Dans un ouvrage publié récemment, intitulé Oser choisir maintenant, l’économiste Pierre Fortin et le fiscaliste Luc Godbout, avec deux collaborateurs (Mathieu Arseneau et Suzy Saint-Cerny), lancent une nouvelle alerte à la crise des finances publiques que le vieillissement de la population provoquera selon eux au cours des décennies à venir.
Un déficit budgétaire apparaîtrait à partir de 2013 et augmenterait par la suite chaque année pour atteindre 53 milliards de dollars en 2051, soit 4,5 % du produit intérieur brut (PIB), sans tenir compte des intérêts sur la dette découlant des déficits cumulés. Il atteindrait près du triple de ce montant si on les incluait. La dette résultant de l’accroissement des immobilisations et des déficits cumulés atteindrait quant à elle 2 213 milliards la même année, soit 185 % du PIB.
Pour éviter qu’un tel scénario se produise et «égaliser les charges fiscales entre les générations» en assurant la pérennité des services publics, il faudrait imposer pour chacune des 45 prochaines années un alourdissement uniforme de 8,7 % du fardeau fiscal, qui se traduirait en 2007 par une hausse de 4,5 milliards en impôts, taxes et tarifs. Les surplus budgétaires ainsi réalisés au cours des vingt prochaines années seraient mis de côté dans un «fonds réversible» dont les actifs accumulés seraient décaissés par la suite pour assurer le financement des services publics au cours des vingt-cinq années suivantes.
Les aléas des prévisions à long terme
Les prévisions de l’évolution du déficit et de la dette reposent sur des taux de croissance annuels moyens des revenus et des dépenses budgétaires qui sont évalués par les auteurs à 3,3 % et 3,7 % respectivement. Pour ce qui est des revenus budgétaires, qui croissent au rythme du PIB, leurs prévisions de croissance reposent sur des hypothèses quant à l’évolution de la population par groupes d’âges, du nombre d’heures travaillées, du taux d’emploi et de la productivité, du solde des exemptions d’impôt sur les sommes investies dans les régimes de retraite et des impôts prélevés sur les décaissements de ces régimes, ainsi que des transferts fédéraux.
Les prévisions de croissance des dépenses sont fondées sur l’hypothèse d’une croissance plus élevée des dépenses de santé et d’une croissance plus faible des autres dépenses, et sur une évolution prévue du service de la dette qui suppose que la dette découlant de l’acquisition d’immobilisations connaîtra une croissance annuelle constante égale à 1 % du PIB. On constate donc que les chiffres obtenus sont le résultat de la projection dans le futur d’un grand nombre de variables et que la période de prévision est fort longue. Prévoir sur 45 ans est non seulement aléatoire, mais, à cet horizon, la moindre déviation est amplifiée de manière exponentielle.
Ce qui frappe dans ces prévisions de tels niveaux astronomiques du déficit budgétaire et de la dette pour 2051, c’est qu’elles découlent du simple écart, projeté sur 45 ans, de seulement quatre dixièmes de points de pourcentage (3,7 % moins 3,3 %) entre les taux de croissance prévus des dépenses et des revenus. La fermeture d’un écart aussi faible entre ces taux, qui résulterait d’une modification de l’une ou l’autre des hypothèses, ferait évidemment disparaître le déficit budgétaire annuel et réduirait l’accroissement de la dette au seul accroissement découlant des dépenses d’immobilisations.
Il va de soi aussi qu’un taux de croissance des revenus légèrement supérieur à celui des dépenses, si minime soit-il, finirait par produire un énorme surplus, dont l’accumulation permettrait à terme de résorber partiellement voire entièrement la dette totale. Et ces éventualités, tout comme celle qui est considérée par les auteurs, sont plausibles. Comment imaginer en effet, à la lumière des formidables avancées scientifiques des cinquante dernières années qu’il en soit différemment pour les cinquante prochaines et que la productivité ne soit pas susceptible d’un nouvel important bond en avant permettant de contrer les effets du vieillissement de la population ?
Un basculage qui ne tient qu’à un fil
Sans spéculer sur de tels développements, considérons l’hypothèse d’une croissance annuelle moyenne de 3,76 % du PIB nominal (incluant un taux d’inflation de 2 %) pour la même période de 45 ans, établie à partir des données de l’Institut de la statistique du Québec et du ministère des Finances.
Cette hypothèse est mentionnée dans une des contributions à l’ouvrage publié en 2006 sous la direction de Luc Godbout, intitulé Agir maintenant pour le Québec de demain, (page 101). En supposant que les revenus budgétaires augmenteraient à ce taux de 3,76 % et que les dépenses augmenteraient toujours au taux de 3,7 %, on peut vérifier qu’en dépit de cette minuscule différence de 0,06 % entre les deux taux, le surplus budgétaire atteindrait 17 milliards en 2051.
Si les surplus budgétaires étaient versés à la réduction de la dette, celle-ci commencerait à diminuer en 2013. Dès 2031, en dépit de son augmentation annuelle (de 1 % du PIB) découlant des acquisitions d’immobilisations, elle serait réduite à zéro et ferait place à une accumulation d’excédents. Les intérêts sur la dette se transformeraient dès lors en rendements sur les excédents. Même en supposant un taux de rendement ne dépassant pas le taux d’intérêt sur la dette, les excédents atteindraient 940 milliards en 2051. Cela, bien sûr, en supposant une fiscalité inchangée.
Transformer un déficit en surplus!
Il suffit en somme d’une très faible modification des taux de croissance des revenus et des dépenses budgétaires pour que, 45 ans plus tard, un énorme déficit soit transformé en un énorme excédent. Le basculage d’un extrême à l’autre ne tenant qu’à un fil, il serait présomptueux d’accorder à des prévisions portant sur une aussi longue période une validité autre qu’indicative et il serait périlleux, en se basant sur elles, d’adopter des politiques dont les incidences seraient majeures, comme celle que proposent Fortin, Godbout et leurs collègues.
Une majoration des impôts, taxes et tarifs de 4,5 milliards en 2007 et d’un montant croissant au cours des vingt prochaines années serait une ponction énorme sur l’économie. Mises de côté par ailleurs dans un «fonds réversible» destiné à faire face à d’hypothétiques besoins de financement des services publics de 2025 à 2050, ces sommes seraient perdues pour l’investissement massif à faire dès maintenant et chaque année au cours des prochaines décennies dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, la santé et les infrastructures, sans lequel il est illusoire de penser relever le défi de l’accroissement de la productivité et d’une crise appréhendée des finances publiques.
Il y a deux attitudes possibles face à cette crise appréhendée. L’une, pessimiste et fataliste, qui prend pour acquis qu’un déficit budgétaire croissant est inéluctablement devant nous et propose des mesures extrêmes et pénalisantes pour faire face à une éventualité qui demeure aléatoire. L’autre, qui met résolument le cap sur les actions soutenues à entreprendre dès maintenant pour contrer les effets négatifs du vieillissement de la population sur la croissance du PIB et faire en sorte que la crise appréhendée ne se produise pas. Nul doute que je suis favorable à la deuxième.
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Louis Gill
Économiste, professeur retraité de l’UQAM
ANALYSE
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