Entre Bush et Chavez

17. Actualité archives 2007


Les gouvernements latino-américains tirent le meilleur (l'argent et les accords commerciaux) et rejettent le pire (la croisade antiaméricaine et le néolibéralisme) de ces deux extrémistes
Le président George W. Bush entame aujourd'hui une visite en Amérique latine et se rendra au Brésil, en Uruguay, en Colombie, au Guatemala et au Mexique. Au même moment, son homologue vénézuélien et ennemi juré, Hugo Chavez, fera tout le tintamarre possible afin de perturber ce voyage. Le bras de fer se poursuit entre Bush et Chavez, mais les Latinos-Américains refusent de choisir leur camp.
L'Amérique latine ne peut se déprendre des États-Unis. Depuis deux siècles, les Américains sont fréquemment intervenus dans les affaires intérieures de plusieurs pays souvent avec des conséquences dramatiques et sanglantes. Salvador Allende y a laissé sa vie. Au cours des 20 dernières années, les relations se sont améliorées grâce à la fin des conflits en Amérique centrale et aux efforts soutenus de l'administration Clinton afin de juguler certaines crises financières et de favoriser les échanges commerciaux. En 2001, George Bush avait promis de faire du XXIe siècle le "siècle des Amériques". Le 11 septembre a modifié ses priorités. L'Amérique latine estime avoir été délaissée au profit d'autres régions. L'impression n'est pas fausse.
Sur le plan économique, les États-Unis ont bien augmenté leur aide, mais celle-ci est presque entièrement absorbée par la lutte antidrogue et les ventes d'armes. Malgré la croissance des échanges, le protectionnisme de certains secteurs économiques américains empêche la levée de plusieurs barrières tarifaires. Enfin, la libéralisation des économies tant mise de l'avant par Washington n'a pas été à la hauteur des espérances: à quelques exceptions près, la croissance reste faible, la pauvreté a peu reculé et les inégalités se sont creusées dans la plupart des pays latino-américains.
Sur le plan politique, l'administration Bush n'a fait preuve d'aucune sensibilité particulière et d'aucune ouverture d'esprit. La guerre en Irak, le durcissement de l'embargo contre Cuba et les manoeuvres afin de déstabiliser le président Hugo Chavez ont encore réduit le peu de prestige dont jouissent les États-Unis dans la région.
L'effet Chavez
Ce contexte général et les situations locales ont transformé la scène politique latino-américaine depuis une dizaine d'années. Dans la plupart des pays, les vieilles élites conservatrices ou libérales ont été remplacées par des coalitions de gauche ou des partis radicaux. Ces "gauchistes" ont un même objectif - remettre l'État sur les rails et renforcer les protections sociales -, mais ne partagent pas la même stratégie. Ils oscillent entre le réformisme à petits pas ou la "révolution bolivarienne" préconisée par le président vénézuélien.
À première vue, l'expérience de Hugo Chavez semble remporter l'adhésion, du moins dans l'opinion publique. Dopé par les revenus pétroliers, Chavez distribue la manne chez lui comme à l'étranger. Le pétrole est devenu son balcon d'où il peut agir et se permettre d'écraser l'opposition intérieure, d'acheter les alliances avec la Bolivie, Cuba, l'Équateur et l'Argentine et de consolider le front mondial anti-américain avec l'Iran. De son côté, l'administration Bush a l'art de se mettre les pieds dans les plats et, du coup, de rehausser l'image de combattant anti-impérialiste du président Chavez.
Un exemple parmi d'autres: il y a quelques jours, le secrétaire d'État adjoint, John Negroponte, a déclaré que le "rôle du gouvernement vénézuélien était peu constructif dans certains pays de la région". Pas mal de la part du porte-parole d'un gouvernement qui a encouragé le coup d'État raté contre Chavez, en 2002, et intimidé les électeurs nicaraguayens afin de bloquer le retour au pouvoir de Daniel Ortega l'an dernier, et qui soutient le terrorisme anticastriste et les milices d'extrême droite en Colombie.
Aujourd'hui, Hugo Chavez a une longueur d'avance sur Bush. Pourtant, la majorité des gouvernements latino-américains de gauche n'est pas dupe d'un régime qui a tout d'un village Potemkine: à la moindre baisse des prix de l'or noir, la révolution bolivarienne s'envolera en fumée. Ces gouvernements parient plutôt sur l'avenir, et cet avenir se trouve dans de bonnes relations avec les États-Unis et un accroissement des échanges avec le reste du monde.
En effet, les États latino-américains sont de plus en plus nombreux à signer des accords de libre-échange avec leur grand voisin du Nord et ils sont parfaitement conscients que les États-Unis demeurent une formidable source de richesses. Ainsi, les immigrants d'Amérique latine installés aux États-Unis représentent 15% de la population (ils seront 24% en 2050) et ont envoyé en 2005 la somme record de 54 milliards de dollars dans leurs pays d'origine. Au-delà du continent, les économies asiatiques sont des marchés en pleine expansion pour les produits latino-américains.
Dans deux ans, Bush sera parti et Chavez n'aura plus d'épouvantail à brandir. Cela devrait éclaircir le ciel et renforcer une relation indispensable et incontournable entre l'Amérique latine et les États-Unis. Pour l'instant, les gouvernements latino-américains tirent le meilleur (l'argent et les accords commerciaux) et rejettent le pire (la croisade antiaméricaine et le néolibéralisme) de ces deux extrémistes. Et ce, pour le plus grand bien des populations.
Note(s) :
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.
j.coulon@cerium.ca


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé