Comme je sais que la pile des livres qu'on voudrait avoir lus monte parfois plus vite que celle des livres qu'on prend le temps de lire, je vous raconte un peu ce dont parle John Ralston Saul dans "Mort de la globalisation", qui vient de paraître en traduction française chez Payot.
C'est un livre qui m'a fait beaucoup de bien. Je suis préoccupée depuis longtemps par le cynisme ambiant qui freine l'engagement citoyen. Plusieurs de mes concitoyens estiment que l'implication politique est inutile et le désir de souveraineté un peu vain puisque ce ne sont ni les politiciens ni les états qui décident vraiment. J'ai trouvé dans le livre de John Saul des arguments nouveaux pour leur répondre que tout est possible et que nous pouvons agir, maintenant.
Au cours des dernières années, beaucoup d'auteurs se sont employés à décrire les vices, les méfaits et les impacts négatifs de la globalisation. L'originalité de John Saul c'est qu'il est le premier à affirmer (et à démontrer) que la globalisation, c'est fini ! Nuançons tout de même, on parle ici de la globalisation comme une idéologie qui aborde le monde à travers le seul prisme de l'économie, et qui prétend que les lois du marché peuvent gouverner le monde et transformer les états en notion obsolète. On ne dit pas que les échanges internationaux sont chose du passé ni qu'il faut revenir au protectionnisme pur et dur.
Les promesses non tenues
Rappelez-vous ce que nous promettaient les gourous de l'école de Chicago, Milton Friedman en tête, dans les années 70 et 80: l'économie, et non plus la politique, gouvernerait nos vies, le pouvoir des états serait réduit voire anéanti, les lois du marché global créeraient un nouvel équilibre basé sur les échanges commerciaux, ces échanges généreraient la croissance qui apporterait la prospérité, qui à son tour amènerait la démocratie, une saine gouvernance et la stabilité internationale. Un p'tit muffin, avec ça ? Et tout cela était inévitable, inéluctable: une fatalité face à laquelle citoyens et gouvernants étaient complètement impuissants ! Pas étonnant que tant de gens se soient désintéressés de la politique ! Et que plusieurs de ceux qui prétendaient être nos leaders soient devenus des technocrates plus soucieux de gérer les problèmes que de les régler.
Saul raconte la montée de l'idéologie de la globalisation et son déclin. Avec de nombreux exemples, il démontre que même ses plus ardents partisans, ceux qui l'avaient érigée en "religion", sont de plus en plus nuancés dans leurs propos, quand ils n'avouent pas carrément leur échec. Bien sûr, on ne convoquera pas les médias à Davos pour annoncer la mort de la globalisation, on se garde une petite gène, on soigne son image, mais nombreux sont les indices qui montrent qu'on est déjà en train de passer à autre chose. À quoi d'autre ? On ne sait pas très bien encore. Saul parle d'un "vide", d'une transition entre deux idéologies. Un vide où tout est à définir, où tout redevient possible pour autant qu'on prenne notre place et qu'on se donne la liberté de choisir dans quel monde nous souhaitons vivre.
Le retour de l'état-nation
Ce qu'il note par contre, c'est que l'état-nation, dont on nous avait annoncé la disparition, effectue au contraire un retour en force. Avec de nombreux exemples, Saul démontre que les nations qui s'en sortent le mieux par les temps qui courent sont celles qui jouent pleinement la carte de l'état régulateur. L'Inde et la Chine en tête. Mais aussi la Malaysie, qui s'est relevée de la crise asiatique en bloquant les exportations de capitaux étrangers et en augmentant les tarifs douaniers, s'attirant la réprobation internationale jusqu'à ce que "les experts" soient forcés d'admettre que ça marchait. Et la Nouvelle-Zélande, cheftaine de la première heure des réformes néolibérales, qui re-nationalise et rétablit progressivement les mécanismes de régulation balancés par dessus bord au cours de la dernière décennie.
