Le 25 août 1830, lors de la représentation à Bruxelles de l'opéra La Muette de Portici , opéra de Daniel-François-Esprit Auber qui chante la révolte de pêcheurs siciliens contre le joug espagnol (au XVIIe siècle), quelques spectateurs échauffés par les paroles d'un acteur appelant à la révolte contre les Espagnols, sortirent du théâtre et pillèrent un journal pro-hollandais. L'ensemble des Régions belges étaient alors rattachées à la Hollande pour former le Royaume des Pays-Bas. Les troubles s'étendirent en Flandre et en Wallonie . A Bruxelles, les émeutiers mirent en échec, le 27 septembre, quelque 10.000 hommes de l'armée hollandaise venus rétablir l'ordre. Un gouvernement provisoire installé le 4 octobre suivant proclama l'indépendance de la Belgique, appela les citoyens actifs (30.000 personnes), à élire un Congrès national qui rédigea une Constitution qui est encore celle du pays, quoique largement modifiée. Ce ne sont pas ces événements que l'on fête aujourd'hui. Ils ont été d'ailleurs insuffisamment analysés et leur sens se dérobe largement même à l'esprit des spécialistes. Une prémonition d'un système belge devenu un modèle international grâce à sa capacité à égarer les citoyens ?
Le 21 juillet, consécration de l"Ordre
Ce que l'on fête c'est la prestation de serment de fidélité à la Constitution du premier roi des Belges, Léopold I (élu quelque temps avant par le Congrès national), le 21 juillet 1831. Bref le retour à l'Ordre. Et un Ordre puissant, car, en dépit de tous les ricanements que suscite la Belgique, il s'agit d'un Etat solide. Hélas! ajouterais-je, mais on ne fait pas de politique contre les réalités et la Belgique s'est réellement comportée comme une nation. Une nation également impérialiste au sens technique, grâce à la puissance de l'industrie en Wallonie. Il y a le Congo mais aussi bien des réalisations en Russie, Chine, Egypte, Amérique latine etc.
C'est curieux, un roi élu. Un jour que j'avais eu l'occasion d'en parler à Paris, un journaliste qui faisait la synthèse du colloque releva le fait. Mais c'est vrai que la monarchie belge n'est pas une monarchie d'Ancien Régime puisqu'elle a été créée après la Révolution française dans un esprit clairement libéral et démocratique (démocratie réservée à l'époque à la bourgeoisie, seules quelques dizaines de milliers de personnes pouvaient voter pour un pays de plusieurs millions d'habitants). Mais lors des discussions sur la Constitution, l'un des fondateurs du pays Jean-Baptiste-Notomb eut des mots parfaitement républicains en parlant de l'hérédité de la charge de roi et de l'irresponsabilité (découlant de son inviolabilité) de celui-ci. « L'hérédité et l'inviolabilité sont deux fictions politiques, deux fatalités publiques, deux exceptions dans l'ordre social. Face à ces fictions se dresse, toujours menaçante, la souveraineté du peuple qui, dans les cas extrêmes, les brisera sur-le-champ. »
L'irresponsabilité mérite deux mots d'explication. Le roi des Belges (qui a longtemps eu une place centrale dans la politique belge), ne peut, comme tout monarque constitutionnel, être mis en cause (ou «violé» si l'on veut, donc pas non plus démis de ses fonctions ni traîné devant un tribunal), par le Parlement et toutes ses actions ne sont valables que si un ministre en prend la responsabilité (devant le Parlement, précisément). A l'abri de cette irresponsabilité, on peut avoir tout, moins ou le néant. Tout, c'est ce qui se développa de 1831 à 1940 avec des rois qui en fait dirigeaient le pays. Puis, sinon rien, en tout cas moins, soit un grand pouvoir d'influence qui fut celui du successeur de Léopold III, Baudouin I en août 1950, après les troubles graves de 1950 en Wallonie qui forcèrent son père à abdiquer. Baudouin I est mort en 1993. L'autre fils de Léopold III, Albert, règne depuis sous le nom d'Albert II. Il est populaire dans la classe politique wallonne et francophone et son pouvoir de fait est moins grand que celui de ses prédécesseurs. Son fils n'aura peut-être effectivement plus que rien : aucun pouvoir, étant perçu (à tort ou à raison), comme un incapable.
