Éthique et culture religieuse: bilan des débats

ECR - Éthique et culture religieuse



Que reste-t-il du programme Éthique et culture religieuse (ECR) après les répliques formulées à l'endroit de l'étude Quérin? C'est la question à poser pour faire suite à l'empressement dont les concepteurs de ce programme et leurs collaborateurs ont fait montre dans leur réaction à l'analyse critique qu'en a faite Joëlle Quérin, chercheuse associée à l'Institut de recherche sur le Québec. Mises à part les attaques ad hominem, leur défense du cours ECR est soit d'ordre politique, soit pédagogique.
Le point de vue davantage politique concerne l'attitude que le programme favorise chez les élèves en tant que citoyens appelés à vivre au sein d'un Québec empreint d'une diversité de croyances. La critique souvent adressée au programme ECR et reprise par Mme Quérin consiste à lui reprocher de conduire au multiculturalisme, entendant par là le fait de mettre sur un même pied d'égalité les diverses religions, sans accent privilégié sur celles qui sont traditionnellement liées à l'identité québécoise. Ce multiculturalisme est vu comme une conception canadienne contraire à l'intégration par le Québec de la diversité culturelle issue de l'immigration et au renforcement de l'identité québécoise.
À cela, les idéateurs du programme, Jean-Pierre Proulx et Georges Leroux, ont rétorqué dans la page Idées du Devoir du 16 décembre que cette critique n'est aucunement fondée. Selon eux, le nouveau programme promeut la construction commune d'un «vivre-ensemble au sein d'une culture partagée» ouverte à la diversité mais intégrée grâce à la prépondérance accordée à la tradition religieuse du Québec, dont particulièrement la tradition chrétienne. Ils en veulent pour preuve le fait que «l'intention ministérielle est claire et réaffirmée plusieurs fois. L'enseignement devra privilégier les traditions religieuses qui ont contribué à façonner l'histoire et la culture québécoise [...]».
Poudre aux yeux
Voilà qui est révélateur de ce sur quoi les défenseurs du programme appuient leurs prétentions, à savoir des énoncés de principe inclus au libellé du programme et sur les «orientations ministérielles de 2005» ayant présidé au programme. Comme nous allons l'indiquer, c'est là accorder beaucoup d'importance à ce qui trop souvent ne s'avère que voeux pieux ou poudre aux yeux.
La lecture des contenus d'apprentissage et celle des manuels prévus par le ministère de l'Éducation font ressortir à l'évidence que la prépondérance que ce programme dit accorder aux valeurs qui ont façonné la nation québécoise est insignifiante. Non seulement elle porte sur ce qui est accessoire en matière religieuse (les symboles et objets religieux, les rites, les fêtes ou autres aspects du culte), mais la prépondérance accordée au christianisme consiste en une simple priorité chronologique consistant à mentionner par exemple la fête de Pâques avant la Wesak bouddhiste et le Divali hindou, ou encore à mentionner sur la liste des guides spirituels le prêtre avant l'iman et le guru.
Cet écart entre les principes qu'on met de l'avant pour défendre le programme ECR et les contenus officiels d'apprentissage vient clairement confirmer la finesse de l'analyse de l'étude Quérin. Celle-ci porte, non pas sur de simples extraits de l'orientation générale du programme, mais sur sa structure d'ensemble dont les diverses composantes convergent vers le multiculturalisme. [...]
Jugement critique
L'aspect plus spécifiquement pédagogique du programme est abordé par Luc Bégin, qui affirme avoir été expert-conseil dans l'élaboration du programme et qui nous fait part de sa réaction à l'étude Quérin dans Le Soleil du 16 décembre. Il réagit à l'accusation d'endoctrinement des élèves au multiculturalisme en s'appuyant lui aussi sur les intentions du programme et en faisant état de ce à quoi «le programme ECR entend plutôt initier les jeunes», c'est-à-dire «la pratique du dialogue qui incite pourtant à construire une pensée critique et articulée et à aborder collectivement des sujets complexes».
Les contenus des cours prescrits par le programme de niveau secondaire soumettent effectivement à l'esprit des jeunes élèves des questions fort complexes, tels le sens de la vie, l'origine de l'univers, la vie après la mort, la relation au divin, etc. Or le programme et les manuels font en sorte qu'aucun principe et critère n'est fourni aux élèves pour se former un quelconque jugement critique. La conception de l'enseignant qui en fait un simple animateur est défendue par Georges Leroux, qui affirme dans un premier temps que «la responsabilité d'un regard historique et objectif sur des traditions multiples doit éviter [...] l'écueil d'une position d'endoctrinement». Et, par la phrase qui suit ce passage, Leroux définit sans gêne l'endoctrinement comme suit: «L'endoctrinement se rapproche de l'enseignement confessionnel, puisqu'il propose un contenu vrai et véridique.» (Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme, Fides, page 55.)
Dialogue descriptif
Pire, le cours ECR impose aux jeunes élèves des exigences démesurées avant qu'ils ne puissent émettre quelque forme d'avis. Ces exigences sont liées à l'obligation sans cesse réitérée d'éviter une longue liste de jugements défectueux. Il s'ensuit que les cours ECR ne peuvent que faire naître chez l'élève l'impression qu'il ne peut émettre d'opinion. Voilà ce que les défenseurs du programme nomment le «dialogue descriptif». Au fond, il s'agit d'imposer de façon insidieuse aux élèves un faux respect absolu de la description de la diversité multiculturelle et, comme l'affirme l'étude Quérin, de les soumettre à l'endoctrinement au multiculturalisme.
Le programme ECR lèverait les critiques justifiées qu'on lui adresse s'il était conséquent avec lui-même et transmettait les principes et critères au fondement des traditions identitaires du Québec qui sont, de surcroît, à l'origine conceptuelle et historique des chartes de droits si chères à ses concepteurs.
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Ont signé cet article les professeurs de philosophie actifs et retraités suivants: Marcel Bérubé, Charles Cauchy, Maurice Cormier, Michel Fauteux, Michel Fontaine, John White, Gérard Lévesque.


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