S'il faut trouver un bon côté au scandale des commandites, c'est que les contribuables échaudés sont beaucoup moins apathiques que par le passé quand il est question de détournement de fonds publics.
Le mauvais côté, corollaire du côté positif, c'est que l'on a tendance à verser promptement dans le lynchage public et que notre colère nous fait confondre vengeance avec justice.
La première règle en cette ère post-Gomery, c'est de résister à la tentation du tribunal populaire. Mais les gouvernements, qui craignent plus que tout l'effet de la révolte populaire sur l'humeur électorale, ont tendance à en faire plus que le client en demande.
C'est précisément ce qui est en train de se produire dans le cas de l'ex-lieutenant-gouverneur Lise Thibault.
Cédant à la formidable pression populaire, qui condamne à juste titre les excès de notre ex-représentante de la reine, Ottawa et Québec ont remis son dossier entre les mains de la GRC et de la SQ.
Du coup, les deux gouvernements oublient bien commodément que ce sont eux qui ont signé les chèques de remboursement de dépenses de son ex-Excellence pendant 10 ans, malgré des signaux d'alarme dès les premières années de son règne.
En repoussant le dossier sur le pupitre de la police, on réduit cette affaire à son simple aspect de fraude, un simple vol dans la petite caisse de l'État, quoi. Et on pousse sous le tapis la responsabilité des gouvernements. Or, qui, si ce n'est le gouvernement, devrait être le premier gardien des deniers publics?
«Lorsque quelqu'un vole, il ne faut pas blâmer la police mais le voleur», écrit un lecteur (Henri Roy) par courriel, en réaction à ma chronique d'hier qui insistait sur la responsabilité des gouvernements. Vrai, M. Roy, mais la police, contrairement au gouvernement, ne fournit pas aux voleurs la combinaison de la chambre forte. Et, en principe, la police ne met pas 10 ans à arrêter quelqu'un qui dévalise à répétition la banque sous son nez.
Remarquez, on a fait la même chose avec les commandites: on a évacué prestement toute la question de la responsabilité politique et on a traîné quelques acteurs du scandale devant le tribunal populaire. Fallait bien calmer le peuple.
Ce faisant, toutefois, on a gravement dérapé et les motivations politiques ont pris le pas sur la justice. Pour démontrer à la population qu'il lavait plus blanc que blanc, le gouvernement Martin a fait son lavage avec un bidon d'eau de Javel.
À la fin de la brassée, on avait défiguré pas mal de monde, mais on n'avait pas effacé la tache originelle du scandale: la responsabilité politique.
On a bien essayé de faire porter le chapeau à Jean Pelletier, ex-chef de cabinet et compagnon d'arme de longue date de Jean Chrétien, mais le gouvernement Martin s'est tellement acharné pour en faire un exemple que le tribunal a fini par lui ordonner de le réintégrer dans ses fonctions chez VIÀ et de le dédommager.
Aux frais de qui, croyez-vous, tout ce cirque? Eh oui! c'est ça: vous, nous, les mêmes braves contribuables qui voulaient voir des têtes sur des pieux à l'entrée de la ville.
Il n'est pas question ici d'absoudre les tricheurs des commandites (les Brault, Lafleur, Guité, Coffin, Boulay et autres) et encore moins de blanchir Lise Thibault, mais avant de partir en peur, nos gouvernements ne devraient-ils pas demander à leurs avocats de rencontrer celui de l'ex-lieutenant-gouverneur (payé par nous, évidemment) pour essayer de trouver un terrain d'entente?
Rappelons ici, question de garder cette histoire dans sa juste perspective, que le montant en cause est de 700 000$ sur 10 ans. On est bien loin des centaines de millions des commandites.
Personne ne s'attend vraiment à ce que Lise Thibault rembourse de bon gré les 700 000$ aux gouvernements, mais serait-il plus raisonnable d'engager des honoraires et autres frais juridiques largement supérieurs à ce montant pour finir par toucher 150 000$, peut-être 250 000$? Quelqu'un pense-t-il vraiment que son Excellence va se retrouver en prison? Et ceux qui ont fermé les yeux sans rien faire, vont-ils occuper la cellule d'à côté?
La police, les procès retentissants, les témoignages larmoyants, le verdict, la punition, la déchéance du vil fraudeur, ça fait du bien, avouons-le. Surtout depuis que l'on a vu défiler les Lafleur, les Corriveau, les Gosselin et autres amnésiques devant le juge Gomery, mais cela sert davantage les intérêts politiques que ceux de la justice.
Il y a d'ailleurs une nuance importante entre les joyeux lurons des commandites et Lise Thibault: les premiers se sont servis de l'État, la seconde, elle, servait l'État. Voilà du moins sa défense, que l'on soit d'accord ou non avec sa définition de service public. Et comme Québec et Ottawa l'ont laissé faire pendant 10 ans, il sera bien difficile de prouver le contraire.
Vous imaginez le juge demander aux fonctionnaires, aux sous-ministres, puis aux ministres responsables: expliquez donc à la cour pourquoi vous avez autorisé et remboursé des frais de 12 000$ pour une partie de pêche, une visite d'un parc national et une balade dans un avion du gouvernement
Que l'on soit révolté de tels abus, c'est naturel, mais le fait est que les avocats de Mme Thibault trouveront dans les rapports des vérificateurs généraux autant de passages blâmant Ottawa et Québec que de passages incriminant leur cliente.
Si Ottawa a accepté de passer l'éponge sur Everest en échange d'un chèque d'un million de son ex-patron, Claude Boulay, Québec et Ottawa devraient pouvoir éviter de ruineuses procédures contre Lise Thibault en échange d'un remboursement négocié.
Tout dépend ce que l'on cherche: obtenir réparation ou marquer des points politiques.
Éthique, fric et politique
La première règle en cette ère post-Gomery, c'est de résister à la tentation du tribunal populaire.
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