Le roi peut toujours servir
Comme le gouvernement belge est en train de réformer la Constitution et a prioritairement réglé le statut de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, le Premier ministre Di Rupo a eu l'idée d'associer la chose à un show au palais royal où en présence de toutes les grandes personnalités politiques du pays, le monarque a signé les lois votées récemment et qui consacrent la pacification intervenue. Je ne dirais pas que la pacification intervenue satisfait profondément les Flamands, mais on pourrait dire en gros que oui, les Bruxellois francophones pouvant être satisfaits, en raison du fait que les habitants francophones de six communes autour de Bruxelles (qui y sont en majorité), pourraient être considérés, quoique habitants en Flandre, comme des citoyens bruxellois (car ils peuvent participer à toutes les élections autres que communales dans la capitale). D'autres habitants francophones gardent des droits dans le domaine de la Justice. Et les Flamands peuvent être contents aussi car le principe de l'intangibilité des frontières de la Flandre vient d'être consacré une nouvelle fois. Il n'empêche que le gouvernement actuel dispose pour voter les lois spéciales (réforme de l'Etat, distincte des affaires politiques en général) d'une majorité (en fait tous les députés sauf un) dans le groupe des députés wallons (et francophones avec les Bruxellois, ceux-ci rejetant l'épithète de "Wallons"). Il dispose aussi d'une majorité dans le groupe des députés flamands (plus étroite : 48 sur 88). Mais hors la réforme de l'Etat, le gouvernement ne dispose plus d'une majorité à la Chambre chez les députés flamands (43 députés flamands sur 88 sont dans l'opposition, cinq d'entre eux soutiennent cependant les réformes institutionnelles qu'ils ont négociées avec la majorité, votées notamment par lois spéciales et c'est pour cela que l'autre chiffre est de 48). Tous les sondages semblent d'ailleurs montrer que la majorité des Flamands voteraient pour les partis flamands de l'opposition tant au Gouvernement qu'aux réformes instututionnelles (NVA et Vlaams Belang). Il a fallu entrer dans ces calculs compliqués. Voici pourquoi.
Le discours du roi d'hier, une formidable dénégation
Le bon état des finances publiques belges (la Belgique emprunte aujourd'hui de l'argent à un taux négatif, les Européens sont devenus fous ou leurs banques sont en piètre posture), l'accord sur l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde sont des bonnes nouvelles pour le Premier ministre actuel qui a entraîné le roi, semble-t-il, même à condamner le populisme (ce qui vise la NVA). La cérémonie où le roi a signé les lois spéciales a pu donner un grand sentiment d'unanimité autour du roi. Sauf qu'une grande partie des Flamands sinon la majorité ne se trouvaient pas représentés dans le show au Palais royal, ce 19 juillet. Le roi a même dit hier que les réformes en cours qui vont dépouiller encore un peu plus l'Etat belge de ses compétences (on en arriverait à entre 60 et 70 % aux entités fédérées), seraient positives. Mais lisez bien la manière dont il le dit : « cela donnera plus de stabilité à notre pays et demandera à chaque responsable un effort considérable le but étant de mieux servir nos concitoyens »! C'est assez extraordinaire comme dénégation d'un pays qui se défait dans la mesure où, je le rappelle tout le temps, les meilleurs spécialistes politiques considèrent qu'en Belgique chaque entité fédérée dans ses compétences fonctionne comme un Etat indépendant.
Il est d'ailleurs remarquable qu'au show du Palais royal de jeudi passé, tout le monde politique wallon était représenté, mais même peut-être pas la moitié du monde politique flamand. Je le dis parce que la langue de bois d'Albert II (et de son Premier ministre), a tout de même comme fonction de faire passer des réformes qui affaiblissent l'Etat belge comme des réformes qui auraient l'effet inverse.
