J'ai écouté le débat «Faut-il fermer les régions?» arbitré par l'animatrice Marie-France Bazzo à l'émission Il va y avoir du sport de Télé-Québec du 22 septembre dernier. Dans le coin des «pro»: le truculent Stéphane Gendron, maire de Huntingdon et le wannabe lucide Gérard Beaudet, directeur d'urbanisme de la Faculté de l'aménagement de l'Université de Montréal. En face, les «contre»: Roméo Bouchard, le coloré et un peu folklorique ex-président de l'Union paysanne, assisté de Marc-Urbain Proulx, économiste, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi et instigateur de l'exercice «Saguenay Vision 2025».
Je résumerai l'argumentation ainsi: «c'est dommage, mais il faut fermer les régions parce que nous n'avons plus les moyens financiers de les soutenir», disaient les pro; «mais non, ont rétorqué les contre, ce vaste territoire fait partie de notre histoire et de notre identité, nous y avons trop construit pour y renoncer».
Ce débat m'a rendue furieuse pour toutes sortes de raisons, notamment sa formule et les faussetés qu'on y a lancées. Maintenant que la poussière est un peu retombée, j'aimerais soulever la question cruciale qui a été totalement évacuée. (...) Puisque l'idée du débat était d'oser poser des questions dérangeantes et de prendre à contre-pied ce qui ressemble à des certitudes, pourquoi personne n'a-t-il demandé combien il en coûterait de fermer les régions-ressources? Coût-bénéfice, t'sé veux dire?
Même M. Proulx a laissé passer ça! Un économiste... C'est dire à quel point les régionaux sont en train de devenir des gens moroses, sur la défensive et prêts à accepter tous les coups!
Zéro prospective
Plus de 850 000 personnes vivent actuellement dans six régions-ressources périphériques du Québec. Soyons modérés et imaginons que 500 000 personnes les quittent et viennent grossir la population métropolitaine. Pour imager, c'est plus que la population entière de la région des Laurentides et un peu moins que celle de la ville de Québec. Alors, combien cela coûterait-il de mettre en place les infrastructures pour accueillir tous ces gens? Il ne faudrait tout de même pas s'imaginer que tout le monde va aller se disperser sagement et se répartir uniformément entre Québec et Montréal!
Même si le mouvement de fermeture des régions-ressources s'étalait sur une génération, le résultat net serait très certainement une concentration accrue aux endroits où il y a déjà concentration.
Alors, Messieurs les réalistes attristés, qui regardent en face les décisions difficiles: combien de ponts, d'autoroutes, pour satisfaire les besoins de tous ces nouveaux habitants? Pour aider à calculer, trois petits chiffres juste comme ça: un milliard de dollars pour le métro de Laval, 500 millions de dollars pour l'autoroute 30, 400 millions pour l'autoroute 25. Et je ne parle pas de l'entretien nécessaire pour les empêcher de s'écrouler.
Pour des gens qui veulent récupérer l'argent des régions afin de l'injecter dans le réseau de la santé, ça en fait des «équivalents de lits d'hôpital», ça!
D'autant plus qu'avec une concentration accrue de la population, on ne va pas régler les problèmes de santé associés à la pollution des villes. On estime déjà à 1500 par année le nombre de décès prématurés attribuables aux épisodes de smog intense à Montréal. Et c'est sans compter l'augmentation des hospitalisations liées aux problèmes connexes: maladies cardiorespiratoires, asthme, allergies... Ça aussi, ça en fait des lits d'hôpital!
C'est bête, parce qu'il en manque déjà, des hôpitaux dans la couronne de Montréal. Il va bien falloir en construire de nouveaux n'est-ce pas? Juste pour donner une petite idée de ce que cela pourrait représenter: la construction du CHUM est estimée à 1,5 milliard, celle du CUSM (McGill) à 1,6 milliard, et on compte dépenser 503 millions pour rénover le CHU Sainte-Justine.
Eh non, les habitants des régions-ressources n'apportent pas avec eux leurs hôpitaux quand ils déménagent dans les grands centres. Ni leurs écoles, ni leurs CLSC, ni leurs résidences pour personnes âgées. Au mieux, ils apportent leur char...
De la vision!
Alors, avant d'affirmer sérieusement qu'il faut renoncer aux régions et à toutes les ressources et infrastructures qu'elles contiennent parce que cela coûte trop cher de les maintenir, j'aimerais bien qu'on quantifie un peu la solution de rechange. Et qu'on regarde sérieusement en avant pour imaginer quel genre de vie et quel genre de société ça donnerait. Tant qu'à parler pour parler... (...)
Je crois que les régions-ressources ont besoin de se redéfinir, tout comme la métropole doit le faire parce que ce sont les bases historiques de toute l'économie du Québec qui changent avec la nouvelle donne mondiale. Je pense aussi que le clivage et la confrontation Montréal-régions sont bien futiles devant des problèmes aussi importants.
Je crois que, tant dans les régions que dans la métropole, il faut arrêter d'essayer de mettre la faute sur l'autre et de dire que c'est l'autre qui coûte trop cher. Les solutions passent par une nouvelle dynamique fondée sur la complémentarité et l'interdépendance. Se chicaner sur la grosseur des pointes de tarte est stupide et sans avenir: il faut plutôt définir ensemble comment on pourrait bien acheter la pâtisserie...
Denise Turcotte : Consultante en gestion, horticultrice et militante
Fermer les régions: à quel prix?
Par Denise Turcotte
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