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Actualité québécoise - de la dépendance québécoise et du triomphalisme canadian



S'il y a une chose qu'il faut reconnaître à Stephen Harper, c'est d'avoir de la suite dans les idées. Bien avant de devenir premier ministre, il avait décrété que le bilinguisme officiel souhaité par Pierre Elliott Trudeau avait échoué.
«Ne vous y trompez pas. Le Canada n'est pas un pays bilingue. En fait, il est moins bilingue que jamais. [...] La religion du bilinguisme est celle d'un dieu qui a échoué. Elle n'a conduit ni à l'équité ni à l'unité et elle a coûté aux contribuables canadiens des millions et des millions», écrivait-il en février 2002 dans une brochure publiée à l'occasion de la course au leadership de la défunte Alliance canadienne.
Sur le plan individuel, c'était évidemment une autre affaire. À l'époque où il dirigeait la National Citizen's Coalition, M. Harper soutenait la cause des parents des francophones qui voulaient faire éduquer leurs enfants en anglais au Québec, comme il s'opposait à la règle de la «nette prédominance» du français dans l'affichage.
Dès la formation de son premier cabinet, en février 2006, il a montré le peu de cas qu'il faisait de cette supposée «valeur» canadienne imposée par les libéraux en nommant ministre du Patrimoine Bev Oda, une députée ontarienne unilingue anglaise. Et comme pour porter l'insulte à son comble, il a flanqué la ministre de la Francophonie, Josée Verner, d'un secrétaire parlementaire unilingue, l'Albertain Ted Mozies.
Puis, il a nommé coup sur coup des unilingues à la Cour suprême (Marshall Rothstein), au poste d'ombudsman des victimes d'actes criminels (Steve Sullivan) et à la présidence de la Commission de la capitale nationale (Russell Mills).
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La nomination d'un autre juge unilingue à la Cour suprême (Michael Moldaver) il y a deux semaines n'avait donc rien d'étonnant, mais M. Harper est passé à une autre étape dans la révision du bilinguisme officiel cette semaine en imposant celle de Michael Ferguson au poste de vérificateur général, qui relève non pas du gouvernement, mais du Parlement, alors que le bilinguisme était formellement exigé pour occuper cette fonction.
La réaction unanime des partis d'opposition et la démission d'un membre éminent du Bureau du vérificateur général, Michel Dorais, un vétéran de la haute fonction publique fédérale, placent M. Ferguson dans une situation extrêmement difficile. À moins qu'il ne se désiste, le gouvernement semble néanmoins déterminé à créer un dangereux précédent.
Hier, à la Chambre des communes, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, pourtant bilingue, a envoyé un message clair en répondant en anglais aux questions sur le sujet posées en français par Denis Coderre.
Si M. Harper n'a jamais cru aux vertus du bilinguisme comme facteur d'unité, plusieurs au Canada anglais ont longtemps cru qu'il valait mieux ne pas donner de munitions aux «séparatistes» en donnant l'impression que les francophones étaient des citoyens de seconde zone. Seul le Canadien de Montréal, drapé dans sa sainte flanelle, s'est entêté à nommer des capitaines unilingues.
Dans les années 1990, alors que la perspective d'une sécession hantait les esprits, il aurait été inimaginable qu'une institution comme le Collège militaire royal du Canada décerne un doctorat honorifique à un francophobe aussi notoire et impénitent que Don Cherry. À défaut de s'en indigner réellement, quelqu'un aurait au moins signalé l'inopportunité politique de cette initiative. Une professeure de langues a bien dénoncé cette initiative loufoque, mais elle s'inquiétait surtout pour la réputation du Collège.
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Tout le monde voit bien que, même au Québec, la cause du français ne provoque pas une grande mobilisation, malgré les données inquiétantes publiées récemment par l'Office québécois de la langue française (OQLF) et la réanglicisation du visage de Montréal.
À lui seul, un résidant de la circonscription de l'Acadie, représentée à l'Assemblée nationale par la ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, a relevé 76 entreprises qui contreviennent aux dispositions de la Charte en matière d'affichage. Le même constat pourrait être fait dans bien d'autres circonscriptions.
En septembre dernier, le président d'Impératif français, Jean-Paul Perreault, s'inquiétait de la baisse des plaintes déposées à l'OQLF et de celles qui étaient transmises au procureur général, alors que le recul du français est manifeste.
Il est vrai qu'une certaine résignation a gagné la population, malgré les cris d'alarme des organismes voués à la protection du français, et que la loi n'est pas appliquée avec toute la rigueur qui s'imposerait.
L'incitation au respect du français n'en semble pas moins inversement proportionnelle à la force du mouvement souverainiste. Après la frousse causée par l'arrivée au pouvoir du PQ en 1976, le retour au pouvoir des libéraux avait été immédiatement suivi d'un relâchement, bien avant que les dispositions de la loi soient assouplies.
On répète depuis plus de trente ans que la souveraineté serait le meilleur amendement à la Charte de la langue française, mais la crainte de la souveraineté a toujours été plus dissuasive que n'importe quelle amende. Maintenant que la tenue d'un référendum semble plus éloignée que jamais, c'est le free-for-all.


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