Fast track pour les étrangers diplômés

Québec veut réduire ses exigences en matière de français

Le français — la dynamique du déclin

Québec -- Afin de transformer le plus vite possible des diplômés étrangers et des travailleurs spécialisés en immigrants, Québec escamotera-t-il l'intégration au français?
C'est l'inquiétude exprimée par le critique péquiste en matière d'immigration, Camil Bouchard, en réaction à une réorientation gouvernementale en matière d'immigration dévoilée hier par Yolande James.
La ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles a annoncé hier à Québec que dès l'automne, trois mesures viendront favoriser l'immigration pour trois catégories de nouveaux venus. D'abord, les étudiants étrangers qui obtiennent un diplôme au Québec: ils pourront recevoir, avec leur diplôme, leur Certificat de sélection du Québec (CSQ), étape cruciale dans le processus d'immigration. Pourront réclamer le même traitement, moyennant un an passé au Québec, les travailleurs spécialisés tels les infirmières ou les soudeurs. Enfin, pour ces travailleurs étrangers «dont le profil correspond aux emplois en demande», comme le formule le ministère, Québec veut désormais abandonner la règle du «premier arrivé, premier servi» et donner la priorité à ceux dont la formation permet de combler les secteurs en pénurie au Québec. La ministre juge urgent de travailler à la rétention de personnes qualifiées puisque le départ en masse à la retraite des baby-boomers, ces prochaines années, libérera d'ici 2012 quelque 700 000 postes.
Pour ce faire, Québec veut laisser tomber une partie de ses exigences en matière linguistique. Les étudiants étrangers, diplômés au Québec en anglais dans le secteur professionnel, au secondaire et au cégep, ainsi que ceux diplômés dans des établissements anglophones au niveau universitaire pourront obtenir un CSQ s'ils peuvent faire la preuve d'une maîtrise minimale du français: «On demande évidemment pour les personnes [...] qui vont étudier dans des établissements anglophones de faire la preuve d'une capacité de parler français à un niveau intermédiaire.» Cette maîtrise de la langue de Molière sera évaluée par le ministère.
Pour les autres immigrants potentiels, non issus des établissements anglophones, la grille habituelle par laquelle on sélectionne les immigrants ne s'appliquera plus. «C'est pour ça qu'on parle d'une voie prioritaire, d'un "fast track"», a précisé la ministre. Ces changements importants se feront par voie réglementaire et non par une loi. Une partie des règlements seulement ont été «prépubliés». Une autre le sera le 23 juin. Québec cherche à faire passer de 2000 à 6000 le nombre d'étudiants étrangers -- sur les 28 000 -- qui demandent le Certificat de sélection du Québec.
«En ce qui concerne le français, ça m'inquiète beaucoup», a commenté Camil Bouchard. Il souligne que toute la «rhétorique» du gouvernement en matière d'immigration est fondée sur le fait de faciliter l'intégration. «Or, la pièce maîtresse de l'intégration des immigrants, c'est le français et l'emploi.» Il se demande en quoi un changement de ce type va améliorer «notre capacité d'accueil à l'accéléré» si on n'exige pas vraiment la maîtrise du français. M. Bouchard doute par ailleurs que Québec réussisse vraiment à accélérer le processus d'immigration des travailleurs aux profils d'emploi recherchés, même en donnant la priorité à certains secteurs, parce que nombre de ces demandes sont retardées par le fédéral qui tarde à délivrer les visas nécessaires.
Le bureau de Mme James a répondu hier que Québec était «en pourparlers» avec Ottawa sur cette question. La ministre croit du reste que le français «sortira gagnant» de ces modifications, entre autres parce que davantage d'immigrants qui ont étudié en région et qui y ont été diplômés en français resteront en région.
Québec trop «blanche» et judéo-chrétienne, dit Labeaume
Pour son annonce à l'Institut national de recherche scientifique, la ministre était accompagnée par le maire de Québec, Régis Labeaume, qui a applaudi: «Sans être flagorneur, je tiens à vous le dire, Madame la Ministre, c'est une mesure intelligente», a-t-il déclaré. «Nous, à Québec, vous le savez, nous avons une ville magnifique, mais elle est bien blanche, elle est bien francophone, et ses racines sont judéo-chrétiennes», a-t-il souligné. «On veut vraiment attirer beaucoup d'immigrants ici. C'est devenu pour nous une nécessité absolue», a-t-il ajouté.
Les décisions de la ministre ont pour effet de changer «toutes les priorités» de la Ville de Québec en matière d'immigration, a soutenu le maire. «La première chose à faire, c'est de faire le tour des établissements d'enseignement, d'essayer de savoir qui est travailleur temporaire et de convaincre ceux-là avant [qu'ils fassent] toute démarche pour aller en chercher ailleurs. Ils sont sur notre territoire, ils peuvent avoir le CSQ immédiatement. Ça change complètement la priorité.»
Assez de ressources?
Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), croit que le nouveau règlement risque de «changer complètement la dynamique» de l'immigration, surtout pour les travailleurs dont le profil correspond à ce qui est recherché. Sur le plan linguistique, il souligne: «Actuellement, l'objectif, c'est 60 % des professionnels qui doivent parler le français. Est-ce que le ministère va pouvoir maintenir ce niveau-là qui rassure tout le monde? Il y a un risque.»
M. Reichhold estime que le ministère devra peut-être «revoir l'offre de services» aux personnes immigrantes. Pour l'instant, souligne-t-il, les services s'adressent uniquement aux immigrants permanents. Avec les changements, «il y aura beaucoup de personnes en situation temporaire ici qui seront dans un processus d'intégration, mais qui n'auront pas accès aux services.» Or, les trois mesures ne se traduisent par aucune hausse de budget au ministère de Mme James.


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