S'il aborde le nationalisme, porteur du pire ou du meilleur selon ce qu'on en fait, John Saul, tout conjoint de l'ex-vice–reine qu'il est, se garde bien de remarquer que devenir une nation pourrait, dans ce contexte, présenter de nombreux avantages pour le Québec. Il faudrait cependant beaucoup le sous-estimer pour conclure qu'il n'y a pas songé, lui qui s'attarde longuement à la nouvelle donne créée par la naissance d'une vingtaine de nouveaux états en Europe seulement. Présumons qu'il laisse aux souverainistes le soin de franchir le pas que "son excellence", même ex, ne peut pas se permettre.
À nous de jouer
Certains critiques ont reproché à Saul ses contradictions et ses flous. Moi je suis plutôt à l'aise avec une pensée complexe, pleine de nuances et qui n'exclut ni le doute ni les paradoxes. Cela me rassure bien plus que le ton péremptoire sur lequel on a ressuscité "la main invisible" d'Adam Smith sensée transformer comme par magie une somme d'intérêts individuels en un bien-être collectif équilibré.
Après presque trois décennies où on a tenté de nous convaincre que les dirigeants que nous élisions pouvaient au mieux gérer quelques modalités mineures de processus contrôlés par des forces du marché hors de leur portée, je reçois John Saul annonçant la mort de la globalisation comme une véritable bouffée d'air frais, comme une libération. La globalisation est morte, vive le pouvoir citoyen! Enfin le possible ! Il était temps. Et il faut que ça se sache au plus vite. Avant que le désabusement nous ait tous transformés en télé-abrutis résignés à laisser le sort du monde à ceux qui veulent notre bien et qui l'obtiennent.
Pour aller plus loin:
Écoutez l'entrevue que Marie-France Bazzo a réalisée avec John Saul à l'émission Indicatif Présent de Radio-Canada le 21 mars 2006:
http://www.radio-canada.ca/radio/indicatifpresent/chroniques/70911.shtml
Commentaires sur ce texte:
John Saul est un de nos plus grands intellectuels modernes. "Les Bâtards de Voltaire" est sans contre-dit un de ses plus illustres livres. "Le compagnon du doute" s'inscrivait également dans la même lignée que l'ouvrage précédent. Si J. Saul est fidèle à lui-même, "Mort de la globalisation" est certainement aussi provocant et percutant. Attention ! Si ce nouveau livre de Saul est comme "Les Bâtards de Voltaire", il n'est pas à la portée de tous. Non parce qu'il faut être initié au savoir qu'il contient, mais plutôt parce qu'il dérange. Saul a cette capacité de déranger quiconque se réfugie dans un confort intellectuel. "Bien-pensants" et adeptes du "fast-food intello" s'abstenir ! Je connais des gens qui avaient dans la cinquantaine qui ont lu "Les Bâtards de Voltaire" et qui se sont arrêtés après avoir ingurgité presque les deux tiers de se livre. IL DÉRANGE et REMET EN CAUSE BIEN DES IDÉES qu'on croyait soi-disant acquises et solides. Je sais déjà que la plupart des gens acquis au néolibéralisme et aux vertus du marché seront totalement incapables de lire ce nouvel ouvrage. Car, si je me fit aux compte-rendus que j'ai lu sur ce livre, il est certain qu'il dérangera. Pour ma part, "Les Bâtards de Voltaire" fut le livre qui m'a obligé à me questionner sur tout ce que l'on m'avais demandé de croire sans confession. Il fut à l'origine d'un sorte de révolution intellectuelle sur laquelle tout mon cheminement de pensée a été bouleversé. Saul est une véritable cure de nettoyage intellectuel qui permet d'enlever la crasse "pseudo-intellectuelle" accumulée depuis les deux dernières décennies sur les vertus et les moyens véhiculé par "l'économisme" bourgeois et criminel.
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