woerth décrocha un poste d’administratrice chez Hermès, elle qui se consacrait déjà — sans que cela provoque le moindre émoi — aux finances de Mme Liliane Bettencourt, troisième fortune de France ? M. Eric Woerth avait réagi ainsi : « Je suis ministre de l’égalité hommes-femmes, j’aurais bien tort de vouloir freiner la carrière de ma femme, (...) parallèle à la mienne » (AFP, 21 avril 2010). Nul ne le soupçonnait vraiment de contrarier l’épanouissement professionnel de sa femme, mais personne ne s’alarma non plus du « parallélisme » ainsi tracé entre le parcours d’une gestionnaire de grande fortune soucieuse d’« optimisation fiscale » aux Seychelles et celui d’un ministre du travail qui s’apprêtait à amputer la retraite des ouvriers. Tout cela, c’était avant l’affaire Bettencourt. Les rapports entre argent et pouvoir étaient exactement ce qu’on en révèle aujourd’hui. Mais, à l’époque, tout allait bien...
L’impact du « scandale » actuel tient peut-être à des détails qui tuent : un jeune et ambitieux secrétaire d’Etat à l’emploi qui profite d’un voyage officiel à Londres pour supplier des gestionnaires de fonds spéculatifs de la City de financer son groupuscule, baptisé Nouvel Oxygène ; un taux d’imposition des revenus se situant entre 1 % et 6 % par an (2) dans le cas de Mme Bettencourt (le bouclier fonctionne...) ; une journaliste vedette qui décroche un entretien sur TF1 avec la propriétaire de L’Oréal en précisant : « Je la connaissais pour avoir dîné avec elle et son mari chez des amis communs. Il nous arrivait aussi de nous croiser à l’occasion d’expositions. »
Pour que cette affaire tentaculaire devienne le « collier de la reine » de l’oligarchie française, il faudrait cependant, au minimum, qu’elle débouche sur la fin des pantouflages entre public et privé, sans oublier les « ménages » des journalistes qui ont ainsi contractualisé leur connivence avec l’argent. Le brouhaha du dernier mois n’aura en revanche servi à rien si l’espoir de purifier une atmosphère de Bas-Empire conduit à porter à l’Elysée un frère siamois de M. Nicolas Sarkozy. Comme, par exemple, le directeur général du Fonds monétaire international (3). Les grandes fortunes célébreraient la victoire d’un socialiste d’affaires dans un autre Fouquet’s. Et tout recommencerait.
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Serge Halimi.



(1) Lire notre dossier de huit pages sur l’argent et la politique, paru début juin.
(2) Selon Thomas Piketty, dans « Liliane Bettencourt paie-t-elle des impôts ? », Libération, 13 juillet 2010.
(3) Lire Olivier Toscer, « A gauche... mais proches des milieux d’affaires », Le Monde diplomatique, décembre 2003.


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