La principale dénégation : celle de la démocratie
La principale dénégation est celle de la démocratie donc entre autres de la Wallonie. Cela c'est dramatique. N'oublions pas non plus que ce gouvernement a cru bon de satisfaire la haine sociale des électeurs des partis de droite en diminuant les allocations déjà si faibles des chômeurs (jusqu'à 20%). Mais le fédéralisme belge qui va s'approfondir a ajouté aux institutions existantes (Etat, provinces, communes d'avant 1970, paysage au fond simple à comprendre), pour la Wallonie surtout, au moins deux autres grosses institutions : la Wallonie elle-même, mais aussi la Communauté sans compter l'Europe qui devient de plus en plus présente. Evidemment, les institutions anciennes demeurent! Oui, surtout l'incompréhensible Communauté française de Belgique qui, à elle seule, complique les choses à plus de 50 %.
Les partis politiques en Wallonie - c'est surtout en Wallonie que ce système dément se pratique - se sont très bien accommodés de la chose. Les partis élisent maintenant, au suffrage universel de leurs membres, des Présidents, qui concentrent d'une certaine façon tous les pouvoirs entre leurs mains. Ces Présidents dispatchent (autant user d'un mot franglais pour désigner cette folie haïssable), des gens qu'ils nomment pratiquement partout : dans les gouvernements a) wallon, b) communautaire français, c) belge, d) bruxellois, e) de chaque province, f) de bien des communes et g) au Parlement européen.
Ces hommes désignés en a, b, c, d, e, f, et g par une autorité finalement extérieure (le Président de parti) aux cadres dans lequel les responsabilités s'exercent (par exemple celui de la Wallonie), ne peuvent plus être perçus comme des responsables devant un Public, mais comme les agents (révocables et permutables et de fait révoqués et permutés, mais souvent pour garder le pouvoir ailleurs), d'une entreprise qui n'est plus démocratique (l'appareil du parti et son Président souverain), que n'ébranlent pas réellement les élections successives que suppose la nécessité de donner à cette farce un masque démocratique. En 2014, on aura voté en Wallonie (soit en quinze ans), dix fois ! Soit (j'indique entre parenthèses et en lettres le nombre d'échelons de pouvoirs concernés) : en 1999 (cinq), 2000 (deux), 2003 (un), 2004 (quatre), 2006 (deux), 2007 (un), 2009 (quatre), 2010 (un) , 2012 (deux), 2014 (cinq). Il n'est pas étonnant que dès 2004, le Premier ministre belge Di Rupo aimait déjà à dire qu'il faisait la synthèse entre a,b, c, d, e, f, g. Synthèse active s'entend, donnant l'impression que les électeurs perdus dans cet imbroglio ne sont plus que des hurluberlus incapables de rien comprendre un peu comme les citoyens passifs (qu'ils sont devenus), des premiers pas de la démocratie en Europe.
Nous voudrions analyser à la revue TOUDI ce système que personne ne songe apparemment à mettre en cause, de manière encore plus approfondie. Car si les Wallons ne se retrouvent pas du tout dans ce micmac, les gens qu'ils élisent, du moins certains, se retrouvent à peu près partout et tout le temps depuis dix ans, quinze ans, vint ans, voire plus. Synthèses de toute la complexité belge ils resemblent à ce Napoléon que Hegel vit en 1806, après la victoire d'Iéna, comme l'Esprit du Monde sur son cheval
Fête nationale belge et deuil de la démocratie
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
23 juillet 2012Tout à fait d'accord avec Monsieur Cloutier qu'il serait rafraîchissant pour la Belgique et les wallons que les idées d'Étienne Chouard viennent s'insérer chez vous dans la vie politique. Mais cela ne semble pas être une mince affaire. Déjà que dans un contexte mille fois moins complexe on est loin du compte ici même !
Merci de nous rendre la "Wallonie" compréhensible par vos articles sur Vigile.
Archives de Vigile Répondre
21 juillet 2012Pourquoi ne pas fréquenter le site du professeur Étienne Chouard et sa constitution citoyenne? C'est ici : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/
Me semble que cela apporterait des idées nouvelles et rafraîchissantes à la politique belge.
Pierre Cloutier ll.m
avocat à la retraite
Pourquoi un Roi? Le Roi ne symbolise-t-il l'existence de Dieu?
Et ceux qui ne croient pas en Dieu sont-ils des citoyens de seconde classe?